Chapitre I. Une problématique de l’ethnicité : cadre théorique et posture méthodologique

I- Le cadre théorique du concept d’ « ethnicité »

Dans les années 70, l’émergence et la construction de groupes ethniques comme groupes d’intérêts et sources de mobilisation collective sur la scène politique américaine, ont incité les sociologues et anthropologues américains à envisager, sous l’influence des travaux de Fredrik Barth, l’ethnicité, non plus comme un concept relevant d’une étude du processus d’intégration des immigrés mais d’une étude des facteurs qui expliquent la permanence et la revitalisation des liens ethniques dans la société américaine. La question de l’ethnicité n’est plus de savoir si elle a une importance mais comment et pourquoi elle a une importance (Poutignat & Streiff-Fenart, 1995). Comment et sous quelles conditions un groupe en vient-il à exister comme une entité ethnique consciente d’elle-même ? Dans quelles actions collectives ce ce groupe s’engage-il ? Comment l’ethnicité devient-elle un outil politique ? Quelles sont les conditions sociales, culturelles, économiques et politiques qui favorisent cette émergence sur la scène publique ?

Toutes ces questions relèvent d’une interrogation sur la mobilisation ethnique et la manière dont les groupes s’organisent et se structurent sur la base de l’identité ethnique. Je m’intéresse dans cette thèse à cette corrélation entre l’ethnicité et le développement sociopolitique des nations autochtones de l’Amérique du Nord de ces trente dernières années. J’essaie de comprendre comment ces groupes réorganisent leur identité ethnique afin de faire face aux changements socio-économiques et politiques imposés par la société dominante mais également afin d’assurer leur développement sociopolitique et construire leur souveraineté sur la base de trois principes : l’autonomie gouvernementale tribale (self-governance), l’auto-identification (self-identification) et le droit à l’autodétermination (self-determination).

J’utilise l’optique constructiviste de l’ethnicité de Joane Nagel (1993-94-96). Je m’intéresse aux travaux de Fredrik Barth et notamment à l’approche interactionniste, subjectiviste et situationnelle de l’ethnicité. Puis au mécanisme de construction politique mais également culturelle, sociale de l’ethnicité que Joane Nagel et Matthew Snipp (1993) définissent comme le mécanisme central du changement ethnique et appellent le processus de réorganisation ethnique. Ce concept permet de penser l’étude de l’identité ethnique contemporaine des nations indiennes en d’autres termes que l’assimilation, l’acculturation, l’annihilation, l’accommodation et de l’envisager en terme de persistance et de transformation, dans la modernité et le changement. Enfin, à l’instar de Cynthia Enloe (1981) et Joane Nagel, je considère que l’État fédéral est un acteur important de la création, de la reproduction et de la mobilisation de l’ethnicité et du développement politique autochtone.