Effets sociaux des différentes filières

Notre travail ne porte pas directement sur l’école, mais apporte des éléments dont nous espérons qu’ils pourront être utiles à une meilleure compréhension des processus de scolarisation et d’alphabétisation. Dans son enquête sur les stratégies de scolarisation au Mali, E. Gérard souligne qu’en scolarisant leurs enfants, les familles visent davantage à leur faire acquérir des compétences scripturales qui peuvent être utiles, même en milieu rural, qu’à obtenir un titre qui ne garantit plus l’accès à un emploi (GÉRARD, É. 1997a). Nos résultats indiquent que ce raisonnement est fondé.

En effet, nos enquêtés scolarisés, qui ont un niveau égal ou à peine supérieur à la 6ème (dernière classe du premier cycle de l’enseignement fondamental), pourraient être assimilés à des « déscolarisés », en mettant l’accent sur le fait qu’ils ont au mieux un titre de peu d’utilité (le certificat de fin de premier cycle). Or, notre travail rend compte de l’importance de l’écriture dans divers champs de leurs pratiques : perspectives professionnelles en terme de participation à l’AV ; appui à des activités de commerce ; rationalisation de l’exploitation agricole ; pratiques personnelles, etc.

Notre approche des différentes générations rend également compte des acquis de l’alphabétisation pour adultes en bambara. Nous avons montré dans notre première partie que la différence majeure entre l’alphabétisation pour adultes et l’école est que la première est organisée pour répondre à une demande précise, la formation des premiers lettrés étant destinée à appuyer l’organisation du village en AV. L’école, en revanche, fournit des lettrés dont le village ne sait que faire, ce qui rend compte de profils de lettrés dont les compétences ne sont pas exploitées par la collectivité, mais tout de même cultivées pour soi. Les effets de l’école apparaissent donc beaucoup plus diffus, et moins contrôlés par la collectivité, que ceux de l’alphabétisation pour adultes. Cependant, dans tous les cas (passage par l’une ou l’autre de ces filières, ou par les deux), les pratiques mises en avant par les enquêtés, et attestées dans notre corpus, sont des pratiques à soi.

Il nous semble que cette dimension de la scolarisation ou de l’alphabétisation, comme occasion de développer des pratiques d’écriture dans les domaines les plus divers d’une existence individuelle, est souvent ignorée dans des évaluations des filières qui soulignent l’enjeu de décrocher un diplôme, de trouver un emploi, ou de servir une collectivité.

Il y a là, sans doute, une piste possible pour une réflexion sur les contenus des enseignements.