3. Contexte des deux premiers entretiens de la série K

Arrivée et premiers entretiens
J’ai été introduite à Kina le 23 juin 2002 par ID, enseignant, puis directeur d’école dans ce village pendant 18 ans, muté à la ville voisine de Fana depuis quelques années. ID continue de fréquenter régulièrement les villageois qui passent souvent chez lui à Fana lors de la foire hebdomadaire. Les relations sont à la fois d’affaires (il confie la surveillance des quelques champs qu’il cultive toujours à Kina), et amicales (ses liens privilégiés avec une famille du village ont récemment abouti au mariage d’un de ses fils avec une jeune fille de cette famille). ID a choisi de me « confier » à Mamoutou Coulibaly, responsable administratif du village, à la fois en raison des bonnes relations qu’il entretient avec lui et de l’assurance qu’il a que j’y serai dans des conditions matérielles correctes.
J’ai été hébergée dans cette famille durant les 5 mois où j’ai séjourné au village. Rappelons qu’au Mali, le logeur (jatigi) est en partie responsable l’hôte, auquel on ne demande en principe rien, pas même la date de son départ. Pour ma part, dans les formes de compensation matérielle que j’ai fournies à cette famille au fil de mes séjours (nourriture achetée régulièrement au marché, sommes d’argent), j’ai toujours eu à cœur de rester dans une logique du contre-don et non de la rémunération, qui serait offensante.

Le jour même de mon arrivée à Kina, après les salutations de rigueur et les présentations à MC, ID me propose de commencer mon « travail ». Le premier entretien s’effectue avec MC lui-même, puis on m’emmène voir le plus vieil « ancien élève » du village, Soumaïla Konaté.
Ces circonstances font que ces deux premiers entretiens ne se négocient pas comme je le souhaiterais. Tout d’abord, l’entretien se fait en présence de plusieurs personnes attirées par l’arrivée d’une étrangère, et que je n’ose congédier. Pour ce qui est de la traduction, une concurrence s’installe entre ID et l’instituteur actuel du village, dont l’exercice de traduction met à l’épreuve des compétences professionnelles (ils sont l’un et l’autre instituteurs dans des écoles bilingues). Dans cette situation, ID semble visiblement gêné de devoir traduire sous le contrôle de son successeur au poste de directeur de l’école et son cadet ; ce dernier n’hésite pas en effet à intervenir pour compléter voire corriger ses traductions, tout en ayant un penchant à suggérer les réponses qu’il pense être les « bonnes ». Quant à moi, face à des personnes qui occupent la place d’interprète pour me rendre service, je ne peux pas fixer moi-même des règles précises de traduction, et encore moins les faire reprendre quand je relève des imprécisions ou des incompréhensions (et je sais aussi que c’est la dernière fois que j’aurai à travailler avec ces personnes là, qui repartent à Fana le soir même, alors que je reste au village).
Malgré tout cela, il était important de tout faire pour rassurer les uns et les autres sur la nature de mon travail au village (les villageois qui me voyaient arriver, mais aussi ID qui engage sa responsabilité en me confiant à ses amis), et le mieux était à cet égard de commencer les entretiens comme on me le proposait très gentiment, mais sans trop me donner le choix. C’est ce contexte général qui explique que j’aie tenu à effectuer ces deux entretiens même si je n’ai pas eu la possibilité d’en définir complètement les conditions. L’assistance, le fait qu’on vienne le trouver à trois et qu’il soit sollicité en tant que premier ancien élève, premier maître d’alphabétisation, font de la parole de SK ce jour-là une parole publique.