Introduction

Les efforts concertés des organisations politiques autochtones et des organisations non gouvernementales occidentales ont débouché, dans ces trente dernières années, sur un développement spectaculaire de l’identité autochtone. Les autochtones ont cherché à redéfinir leur rapport aux gouvernements d’États dont ils dépendent et ont aspiré à être reconnus comme peuples, à être respectés dans leurs différences culturelles et à assumer un développement politique autonome (Morin & Saladin d’Anglure, 1995). Ils ont réinventé des identités ethniques plus stratégiques et opératoires et se sont imposés comme des interlocuteurs et des partenaires légitimes.

Ces mobilisations modulables et flexibles leur ont permis de faire face aux changements socio-économiques et politiques imposés par les sociétés dominantes. Elles ont été construites et déterminées, comme le montrent Françoise Morin et Bernard Saladin d’Anglure (1995), en fonction d’un contexte et sont donc diverses et variées. Certains peuples à l’exemple des Youkaguires de Sibérie nord-orientale ont réinventé leur ethnicité en réactivant leurs différences avec les autres groupes et en sollicitant l’aide du Groupe de Travail sur les Populations Autochtones (GTPA) de l’ONU. D’autres comme les Inuit ont transcendé leurs identités régionales et nationales et ont formé un front commun ethnique transnational. Enfin, les Indiens d’Amazonie se sont unis en un front panethnique transnational dans le cadre de la Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien (COICA) (1995 : 6-30).

En Amérique du Nord, les Indiens de la côte nord-ouest du Pacifique et en particulier les habitants des réserves de la région du Puget Sound dans l’État de Washington, ont décidé à la fin des 1980, de mettre entre parenthèses leurs différences, de valoriser leurs ressemblances et de construire une solidarité ethnique régionale afin de défendre leurs droits autochtones (cf. cartes I). Ils ont réactivé et réinterprété un élément ancien, le canoë, et ont organisé, comme l’avaient fait avant eux leurs ancêtres, des voyages en mer, des grands rassemblements intertribaux et des potlatch. Cette mobilisation leur a permis de restituer, de transmettre et de partager une culture commune et d’être « visible » au nouveau régional et national.

C’était le cas des Suquamish de la réserve de Port Madison avec lesquels j’ai travaillé depuis 1998 (cf. carte I). Ils avaient survécu au génocide (maladies, pauvreté) et à l’ethnocide culturel colonial (rôle des pensionnats, des églises) et étaient prêts à prouver au gouvernement fédéral leurs capacités à assumer un développement sociopolitique autonome et à devenir, tel était leur souhait, « a true independent sovereign nation […] a financially independent nation of people living on the Port Madison Indian Reservation, which owned and controlled by members who are grounded in their culture , drug and alcohol free, educated, healthy, and economically independent » (The Suquamish Tribe, 2002 : 7) 1 .

Carte I. Les réserves indiennes de l’État de Washington de nos jours.
Carte I. Les réserves indiennes de l’État de Washington de nos jours.

Carte redessinée d’après Porter III, Frank W., 1947, The Coast Salish Peoples.

Notes
1.

« Une véritable nation souveraine indépendante […] une nation financièrement indépendante vivant dans la réserve indienne de Port Madison, laquelle réserve est détenue et contrôlée par des membres qui sont éduqués, sobres, en bonne santé, économiquement indépendants et attachés à leur culture. ». The Suquamish Tribe, March 17, 2002, « Suquamish Tribe Vision Statement », General Council Handbook, p.7.