3.4.2.1. La copie comme exercice

Une partie importante des cahiers consiste en notes prises durant des formations, qui sont en réalité des copies d’énoncés écrits au tableau. Nous nous référerons ici aux passages qui constituent des copies à partir de modèles imprimés, ce qui constitue une pratique différente, dans la mesure où le scripteur dispose du modèle, et possède une plus grande marge dans son choix de copier ou pas (à la différence du contexte collectif et fortement encadré de la copie d’un énoncé écrit par un formateur au tableau).

Le contexte scolaire d’acquisition est essentiel pour comprendre des pratiques qui restent liées à l’école du côté de la forme de cette opération, qui apparaît comme un exercice, et des modèles choisis : des ouvrages didactiques.

Ainsi, Moussa Coulibaly copie dans un de ses cahiers des passages d’une grammaire française 541 qu’il détient. Nous disposons d’une page qui traite de la ponctuation, où il copie une liste de signes de ponctuation avec des exemples, puis dans un espace délimité par un trait horizontal et scindé en deux par un trait vertical d’autres exemples qui sont peut-être un exercice. On peut remarquer que le premier exemple est annoncé comme tel (« exemple : »), mais non les suivants, ce qui suggère une certaine prise de distance avec le modèle imprimé.

Le second exemple est celui du lexique bambara-français copié par Thiémokho Coulibaly sur 8 pages d’un de ses cahiers, déjà évoqué précédemment (2.4.2.3).

Doc. 27 Une page de copie d’un lexique bambara-français
Doc. 27 Une page de copie d’un lexique bambara-français

Nous pouvons indiquer une particularité de ce document : l’ordre est alphabétique à l’échelle d’unités qui déclinent une série de noms commençant par le même ensemble de lettres (par exemple, les noms commençant par « ke », puis par « ka » sur la page que nous insérons ici). Cet ordre n’est suivi ni à l’échelle de la page, ni dans la succession des pages. En l’absence d’observation directe de l’activité de copie, on constate que la pratique est marquée par une discontinuité, probablement temporelle, dans l’écriture.

En nous reportant au modèle imprimé qui a servi de source à cette page, nous constatons que Thiémokho Coulibaly procède à un travail de sélection complexe. Tous les termes bambara qui figurent sur cette page du cahier, ainsi que les traductions françaises qui en sont données, sont extraits de la page 31 du Lexique bambara-français, 3 ème édition (1980) 542 . La sélection opère surtout sur les entrées lexicales retenues 543 .

Pour ce qui est des entrées, on observe par exemple que les trois premiers termes figurent sur la colonne de droite du lexique, à la suite les uns des autres, et dans cet ordre. En revanche, entre la deuxième occurrence de « kelekele » et « kelennamògò », trois entrées figurent sur l’original, qui sont omises ici (« keleku » et « kelen », mentionné deux fois avec une traduction française différente à chaque fois). Les items retenus sur le cahier ne constituent donc qu’une partie du document original. La part de ce qui est retenu est d’ailleurs limitée : le cahier reprend 7 entrées sur les 44 que compte la colonne de droit sur le modèle imprimé, puis 9 sur les 42 qui occupent la colonne de gauche.

Le non-respect de l’ordre alphabétique s’explique ici par le fait que Thiémokho a procédé par colonne, en prenant d’abord celle de droite (qui se lit après normalement). A l’échelle du cahier, le critère de sélection des entrées reste obscur. Par exemple, Thiémokho ne retient pas sur cette page « keninge », gros mil, mais copie deux pages plus loin « suna », petit mil. On peut simplement remarquer que les suites de mots sont récurrentes (plus nombreuses que si le choix des termes était aléatoire), suggérant qu’une fois son attention attirée par un terme, le scripteur a tendance à poursuivre sur cette lancée d’écriture.

Dans l’analyse de cet exemple, la dimension d’exercice de la copie est sans doute combinée à celle, que nous étudions dans la sous-section suivante, de la copie comme mode de reproduction d’un document. Cette activité, qu’il évoque avec intérêt 544 , revêt sans doute aussi un aspect ludique.

A partir de ces deux exemples, on peut souligner la difficulté à inférer de l’observation des productions leur contexte d’écriture. Ces passages n’ayant pas été commentés de manière détaillée en entretien, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur les modalités d’écriture. Cependant, la présence de ces écrits dans des cahiers à soi montre que la copie est une activité qui est appropriée par les scripteurs, puisqu’ils y recourent en l’absence de toute contrainte. L’élucidation des dispositifs de sélection et de collage reste à faire pour poursuivre cette analyse.

L’autre champ dans lequel la copie est d’usage récurrent est le domaine religieux. Dans le cahier de contrôle de Moussa Coulibaly dont nous avons détaillé plus haut le contenu, la copie d’une brochure franco-arabe en arabe translittéré occupe cinq pages à l’encre verte, qui constituent un ensemble homogène au sein du cahier. Le cahier de Demba Coulibaly également étudié précédemment est aussi consacré à des pages de copies de différentes sources (une source manuscrite et une source imprimée). Nous avons souligné que le seul passage qui relève d’une activité de transcription et non de copie a des caractéristiques graphiques (recours à la graphie script notamment) qui permettent de le distinguer.

Chez ces scripteurs, les passages copiés apparaissent au sein de cahiers, et encadrés par des dispositifs qui les intègrent à l’ordre du cahier (dates chez Moussa Coulibaly), titres et indications en français. Ces pratiques en arabe translittéré se rapprochent des pratiques scolaires de copie. Cependant, une autre valeur de la copie religieuse, la copie comme épreuve, analogue ou support de l’incorporation dans l’apprentissage par cœur, peut être envisagée 545 .

La copie apparaît ici comme un moment important de l’appropriation de l’écrit, comme cela a été montré sur des terrains européens (FABRE, D. 1985).

Notes
541.

Grammaire française par l’observation, éditions Jamana, ACTT, imprimée au Canada.

542.

Sur les trois premières éditions que nous avons consultées, seule cette 3ème édition correspond terme à terme au texte de Ndiamba.

543.

La sélection s’exerce plus marginalement sur les traductions, dont certaines ne sont pas reprises dans leur intégralité.

544.

Ndiamba Coulibaly m’a demandé, à l’issue d’un entretien avec lui, de lui rapporter un dictionnaire français-bambara identique à celui que je possède.

545.

Cette modalité de la copie comme une épreuve, au moins physique, apparaît dans un texte du CEV qui ne relève pas du corpus des cahiers, une page non quadrillée format A4 où Baba Coulibaly copie 49 fois une ligne en arabe en graphie arabe.