3.4.2.4. Ecrire, réécrire

Nous avons dans notre corpus de plusieurs textes dont il nous a été dit qui ont été « mis au propre » à partir de versions précédentes. Nous disposons dans notre corpus de plusieurs versions d’un même texte pour deux scripteurs, Somassa Coulibaly et Moussa Coulibaly.

Chez Somassa Coulibaly (GL 4, 7ème), la réécriture s’effectue d’une feuille volante à un cahier. Le premier enjeu de la copie est d’assurer la sauvegarde du document, sur le mode de ce que nous avons décrit plus haut. Les différences entre les deux versions sont faibles. On observe toutefois un procédé de réorganisation dans le sens d’une plus grande régularité dans la présentation des dates.

Chez Moussa Coulibaly (GL 4, 6ème), nous avons quatre textes en plusieurs versions : les résultats de la Coupe de monde de football sur des pages successives de son cahier (Annexe 6, cahier 4, p. 24 à 28) ; une formule sur un cahier, puis, à deux reprises dans le « carnet de secrets » (sur des pages différentes) ; une formule sur les deux carnets ; la mention de la mort de sa belle-sœur sur les deux carnets. C’est sur ce dernier écrit que nous allons nous arrêter ici.

Notons que les deux versions dont nous disposons ne constituent qu’une partie du corpus écrit auquel a donné lieu cet événement. En effet, Moussa Coulibaly nous a indiqué sur un calendrier suspendu dans sa chambre des encoches face aux deux dates de l’accouchement de Rokia et de son décès 548 .

Doc. 28 Deux versions du décès de Rokia.
Doc. 28 Deux versions du décès de Rokia.

Entre les deux versions, les différences sont notables. Des détails sont précisés dans la seconde, qui n’apparaissent pas dans la première (heure et lieu de l’accouchement, heure du décès). Un fait central est mentionné dans la seconde, l’opération. L’écriture est plus sobre dans la version finale (pas d’encre rouge). La première version peut avoir été écrite au fil des deux événements (le changement d’encre entre les deux suggère des temps d’écriture distincts). La seconde leur est postérieure.

La seconde version représente un des rares textes de notre corpus à propos duquel la catégorie de récit nous semble pertinente. En effet, le texte a un début et une fin, et on y repère un travail d’écriture par rapport à la version initiale, la mention de l’opération notamment dramatisant le propos 549 . Clos sur la mention de la mort de Rokia, il apparaît comme un tombeau, au sens littéraire.

Nous pouvons conclure cette section en revenant à la notion d’intertextualité que nous avions mobilisée à propos de la définition du cahier comme genre (cf. supra 0). La manière dont les scripteurs se saisissent de matériaux divers, imprimés ou manuscrits, est en effet caractéristique de ce genre. La copie est une activité centrale, à travers laquelle sont mises en œuvre des habitudes, distinctes selon les scripteurs, mais qui toutes témoignent d’une appropriation de l’écrit.

Notes
548.

Pour préciser les circonstances où ces écrits m’ont été donné à voir, il faut rappeler que la concession de Mamoutou et de Rokia est celle où je suis logée. Ayant rapporté en 2003 des photos de la famille prises l’année précédente, j’ai suscité une certaine émotion en montrant une photo des femmes en train de puiser de l’eau où figurait Rokia. Mamoutou Coulibaly m’a alors raconté les circonstances de son décès en s’appuyant sur ces traces écrites.

549.

Cependant, la présence d’une narration en bambara à la fin du cahier de Ba Madou Sanogo nous interdit de faire du français la langue du récit, ou de ce mode d’expression l’apanage des scolarisés.