Les différentes phases du processus de tribalisation

La réorganisation politique implique la modification des formes et des modèles d’organisation et de participation. Elle est indissociable dans le cas nord-américain du modèle de l’organisation tribale, du principe tutélaire et des politiques fédérales.

Le modèle tribal a été un instrument de la politique fédérale américaine et sa forme contemporaine est le résultat d’un processus de tribalisation. Ce processus est passé par plusieurs phases que l’on peut classer en trois périodes : la colonisation, l’assimilation, l’autodétermination « interne ».

Tout d’abord, le modèle tribal fut une réponse à la colonisation. Il servit à gérer la gestion du territoire et à éviter les conflits entre les Indiens et les Colons afin de mener à bien la construction d’un espace national américain. Le gouvernement fédéral regroupa les villages, les bandes et les familles sur des réserves pour « soit disant » les protéger des colons mais surtout permettre à ces derniers d’occuper de nouvelles terres. Des chefs tribaux furent désignés pour représenter ces nouvelles unités politiques tribales, pupilles de la nation américaine, lors de la signature des traités.

Puis, le modèle tribal devint un instrument de la politique fédérale assimilationniste. Le statut de « gardien de pupille » justifia les méthodes employées par le gouvernement pour socialiser les Amérindiens. Mais certains pensaient que ce paternalisme n’était pas suffisant et qu’il fallait une politique plus radicale mettant fin à la politique des traités et des réserves. Le gouvernement proposa avec la Dawes Act de 1887 de donner des parcelles de terre aux Indiens afin de développer chez eux un intérêt pour la propriété individuelle et de les éloigner de leur attachement communautaire, qui, paradoxalement était maintenu voire renforcé par le système tribal. Les frontières territoriales des réserves remplaçaient les anciens repères socioculturels communautaires. Elles donnaient aux tribus la possibilité de maintenir un esprit communautaire et de renforcer l’unité tribale. Les réserves donnaient selon Cornell « physical reality to tribal boundaries once primarily culturally defined » 17 (1988 : 35).

La Dawes Act devait rendre l’entité politique, économique et territoriale tribale obsolète et mettre fin au processus de tribalisation. Cela n’eut pas lieu. Certes les tribus perdirent un nombre important de terres tribales au profit des propriétaires blancs mais leur structure tribale et le système des réserves furent maintenus voire renforcés dans les années 1930.

Ces années furent un tournant du processus de tribalisation. Le modèle tribal n’était jusqu'alors qu’un instrument, un sous-produit (byproduct) (Cornell, 1988) de la politique fédérale. Il devint avec l’adoption en 1934 de l’Indian Reorganization Act, l’élément central de la réorganisation de la politique fédérale indienne. L’État donna la possibilité aux tribus qui le souhaitaient et qui en avaient les compétences, de constituer des gouvernements tribaux. Le gouvernement imposa une fois de plus un modèle tribal uniforme proche du modèle américain avec l’établissement de conseils, de constitutions et de gouvernements mais reconnut le statut politique des tribus et leur donna l’occasion de s’approprier progressivement une souveraineté interne. Mais le chemin fut long et chaotique. Le processus fut une nouvelle fois perturbé par le vote, le 1er août 1953, de la Résolution 108. Cette résolution mit officiellement fin à la responsabilité fédérale en matière d’Affaires Indiennes et préconisa une nouvelle fois l’assimilation à travers une politique de liquidation appelée Termination Policy. Les tribus touchées par cette décision perdirent leur statut juridique de tribus domestiques, dépendantes. Elles n’étaient plus pupilles de la nation. Elles ne dépendaient plus de l’autorité fédérale et du Bureau des Affaires Indiennes mais du pouvoir de juridiction des États. Elles n’avaient donc plus accès aux programmes d’aides fédérales (logement, éducation, santé, subvention à l’industrie et à l’élevage).

En signe de protestation, des groupes intertribaux urbains commencèrent à se regrouper. Ils firent naître une conscience indienne, une nouvelle affirmation de l’indianité et une solidarité ethnique nationale qui contribua à cristalliser le mouvement intertribal et supratribal indien des années 60 et 70. Le processus de tribalisation put se poursuivre et entra à mon avis, dans sa dernière phase, celle d’une « réorganisation effective » reposant sur la « self-determination » et la « self-governance » avec deux lois majeures : l’Indian Self-Determination and Education Assistance Act de 1975 et le Tribal Self-Governance Act de 1994. Cette nouvelle orientation politique dite de l’ « autodétermination » ouvre la voie à un équilibre entre droit des Indiens et devoir du gouvernement fédéral et pose la question de la définition du droit à l’autodétermination et de la souveraineté tribale.

Notes
17.

« une réalité physique à des frontières tribales qui, à l’origine, étaient culturellement délimitées. »