L’écriture dans les dynamiques sociales

Les transformations actuelles de la zone Mali-Sud

A travers cette recherche, nous souhaitons également avoir contribué à une meilleure compréhension des dynamiques en cours dans la région cotonnière dans laquelle nous avons travaillé.

Nous avons rappelé en introduction générale le contexte immédiat de notre travail. La privatisation de la CMDT est annoncée depuis plusieurs années déjà, et la Compagnie se retire des activités de développement, notamment dans le domaine de la formation. Or, de 1975 au début des années 1990, l’alphabétisation menée par la CMDT a occupé une place importante. Le fait de montrer son succès relatif, malgré des limites évidentes, permet de souligner la nécessité que soient assumées aussi les fonctions non productives de la Compagnie. En l’absence d’acteurs (étatiques ou non) disposés à prendre le relais de la formation, le recentrage de ses activités sur la filière coton risque de poser des problèmes à moyen terme, car l’organisation de l’activité agricole est liée à des usages de l’écrit. Si, dans le village dans lequel nous avons le plus enquêté, l’école bilingue a pris le relais de l’alphabétisation pour adultes dans la formation d’une élite villageoise lettré, cela n’est pas le cas partout, et notre travail permet de souligner l’importance de la connaissance, au moins par certains, de l’écrit.

De plus, les transformations qui affectent l’organisation de la production cotonnière imposent aux paysans un recours de plus en plus fréquent et de plus en plus individualisé à l’écriture. Nous avons montré comment la scission d’une exploitation est objectivé à plusieurs niveaux par des documents : liste des chefs d’exploitation au niveau de la CMDT, nouveau carnet de famille au niveau de l’administration. Les pratiques que nous avons décrites comme participant d’une rationalisation de l’activité agricole, mises en œuvre par des jeunes adultes pas encore chef d’exploitation, les préparent à assumer seuls la gestion d’une partie de l’exploitation familiale. La juridicisation accrue des rapports sociaux dans les réformes en cours, ainsi que l’éclatement des AV et le morcellement des exploitations tendent à rendre nécessaire une maîtrise individuelle de l’écrit.

Dans la crise actuelle que connaît la zone cotonnière, les enjeux du développement de l’écriture sont importants. On peut s’interroger sur le rôle joué par la maîtrise, non seulement de l’écrit, mais des médias, des acteurs paysans qui se sont hissés, avec l’appui des ONG, sur la scène médiatique internationale. Au Burkina, une pétition a été adressée à l’OMC. Sur internet divers sites défendent cette cause emblématique de l’injustice des échanges internationaux.

Si la dimension politique qui est sous-jacente à notre objet a été centrale dans le choix de ce sujet, notre étude est cependant centrée sur le temps long des apprentissages, de la prise d’habitudes d’écriture liées à l’histoire des trente dernières années. L’actualité récente n’y apparaît guère. L’articulation entre les usages de l’écrit et l’émergence de porte-parole lettrés, la question de la prise d’écriture militante est une piste de recherche désormais ouverte, à poursuivre à une autre échelle que celle d’un village.