Dans l’article cité, M. Millet poursuit l’investigation autour des pratiques de la prise de notes par les étudiants en abordant les processus de sélection d’informations, distincts selon la filière suivie. Pour les étudiants en sociologie (par opposition aux étudiants en médecine), « les notes de lectures constituent des dispositifs mnémoniques objectivés qui réduisent, associent, organisent et sélectionnent des corpus textuels » (op. cit. : 191) 546 .
Dans le même ouvrage, Jean-Pierre Albert poursuit cette investigation en s’intéressant aux situations où on copie un texte pour son propre usage, ce qui nous ramène à un contexte proche du nôtre (ALBERT, J.-P. 2000). Il s’arrête notamment sur deux pratiques de l’écrit : l’élaboration d’encyclopédies personnelles et la confection de recueils de poésies et belles pensées. Pour J.-P. Albert, ces exercices de copie, dans la sélection qu’ils opèrent, relèvent de l’écriture intime, même s’il s’agit aussi d’une manière de manifester ses goûts. La copie « consacre des choix et constitue un acte cognitif complexe associant au moins reconnaissance de la valeur d’un texte, fixation de l’attention sur lui et souci de mémorisation » (op. cit. : 203). La copie apparaît là comme une forme renforcée de la lecture.
L’activité de sélection est présente dans toutes les formes de copie sur lesquelles nous nous sommes arrêtée : la copie intégrale d’une brochure suppose en amont le choix de cet ouvrage ; la copie d’un passage d’un manuel suppose aussi une décision, même si le souhait de s’exercer peut amener à un choix assez arbitraire. Nous allons maintenant travailler sur une pratique où cette modalité de la sélection est mise en scène, les listes de titres de chansons.
Précisons d’emblée que cette pratique peut relever de la copie ou de la transcription (copie à partir d’une pochette de cassette ou transcription suite à l’écoute de la radio). Un ensemble de pratiques se greffe autour de cet usage de l’écrit. Il peut s’agir de commander un morceau à la radio, que l’on dédicace à des amis, comme dans le brouillon de « disque-demande » de Moussa Camara. Un autre usage est signalé par Moussa Coulibaly, qui consiste à faire faire une « sélection » selon son propre terme, c’est-à-dire une compilation pirate, dans un magasin spécialisé en ville. Sur cet exemple, l’exemplaire du titre de chanson copié ou transcrit sur cahier apparaît comme un maillon d’une chaîne qui associe l’écrit et l’oral, et qui comprend au moins les éléments suivants : le titre de la chanson annoncé à la radio, sa mention imprimée sur la pochette d’une cassette non piratée, son écriture manuscrite sur le cahier ou la feuille volante qui sert à faire faire la compilation. De même que le genre, plus étoffé, du carnet de chansons (que nous n’avons pas observé sur notre terrain 547 ), ces pratiques de l’écrit autour des chansons sont sans surprise attestées chez les scripteurs les plus jeunes (Molobali Diallo, Moussa Camara et Moussa Coulibaly sont nés en 1977). Elles font du cahier le lieu d’expression de goûts individuels.
Les pratiques décrites jusqu’ici renvoient à des pratiques de copies de modèles imprimés (ou de transcription à partir de corpus oraux). Cependant, l’activité de copie nous introduit aussi à une autre dimension qu’il nous reste à explorer, celle de la réécriture.
De telles pratiques lettrées s’inscrivent dans l’histoire longue des traditions lettrées. On peut renvoyer pour la Renaissance à l’analyse du lieu commun par F. Goyet (GOYET, F. 1996).
Pour un cas français nous renvoyons à l’étude de D. Roche et F. Roche (ROCHE, D. & ROCHE, F. 1979).