2. Des rencontres déterminantes

Il m’a fallu des années pour saisir ce qui se passait en dehors du Centre tribal, me retrouver au cœur des activités de la réserve et partager le quotidien et les problèmes des Suquamish. J’ai tout d’abord été bénévole au Suquamish Museum en 1998. Ce statut a légitimé ma présence au sein du Centre tribal. J’ai pu circuler dans les locaux, discuter avec les gens et me rendre compte que la tribu participait chaque année à un voyage annuel en canoë. Cette odyssée avait lieu tous les étés depuis six ans et durait trois semaines.

C’est au cours de cet été 1998 que j’ai rencontrai Ed Carriere dans une galerie d’art de Bainbridge. Il y présentait la technique du tissage. Ed était un aîné de la tribu suquamish et un tisserand réputé. Il était l’arrière petit fils de Julia, la fille adoptive du dernier chef indien suquamish Wah-hehl-tchoo et de Wes-i-dult. Au fil de nos nombreuses conversations, il me parla de sa passion et son intérêt pour le voyage annuel. Ed avait déjà pris part à quelques unes de ces odyssées et était propriétaire de deux canoës. Il pensait à l’époque, participer l’année suivante, au défi lancé par la tribu ahousaht (Colombie Britannique). Il s’agissait de voyager en canoë jusqu’au territoire ahousaht où un grand potlatch attendait les équipages. Voyant mon intérêt pour cet événement, il me proposa d’être l’un des membres de son équipage. Je souhaitais de l’immersion, être plus proche des Suquamish, je ne pouvais pas refuser. D’autant plus que cette invitation venait d’une personne très appréciée, respectée et reconnue par la communauté et me permettait de légitimer ma présence dans ce voyage et d’une manière générale dans la réserve. Grâce à la générosité de Ed, les Suquamish allaient apprendre à me connaître et accepteraient peut être de partager leur quotidien et leurs histoires de vie.

Je fis donc mon premier voyage le long de la côte du Pacifique et l’expérience de la navigation en canoë de haute mer et des rassemblements intertribaux en 1999. Cette initiation fut à la fois physique et spirituelle. J’y reviendrai plus longuement dans le chapitre IV. Ce voyage était très différent de toutes ces fêtes comme par exemple les Pow-Wow, auxquels pouvaient participer les touristes. Il représentait un rite de passage pour les participants et pour moi-même. C’était l’occasion de me faire accepter par la tribu, de m’initier à cette culture et de commencer à comprendre cette façon particulière qu’avait les Indiens de penser le monde. Cette expérience me donna également l’opportunité de rencontrer un autre membre suquamish, Peg Deam, spécialiste culturelle et responsable du groupe de danse de la tribu. Peg m’informera pendant toutes ces années de recherche des différents projets et activités de la tribu, me laissera suivre et prendre part à ceux du groupe de danse et m’initiera à la collecte et au tissage du cèdre.

Ce voyage fut l’objet de mon mémoire de Dea intitulé « Le rôle du canoë dans la résurgence culturelle des Indiens de la côte nord-ouest du Pacifique ». Cette recherche montrait que la plupart des communautés de la Côte, c’était le cas des Suquamish, ne maîtrisaient pas encore toutes les cérémonies, les usages et coutumes associés à ces rassemblements mais qu’elles y travaillaient et étaient enthousiastes à l’idée de participer au voyage annuel. Il me semblait que quelque chose était en train de se jouer autour du canoë et qu’il allait être intéressant dans le cadre d’une thèse de voir comment cet intérêt pour le voyage et le canoë allait évoluer dans les années à venir.

Ainsi, j’ai commencé ma thèse sous la direction de Philippe Jacquin, puis ce dernier nous ayant quitté, j’ai poursuivi mes recherches sous la direction de Françoise Morin. Mon objectif était de continuer à m’informer et à suivre toutes les activités de la tribu qui étaient liées de près ou de loin au canoë et au voyage. Pendant plus de trois ans, j’ai fait des allées et retours entre la France et les États-Unis afin de participer à un deuxième voyage, en préparer un troisième et enfin suivre un projet de construction d’un canoë de mer.