3. Le droit à l’autodétermination et à une souveraineté : une question politique

Je pose pour terminer juste quelques notions clefs de cette problématique du droit à l’autodétermination afin de pouvoir comprendre son utilité stratégique dans la revendication autochtone nord-américaine, très marquée par l’histoire de la politique américaine et la relation tutélaire que les nations indiennes entretiennent avec l’État fédéral.

Le droit à l’autodétermination est défini par le droit international dans l’article 1 commun aux deux pactes internationaux 20  : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel » (Léger, 2002 : 3). Ce droit est considéré comme un attribut de tous les peuples et est perçu comme un outil essentiel à la survie et à l’intégrité culturelle des sociétés. Cependant, il n’est pas encore reconnu aux peuples autochtones.

Ces derniers ont longtemps été considérés par l’ONU comme des minorités jusqu’à ce que le Conseil Économique et Social autorise en 1971 la « Sous-commission pour la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités » à entreprendre une étude sur la discrimination à l’encontre des populations autochtones. Martinez Cobo, diplomate équatorien, fut chargé de cette étude qui dura plus de douze ans et qui identifiait pour la première fois les peuples autochtones comme une catégorie distincte (Morin, 2005 : 37).

Lors de la conférence sur la « discrimination contre les populations autochtones des Amériques » 21 en 1977, une centaine d’Amérindiens rejetèrent le statut de « minorité », revendiquèrent celui de « peuple autochtone », demandèrent la révision de la Convention n°107 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la création d’un Groupe de Travail sur les Populations Autochtones (GTPA). Ce Groupe fut mis en place en 1982 par le Conseil Économique et Social et fut composé de cinq experts indépendants, membres de la « Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme », et ouvert aux représentants autochtones. Il fut chargé pendant plus de vingt ans de soumettre des propositions pour remédier à la discrimination des peuples autochtones et de promouvoir le respect de leurs droits individuels et collectifs (Morin, 2005-07). Il proposa un projet de déclaration universelle sur les droits des peuples autochtones composé de 45 articles, dont l’article 3 stipulant que : « Les peuples autochtones ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel » 22 . Plusieurs articles énumèrent les éléments constitutifs du droit à l’autodétermination, pierre angulaire de la Déclaration . Ils décrivent également les normes minimales permettant la survie des sociétés autochtones et les champs d’actions nécessaires à leur développement économique, social et culturel. Ce projet a été adopté le 29 juin 2006 par 30 États sur 47 23 siégeant au Conseil des Droits de l’Homme (CDH). Il a reçu l’approbation de l’Assemblée Générale, le 13 septembre 2007. Cette date est historique dans l’histoire des peuples autochtones car 143 États sur 158 ont voté pour cette Déclaration. Ce texte est purement symbolique et n’engage pas les États d’un point de vue législatif. La Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail reste donc à l’heure actuelle, le seul texte contraignant pour les pays l’ayant signé. Cette Convention est une révision de la Convention n°107. Elle a été adoptée en 1989 et ratifiée par 14 pays. Elle reconnaît le particularisme et certains droits collectifs et utilise le terme de « peuple » qui n’a cependant aucune implication et valeur au niveau du droit international comme le stipule l’article 1, al. 3 « L’emploi du terme « peuples » dans la présence convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s’attacher à ce terme en vertu du droit international » (Schulte-Tenchkoff, 1997 : 199). Elle accorde une place au respect des cultures, des modes de vie des peuples autochtones et tribaux et reconnaît leur droit à l’existence en tant que collectivités distinctes. C’est une avancée dans la reconnaissance de certains droits collectifs jusque là ignorés et non reconnus.

Certains peuples autochtones comme les nations indiennes nord-américaines n’ont pas accès à cet instrument juridique. Les États-Unis n’ont pas ratifié cette Convention et ont voté contre la Déclaration. Car le terme « peuple » n’est pas assorti de la clause stipulée dans l’article 1, al. 3 de la Convention n°169 et le terme « autodétermination » n’est pas formulé en ces mots : « autodétermination interne » ou « autonomie gouvernementale » ou « auto-administration » à l’intérieur de l’État (Clech Lâm, 2002 : 26).

Les États-Unis rejettent donc le sens intégral du droit à l’autodétermination alors que l’histoire américaine atteste que le gouvernement fédéral a reconnu le statut d'entités pleinement souveraines aux nations autochtones américaines avant de devenir des entités dites autogouvernées à qui on n’accorde plus qu’une souveraineté interne, souvent très limitée.

La définition de l’autodétermination admise par les États-Unis n’a aucune signification en droit international et est sujette à l’interprétation de la Cour suprême qui est investi d’un plein pouvoir, bien entendu unilatéral, sur les nations indiennes (Clech Lâm, 2002 : 26-27). Or ce que ces peuples autochtones cherchent avant tout dans ce droit, ce n’est pas une sécession mais une association avec les États dans lesquels ils vivent. Mais tant que celui-ci relèvera des institutions et des gouvernements qui sont constamment remplacés et changés, ils ne pourront pas bénéficier de ce que Erica-Irene Daes, considère comme un « droit de revendiquer un véritable partenariat démocratique » (Bill Jonas, 2002  : 44). Sauf si le droit international leur permet d’acquérir une personnalité juridique internationale qui leur donne la possibilité de négocier avec les États, de faire appel à la communauté internationale lorsque leurs droits collectifs sont bafoués et de prendre part aux instances internationales (Clech Lâm, 2002 : 18-25).

En attendant, les nations indiennes ne restent pas inactives. Elles procèdent à une réorganisation à la fois culturelle, sociale, économique et politique de leur organisation tribale dans le but de s’assurer un développement sociopolitique plus autonome et de se réapproprier une identité collective. Les tribus souhaitent être maîtres de leur destinée. Elles veulent gérer et résoudre les problèmes sociaux (alcoolisme, drogues, violence, échec scolaire) et économiques des réserves. Cette action leur permet d’interroger le principe de l’autodétermination proposé par l’État et de participer à cette réflexion sur le droit à l’autodétermination des peuples autochtones en utilisant un autre terme plus adéquate au contexte sociopolitique de leur pays, celui de « independent sovereign nation ». Ce terme permet de penser l’autodétermination dans son sens intégral et non plus au sens ou l’entend le Congrès.

Notes
20.

Le premier pacte est consacré aux droits civils et politiques et le second aux droits économiques, sociaux et culturels.

21.

L’International Indian Treaty Council est chargé par l’ONU d’organiser la participation autochtone.

22.

Droits et Démocratie, 18 mai 2002, « Séminaire Droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Exposés des participants et synthèse des discussions », Droits et Démocratie, New York, [en ligne], http://www.ichrdd.ca , (consulté le 20 mars 2006).

23.

Le Canada et la Russie en autre votèrent contre. Quant aux Etats-Unis, ils ne siègent pas au Conseil des Droits de l’homme.