3.4.1.1. Notations, prise de notes

Dans les cahiers, on observe des formes d’écriture qui relèvent de la notation. La discontinuité caractérise l’écriture, puisque les unités textuelles se succèdent sans être nécessairement reliées. On a observé l’ensemble des dispositifs qui permettent de distinguer ces unités. On peut remarquer que les opérateurs de transition sont rares. La numérotation des items, qui aboutit à les intégrer dans un ensemble de niveau supérieur, les dates, ou les titres dont certains se répondent (par exemple ceux déjà cités « un autre » ou « un autre encore », titrant des recettes dans le bloc-notes d’Aminata Samaké) opèrent un classement ou une mise en série des notations. La logique de leur succession peut tenir dans la constitution d’une série, que rompt simplement le passage à un autre ordre de notations. Les dates renvoient à la structuration temporelle dont nous avons détaillé les modalités dans le chapitre précédent (3.3).

A l’intérieur de ces unités, les formes ne sont pas toujours syntactiques. En dehors du cas singulier des listes lexicales ou nominales, les énoncés sont le plus souvent verbaux. Nous avons signalé que même sur un calendrier, où l’économie d’espace tend à réduire les notations au minimum, des énoncés verbaux figurent (« Founé est né », calendrier de Mamoutou Sanogo). De même, dans le cahier d’activités de Demba Coulibaly (Doc. 3 inséré en 2.3.1.2), les lignes fournissant le compte-rendu de son activité journalière laissent apparaître une hésitation entre des formules nominales ou des énoncés verbaux abrégés (« Traite ma toux »). Sur ces exemples, la pratique de la prise de notes, dont nous savons par les travaux de linguistes qu’elle est un code constitué et non une manière d’écrire improvisée (BRANCA-ROSOFF, S. 2004), ne semble pas mise en œuvre selon les normes qui nous sont familières.

En effet, la pratique de la prise de notes, au sens de la notation synthétique par un scripteur d’éléments issus de l’audition ou de la lecture, ne renvoie qu’à des pratiques bien circonscrites.

Pour le seul étudiant dont le cahier est retenu dans notre corpus de cahier, Ganda Camara (né en 1977), une pratique semblable à celle décrite par Sonia Branca-Rosoff sur des corpus de cours d’étudiants en France est visiblement acquise. En témoigne un usage singulier de l’abréviation que nous détaillons dans la sous-section suivante.

Pour les autres scripteurs, qui ont un niveau scolaire au plus équivalent au second cycle, la prise de notes n’a pas été acquise en contexte scolaire. Il s’agit d’une aptitude constituée ultérieurement, en contexte professionnel, que quelques-uns d’entre eux décrivent. Ndiamba Coulibaly détaille ainsi la façon dont, dans le cadre du « Programme de gestion rurale », il prend des notes dans un registre, en notant les « mots-clefs », les paroles les plus importantes prononcées lors de la réunion (K 19). Les enquêtés qui nomment cette pratique recourent à des emprunts au français dans les entretiens en bambara (« notes », K 41 et K 61). La prise de notes requiert des aptitudes particulières : l’aisance et la rapidité dans l’écriture, la mise en œuvre de critères de sélection et de hiérarchie des informations, des techniques synthétiques d’écriture. Quand elle se double d’une activité de traduction (cas de Toumani Sanogo prenant des notes en français au cours de réunions en bambara) l’opération est encore plus complexe. Les enquêtés concernés ont en commun d’avoir connu une socialisation professionnelle après l’école, qui a pu être le lieu du développement d’une telle aptitude. Fait-elle l’objet d’un apprentissage spécifique ? Les situations semblent différenciées. D’après la description de Ndiamba Coulibaly, et l’usage d’un vocabulaire technique (les « mots-clefs »), on peut envisager cette hypothèse. En revanche, dans le cas de Toumani Sanogo, qui décrit sa pratique sans disposer de terme pour la désigner, il semble que ce soit une aptitude acquise par la pratique, ce qui indique qu’une telle habitude peut se développer par intensification des pratiques d’écriture, peut-être en prenant modèle sur d’autres, mais en dehors de tout apprentissage direct.

En dehors de ces contextes assez rares de prise de notes au sens propre, l’écriture des cahiers est le lieu d’une pratique qui renvoie à un style d’écriture que l’on peut caractériser par la pratique de la notation. Le support, en tant qu’objet personnel, justifie la mise en série d’unités textuelles souvent hétérogènes.

La pratique de l’abréviation est une manière d’écrire étroitement associée au style de la prise de notes, et qui est présente dans notre corpus.