3.5.3. Conclusion : une sphère à soi

En suivant l’hypothèse émise par F. Weber selon laquelle les dispositifs matériels d’écriture permettent une séparation des scènes sociales, il faut souligner que le cahier, constitué comme un espace à soi, est souvent une des seules manières d’objectiver l’existence d’une telle sphère (WEBER, F. 2006). Nous avons vu en 2ème partie comment l’écrit permet d’objectiver des scissions d’exploitation (avec l’apparition de nouveaux noms sur les listes des chefs d’exploitations sur les registres de l’agent de la CMDT). Il s’agit ici d’un processus différent, non pas la scission d’un groupe familial en des unités de même nature que celles qui préexistent, mais l’émergence d’un espace à soi qui n’est pas nécessairement lié à un statut de chef d’exploitation ni même de chef de famille (même si certains usages du cahier participent de la mise en scène de ces rôles-là).

Nous avons amplement indiqué que la notion de « personnel » ne va pas de soi, d’où l’importance d’une pratique (l’écriture) et d’un support (le cahier) qui objectivent l’existence d’un espace à soi. Quant au contenu des notations, la notion d’appropriation nous semble pertinente pour décrire les processus en cours. L’idée d’une écriture de soi ne régit pas les cahiers. Les moments de l’énonciation à la première personne sont rares, et pour ce qui est de la chronique familiale, fortement structurés par des modèles. L’appropriation est pleinement à l’œuvre dans des processus de copie, de collecte et de sélection où s’affirment des choix et parfois des goûts individuels, dans la reprise de formes communes.