1. Une optique constructiviste

L’œuvre de Barth comme référence

Fredrik Barth définit l’ethnicité comme « un concept d’organisation qui permet de décrire les frontières et les relations des groupes sociaux en termes de contrastes culturels hautement sélectifs qui sont utilisés de façon emblématique pour organiser les identités et les interactions » (Cité par Poutignat & Streiff-Fenart, 1995 : 200) et identifie les quatre problèmes clefs récurrents, quelque soit l’approche utilisée, dans les problématiques de l’ethnicité. Il y a tout d’abord l’attribution catégorielle par laquelle les acteurs s’identifient ou sont identifiés. Puis les frontières qui servent à la dichotomisation Nous/Eux. Ensuite les symboles identitaires qui fondent l’origine commune. Enfin, la notion de saillance ou mis en relief exprime l’idée que l’ethnicité est un mode d’identification parmi d’autres possibles. Ce mode d’identification ne relève pas d’une essence mais d’un ensemble de ressources disponibles suivant les situations (Poutignat, Streiff-Fenart & Bardolph, 1995 : 155-183). Pour Barth, les groupes ethniques « sont des catégories d’attribution et d’identification opérées par les acteurs eux-mêmes et ont la caractéristique d’organiser les interactions entre les individus » (1969. Trad. 1995 : 205). Les groupes ethniques sont en ce sens organisationnels. Les attributions catégorielles sont des catégories ethniques qui tiennent compte des différences culturelles mais ce contenu culturel est défini par les acteurs eux-mêmes. Il est donc difficile d’établir un lien univoque entre groupes ethniques et traits culturels. Il faut donc, selon Barth, définir le groupe ethnique à partir de la frontière ethnique et non du matériel culturel. L’ethnicité ne relève pas des différences culturelles observables mais plutôt des conditions dans lesquelles ces différences sont utilisées comme des symboles de la différenciation entre in-group et out-group. Il faut, rappelle t-il, « néanmoins prêter beaucoup d’attention à la revitalisation de certains traits culturels traditionnels choisis, et à l’instauration de traditions historiques pour justifier et glorifier les idiomes et l’identité » (Barth, 1969. Trad. 1995 : 244). Ces symboles, langue, danses, chants, us et coutumes, objets, deviennent des attributs ethniques et des marqueurs identitaires lorsqu’ils sont utilisés comme des marqueurs d’appartenance. Ils permettent l’émergence d’un processus d’identification flexible et modulable qui assure la persistance des différenciations ethniques lors des interactions sociales. Les groupes ne sont pas des entités stables mais des organisations en interaction avec un environnement soumis aux conjonctures et aux changements de la société dominante. Ce n’est pas, comme nous l’explique Poutignat & Streiff-Fenart, « le repli sur soi et l’isolement mais au contraire l’implication dans les activités et les rôles de la société globale qui rendent saillante la conscience ethnique » (1995 : 77). L’ethnicité est un processus qui permet de maintenir les frontières ethniques malgré les changements provoqués par les contextes socio-économiques et politiques des sociétés dominantes qui affectent la tradition et les « traits culturels ». L’ethnicité devient un outil de construction, de manipulation et de modification de la réalité. Elle est selon Poutignat & Streiff-Fenart « Un élément des négociations explicites ou implicites d’identité toujours impliquées dans les relations sociales . L’hypothèse est que, au cours de ces négociations, les acteurs cherchent à imposer une définition de la situation qui leur permette d’assumer l’identité la plus avantageuse » (1995 : 129).