Les abréviations repérées prennent les deux formes classiquement repérées dans les travaux de linguistes sur la question (ANDRIEUX-REIX, N. & BOSREDON, B. 2004) : l’apocope et la contraction.
Ainsi, Baba (GL 2) abrège-t-il les termes qui qualifient les pluies dans son relevé pluviométrique étudié plus haut (cf. Doc. 4, en 2.3.1.2) en retenant la première syllabe, par exemple « fu» pour «funfun», petite pluie, crachin. Il s’agit là d’une forme classique de l’apocope.
Makan Konaté (GL 3, 6ème) quant à lui procède à une contraction dans une liste de dates de naissances qui opère selon le procédé décrit plus haut (3.2.2.2.).
Transcription (orthographe originale) et traduction.
‘(a) Ballo Baguera marisi Kalo/ tile 28 1991/ Sunkalo tile 12 alamisa su/ K.’ ‘Ballo est née le 28 mars 1991, le 12 du mois « sunkalo » (litt. mois de jeûne) 532 dans la nuit de mercredi à jeudi à K.’ ‘(b) Bouya Baguera Décembre Kalo/ tile 14 1993/ lasiri laban tile 28 ntεnε sɔgɔma/ Kina’ ‘Bouya est né le 14 décembre 1993, le 28 du mois « lasiri laban » lundi matin à Kina’ ‘(c) lala Bg sept kalo 21 su/1996/lasiri filan tile 7 sibiri/ Kina’ ‘Lala est née le 21 septembre 1996 au soir, le 7 du mois « lasiri filan » samedi à Kina’La notation « Bg » est mise pour « Baguera » [bangera], est né(e), dans une liste des dates de naissance d’enfants qui comprend trois énoncés de structure similaire. On peut reconstituer le procédé suivi ainsi : tout d’abord, seule la racine verbale est retenue « bange », et de là les consonnes sont extraites 533 . Bien entendu, il ne s’agit pas de présupposer une conscience linguistique de ce type chez le scripteur. La décomposition que nous effectuons ici a pour fin d’indiquer que le procédé est le même que celui dégagé à propos des pratiques d’abréviations dans des corpus d’étudiants. Ce fait signale une familiarité certaine avec l’écrit et une incorporation de procédures propres à des milieux lettrés. On repère là une forme d’appropriation au sens d’une reprise pour son propre compte de pratiques acquises au contact d’écrits scolaires et professionnels (il est secrétaire d’AV).
A ces deux formes il faut en ajouter une troisième, de l’ordre du « rébus de lettres », comme dans la forme, récurrente sur les carnets de famille, « DCD » pour « décédé(e) » 534 . La forme « Ag » que l’on trouve dans l’indication de son âge de Moussa Camara sur le brouillon de demande de dédicace à la radio (cf. Doc. 12, inséré en 2.4.4.3) dans l’énoncé « Moussa Camara Ag 23 » est ambiguë : elle peut relever de cette dernière catégorie (dans ce cas elle serait à lire « âgé ») comme de l’apocope (elle serait mise pour « âge »). On observe le phénomène inverse, la lexicalisation d’une abréviation qui devient un nom écrit en toutes lettres, notamment dans des cas de traduction, comme dans la forme extrêmement courante « AV » pour « association villageoise » qui apparaît en bambara sous la forme « Awe » (mais plus souvent la forme « AV » demeure en bambara).
Si l’on poursuit l’analyse à l’aide du concept proposé par Julie Lefèbvre de « couple abréviatif » et de la typologie qu’elle élabore, on constate que la plupart des cas relevés dans notre corpus sont du type où le rapport entre la forme longue et la forme courte relève d’une interprétation (LEFÈBVRE, J. 2004) 535 . On rencontre quelques cas où le lien entre les deux formes est explicité (toujours en contexte d’apprentissage, dans des énoncés qui sont copiés). Ainsi, on lit « b=bilalen », dans le cahier de formation de Mamoutou Coulibaly, la forme courte étant utilisée dans les colonnes d’un tableau. Ici il y a citation des deux termes et explicitation de l’abréviation.
Dans les autres cas, le lien entre les deux formes est d’ordre interprétatif. Dans ces cas, on constate que la mise en rapport s’effectue graphiquement. Ainsi, la forme « bg » pour « bangera » intervient au sein d’une énumération d’énoncés qui suivent strictement la même structure, dans le troisième énoncé. Graphiquement, ce fait est marqué par la position du terme qui prend la place de la forme longue dans les énoncés précédents, et qui est mis au milieu d’un espace qui correspond à l’espace que celle-ci occuperait. De façon similaire, le sens de la forme « fu » s’éclaire dès que l’on considère le cahier dans sa totalité et que l’on revient à la première page du cahier où dans le tableau au même endroit figure la forme développée.
Ainsi, le mode de mise en relation des deux formes (troisième terme du « couple abréviatif ») est la structuration graphique, visuelle, de l’espace de la page ou du cahier.
Nous reprenons la traduction commune qui désigne ce mois comme celui du jeûne musulman. R. Luneau précise qu’avant la diffusion de l’islam ce terme désignait le mois de soudure (soit à peu près le mois de septembre), le suivi du calendrier islamique avec emprunt des noms de mois bambara s’étant effectué précisément sur la coïncidence du « sunkalo » avec le mois de ramadan, marqués l’un et l’autre par une fête majeure à leur fin (LUNEAU, R. 1975 : 155). Il suit ici l’analyse de Delafosse (DELAFOSSE, M. 1921).
Le scripteur omet la nasale dans la forme complète.
Signalons ici le goût malien pour les sigles et acronymes : par exemple, des personnalités politiques majeures sont couramment désignées comme par leurs initiales : ATT pour le président actuel Ahmadou Toumani Touré, IBK pour un de ses opposants Ibrahim Boubacar Keïta, etc.
Le couple abréviatif est défini dans cet article comme l’ensemble de ces trois termes : une forme longue X, une forme courte Xab, unies l’une à l’autre par une relation d’équivalence. On distingue différents types de « mises en scène » (de réalisations) du couple abréviatif selon le degré de marquage de la relation d’équivalence qui les unit (LEFÈBVRE, J. 2004).