La plupart des exemples convoqués ici figurent sur des cahiers. Il est hors de notre propos toutefois de quantifier ces occurrences sur les différents supports. La bonne échelle d’analyse pour comprendre une occurrence est en général la page, plus rarement le cahier (comme dans le cas de Baba Camara).
On peut toutefois faire l’hypothèse, pour des scripteurs dont la tenue d’un cahier constitue une des principales pratiques de l’écrit, que le cahier est un lieu où se développe cette pratique. Le fait que le cahier personnel, de même que d’autres écrits comme les listes, soit destiné à soi justifie un recours à l’abréviation en dehors des formes communes.
Un usage de l’abréviation semble cependant spécifiquement lié au support du cahier ou carnet personnel. Les procédés d’explicitation en sont absents comme nous l’avons indiqué, mais de plus la dimension proprement cryptique est essentielle dans certaines abréviations (retenant les initiales en lettres capitales) de prénoms et noms. Tel est le cas notamment dans le « carnet de secrets » de Moussa Coulibaly, où il consigne la venue au village de deux jeunes femmes en les désignant par leurs initiales. Il s’agit d’un des rares passages qu’il n’a pas souhaité commenter. Le « cahier de souvenirs » de Ganda Sanogo comporte aussi, nous l’avons vu, des initiales sous la forme classique de l’équation amoureuse : « G.S. + B.K. = ASF » (amour sans fin ? - Annexe 6, cahier 5, p. 11).
D’autres notations cryptiques apparaissent en dehors de la notation des noms et prénoms, comme chez Thiémokho Coulibaly qui écrit ainsi sur le troisième de couverture d’un de ses cahiers : « J’aime certaines parties dans le corps des filles ».
Dans les tracés qui suivent, on devine que fss. est mis pour « fesses », sn. pour « sein(s) » 539 . Le procédé est ici celui de la contraction, mais on peut remarquer la présence du point qui en général clôt des formes d’apocope, et qui souligne ici l’abréviation par contraction. Comme le cahier de Ganda Camara, ce passage, figurant dans un espace hors-texte, est à rattacher aux pratiques ludiques et de détournement des modèles qui se développent en marge des pratiques scolaires.
Nous avons donc montré premièrement que l’abréviation est l’indicateur d’une maîtrise des normes lettrées (soit dans le recours à des abréviations communes, soit dans l’aptitude abréger selon les formes de l’apocope ou de la contraction), dont la présence dans les cahiers s’explique par le statut de notations des écrits du cahier, ainsi que par le fait que le scripteur en est le premier destinataire. Nous avons indiqué deuxièmement que l’abréviation constitue une ressource dont certains scripteurs peuvent jouer à des fins cryptiques, mais dont l’enjeu esthétique n’est sans doute pas absent. Nous avons avancé à ce propos la notion de style, sur laquelle il nous faut maintenant revenir.
Si on interprète la première lettre comme « b. », on pourrait faire l’hypothèse qu’il s’agit du terme bambara « byε », parties sexuelles féminines.