1. La réserve de Port Madison

Comparée à d’autres réserves de la côte du Pacifique, je pense à la réserve s’kallam de Port Gamble, située à trente minutes de Port Madison, ou encore à la réserve makah de Neah Bay au nord-ouest de l’État de Washington, ou bien plus au sud, la réserve quinault de Taholah (cf. carte I), la réserve de Port Madison est beaucoup moins isolée. Elle est à proximité du grand centre urbain de Seattle et est enclavée par des petites villes au caractère rural comme Poulsbo, Kingston et Bainbridge, qui sont devenues ces dernières années des lieux de villégiature pour les citadins de Seattle et des cités dortoirs pour les travailleurs du Comté de King (cf. carte III).

La population blanche est très présente dans cette réserve. D’après le recensement de 1994 du Bureau des Affaires Indiennes 24 , il y avait 6.418 habitants dont 408 étaient d’origine suquamish (en 1994, le nombre d’Indiens recensé comme Suquamish était de 753), 150 d’une autre origine indienne et 5.860 étaient des non-Indiens. La population non-indienne représentait plus de 90% et ce pourcentage n’a pas véritablement changé ces dernières années 25 .

Carte III. La route 305
Carte III. La route 305

Carte redessinée d’après les données du Washington State Department of transportation, 1997.

Ceci s’explique en grande partie par un fait historique, la loi Dawes ou loi du morcellement des terres de 1887. Il faut rappeler que les Suquamish obtinrent lors de la signature du traité de Point Elliott en 1855, un territoire tribal de 7284 acres 26 . Mais durant la loi Dawes, la réserve fut divisée en deux types de parcelles de terre. Tout d’abord il y a les trust status. Ces terres indiennes sont sous tutelle fédérale et sont destinées à la tribu, « tribal trust » (126 acres : cf. légende carte IV, parcelles oranges) et à ses membres tribaux, « individual allotments » (2787 acres : idem, parcelles oranges). Puis il y a les fee status . Ces parcelles ne sont pas sous tutelle fédérale et sont des propriétés privées. La plus grande partie est possédée par des non-Indiens, « Non-Indian owned » (4698 acres : cf. légende carte IV, parcelles rayées). Le reste est détenue par la tribu, « tribally owned » (151 acres : cf. légende carte IV, parcelles en noir). La réserve suquamish est donc détenue à 60,52% par des propriétaires non-indiens, et à seulement 1,96% par la tribu. Les 37,52% restant représentent des terres sous tutelle fédérale occupées par la tribu et ses membres.

Carte IV. Répartition des terres de la réserve suquamish.
Carte IV. Répartition des terres de la réserve suquamish.

Carte : Geographic Information System (GIS) Program, 1988, The Suquamish Tribe.

La situation a un peu changé ces dernières années. La tribu a acquis une autonomie gouvernementale qui lui a permis une meilleure protection du territoire indien et une réappropriation lente mais progressive des terres en fee status 27 . La tâche reste difficile, car ces terres sont très prisées par les citadins et leur prix est très élevé.

Cette réserve comme beaucoup de réserves du Puget Sound est située dans un environnement naturel très agréable et riche en ressources naturelles. Le territoire est peuplé d’immenses forêts de cèdre et d’épicéa. Les fronts de mer sont nombreux et abondants en coquillages et en crustacés. Je me souviens encore de la première fois où je pris le bateau à Seattle pour rejoindre l’île Bainbridge où je devais prendre un bus en direction du Suquamish Museum. Tout le long de la traversée, je pouvais apercevoir, le ciel était dégagé, sur ma droite le Mont Rainer et à l’horizon les Olympics Mountains. Une fois sur l’île, je pris en bus la route 305 qui relie Bainbridge à Poulsbo. Le paysage alternait entre forêts de cèdre, d’épicéa et fronts de mer. L’entrée de la réserve se trouvait juste après le pont Agate Passage (cf. carte V). Sur la droite, il y avait deux panneaux. Le premier (cf. photo I) informait qu’on était entré dans la réserve de Port Madison. Le deuxième indiquait la direction à prendre pour se rendre à la Ole-Man-house (ancien site de la maison communautaire suquamish) et sur la tombe du chef Sealth dans le village Suquamish (cf. photos IV et V). Sur la gauche, on pouvait apercevoir le casino suquamish ClearWater (cf. photos II et III).

Je descendis à cet arrêt et je dus marcher un quart d’heure le long de la route 305 pour arriver au Centre tribal et au musée. Il fallait autant de temps en bus, direction Kingston, pour rejoindre le village Suquamish où se trouvaient une église, un cimetière (tombe du chef suquamish), une petite épicerie, un centre postal, une caserne de pompier, deux restaurants, une école élémentaire et les locaux du Youth Center , du Wellness Program et de la cour tribale. Quant à la pisciculture de la tribu, elle était installée à quelques kilomètres de là, toujours en direction de Kingston, près du village Indianola où se trouvait essentiellement des résidences (cf. carte V).

La réserve est desservie par les lignes de bus Bainbridge/Poulsbo/Kingston. Ces lignes ont été mises en place par le Comté de Kitsap pour faciliter les trajets des habitants de ces petites villes dont une grande partie travaille à Seattle. Les bus sont plus ou moins nombreux suivant les horaires de la journée. Ils ne circulent que jusqu'à une certaine heure et desservent que la route 305 et la route en direction du Kingston (Suquamish Way et Miller Bay Rood. Cf. carte V). Je profitais donc des déplacements des employés du Centre tribal, du Youth Center et du Wellness Program pour me déplacer dans et en dehors de la réserve. Ces occasions étaient aussi pour moi un moyen de rencontrer des gens, de discuter et de me faire des amis.

Carte V. Les frontières d’aujourd’hui du territoire tribal des Suquamish.
Carte V. Les frontières d’aujourd’hui du territoire tribal des Suquamish.

Carte :The Suquamish Tribe, Tribal Center.

Photo I. L’entrée de la réserve de Port Madison.
Photo I. L’entrée de la réserve de Port Madison.

Sur le panneau vert, on peut lire : Suquamish Indianola, Old Man House, Chief Seath’s Grave. Quant au panneau blanc : Entering Port Madison Reservation. Suquamish Tribe, Welcome you. Photo : R. Merlet (1999).

Photo II. Casino temporaire suquamish
Photo II. Casino temporaire suquamish Clearwater. Réserve de Port Madison.

Photo : R. Merlet (1999).

Photo III. Les nouveaux bâtiments du casino suquamish
Photo III. Les nouveaux bâtiments du casino suquamish Clearwater inauguré en juillet 2003. Réserve de Port Madison.

Photo : site internet de la tribu suquamish.

Photo IV. La tombe de Seattle protégée par deux longs canoës. Village Suquamish. Réserve Port Madison.
Photo IV. La tombe de Seattle protégée par deux longs canoës. Village Suquamish. Réserve Port Madison.

Photo : R. Merlet (1999).

Photo V. Pôle Joe Hillaire. Village Suquamish. Réserve de Port Madison.
Photo V. Pôle Joe Hillaire. Village Suquamish. Réserve de Port Madison.

Photo : R. Merlet (1999).

Cet environnement naturel idéal ne permet pas aux Suquamish d’échapper aux problèmes que vivent la plupart des Indiens dans les réserves. Le taux de chômage est très élevé, il y a peu de travail. Seul le casino et les activités de la pêche sont des sources de revenu. Les problèmes liés à l’alcoolisme, aux drogues sont très nombreux. Beaucoup d’enfants sont en échec scolaire et arrêtent très tôt l’école. Certains ne finissent pas leurs études secondaires et très peu de jeunes poursuivent des études supérieures. La situation s’est améliorée ces dernières années grâce aux différents programmes mis en place par la tribu et aux bénéfices que le casino Clearwater accumule progressivement depuis son agrandissement en 2003.

Notes
24.

Ces sources proviennent du Bureau des Affaires Indiennes et m’ont été transmisses par le Suquamish Tribe GIS (Geographic Information System).

25.

En 2000, le BIA a estimé le nombre d’habitants dans la réserve à 6536 dont seulement 497 étaient d’origine suquamish. Le nombre d’Indiens recensé comme Suquamish était de 900. Suquamish Tribe, 2000, General Council Handbook, Annual General Council.

26.

Ce territoire a été agrandi par un ordre exécutif le 21 octobre 1864. Il est aujourd’hui de 7762 acres. Un acre est équivalent à 0,4047 hectare.

27.

Les terres où se trouvent le casino Clearwater, le Suquamish Museum, le Centre tribal, la station service, la Ole-Man-House et la Kiana Lodge (ces terres ont été acquises en 2004) sont des terres en fee status qualifiées de « tribally owned ». Le 12 août 2004, la Washington State Parks Commission a décidé de redonner les terres du Old Man House State Park à la tribu suquamish. Ce territoire avait été vendu par la tribu dans les années 1904 à l’armée U.S. Voir l’article de Heffter, Emily, August 13, 2004, « State Gives Historic Park to Suquamish Tribe », The Seattle Times, [En ligne], http://archives.seattletimes.nwsource.com. Les terres où sont situés le cimetière et la pisciculture se trouvent à l’extérieur du territoire tribal mais sont considérées comme tribally owned.