3.3.1. Cahiers et mémoire

Des aide-mémoire

On peut ici signaler que l’usage de l’écrit comme support de paroles est attesté dans la culture de l’écrit des devins, qui élaborent leur discours (diagnostic d’une situation actuelle ; éventuellement prévisions ; mesures à prendre) à partir de tracés géométriques sur le sol ou sur le papier. La différence par rapport aux pratiques où l’écrit est le support d’une remémoration est qu’ici le discours se construit à partir des figures, dans une interaction immédiate avec celui qui consulte, sans suivre une procédure mnémotechnique stricte.

Dans son sens littéral d’appui à la mémoire, l’aide-mémoire est bien présent à l’écrit. A propos des listes, nous avons cité les propos des enquêtés indiquant que le recours à la liste s’impose pour ne pas oublier des courses qui sortent de l’ordinaire. La liste ne décrit pas en détail l’action à accomplir. Elle consigne simplement une série d’articles, le scripteur se rappelant alors mentalement où il doit l’acheter (chez un grossiste ou sur le marché), auprès de qui en particulier, etc. Nous avons vu que ces listes sont destinées à être jetées une fois l’action accomplie.

Le calendrier est lui aussi souvent support à ces notations du moment, comme nous l’avons vu précédemment (cf. supra 2.4.1.2.). Si, le plus souvent, il porte la trace d’événements passés, il est le seul lieu cité de notations prospectives, aucun scripteur ne disposant d’agenda (même si ce genre est connu de quelques-uns).

On pourrait penser que ces usages de l’écrit ont pour espace privilégié ces supports tels que des feuilles volantes ou des calendriers, les cahiers étant réservés à ce qui a vocation à être gardé. En réalité un tel partage n’est pas rigoureusement suivi.

Certes, les notations sur les calendriers sont souvent effectuées, aux dires des scripteurs, dans l’attente d’une mise au propre sur les cahiers, comme nous l’avons vu plus haut. Dans les cahiers, l’absence de support imprimé déployant l’espace temporel rend obligatoire la mention de la date, accompagnée d’un énoncé explicite ⁴⁹⁴ . L’horizon temporel des deux notations est différent : le calendrier est celui de l’année en cours, une indication, même allusive, a des chances d’être comprise le temps où cet objet est en usage (suspendu sur un mur ou conservé avec d’autres documents). En revanche, dans un cahier dont la tenue court souvent sur plusieurs années, les notes, mêmes cryptiques, sont en général plus développées. On remarque ici une transformation de la notation avec le changement de support, du même ordre que celle déjà signalée à propos des listes (cf. l’analyse des listes d’achats sur les cahiers, développée plus haut en 0).

Cependant, il faut noter que figurent aussi sur les cahiers des notes qui relèvent d’une mémoire, sinon de l’instant, du moins associée au temps d’une action. Ainsi, une feuille d’un cahier de Demba Coulibaly concerne le partage de la viande d’un bœuf tué pour la fête de fin du ramadan. Il y consigne le paiement par les différents chefs de famille de leur part. De même, de nombreuses notations de crédits, raturées lorsque ceux-ci sont payés, figurent dans les cahiers de Moussa Coulibaly. Enfin, on peut évoquer la pratique, attestée par exemple chez Moussa Camara, et souvent citée dans les entretiens, de la notation du coton récolté par les membres de la famille. Dans ces cas, on ne peut à proprement parler évoquer une mémoire « vive », car le temps de l’action est long - dans le dernier exemple, il peut s’agir de plusieurs mois, entre la récolte et la commercialisation du coton. Cependant, ces écrits ont en commun que leur usage premier s’achève avec la réalisation de l’action.

Ainsi, des notations prises dans le temps d’une action apparaissent dans les cahiers, faisant de ceux-ci le support de remémorations ponctuelles. Cependant, un rapport au temps plus distant domine.