1. Un mode de vie nomade.

Les Suquamish occupaient des camps et des villages près de Elwood (région de Tacoma), Erland’s Point (Silverdale), Colby, Chico, Phinney Bay (Seattle), l’île Bainbridge (Port Madison) et Whidbey (près de Admiralty Inlet) (cf. carte IX).

Carte IX. Villages des Suquamish (en bleu).
Carte IX. Villages des Suquamish (en bleu).

Carte : University of Washington, Map of Puget Sound and Vicinity, Library Digital Collection, Plate XXXII.

Cette répartition particulière du temps et de l’espace était étroitement liée à leur mode de subsistance car comme le dit George Emerson dans le livre Courage to Follow the Vision. The Journey of Lyle Emerson George 36 :

‘« My ancestors were a nomadic people they moved from place to place with the cycle of the sun and moon. Everything had a rhythm…a seasonal rhythm….time for berries and a time for salmon… a time for shellfish and a time for venison » 37 .’

Les Suquamish étaient comme tous les habitants de la côte, des nomades, pêcheurs et chasseurs-cueilleurs. Ils se déplaçaient au rythme des saisons en utilisant des canoës de mer ou de rivière et puisaient dans le milieu naturel les ressources indispensables à leur survie et à la vie sociale et politique de leurs villages. Durant la période d’avril à octobre, ils s’installaient dans des camps (cf. photo VI).

Photo VI. Camp du Puget Sound. Photographié par Edward S. Curtis, Seattle, 1912.

Photo : EdwardS. Curtis’s “The North American Indian”, [digital edition], Northwestern University, ID. ct09006.

Les femmes collectaient le long des plages des crustacés, des mollusques et ramassaient en forêt des baies, des racines et des rhizomes. Elles travaillaient l’écorce du cèdre rouge de l’Ouest et réalisaient des paniers (cf. photo VII), des couvertures, des cordes, des nattes et des vêtements (cf. photo VIII). Elles associaient souvent à cette matière très résistante à l’eau, de la laine de bouc des montagnes et des poils de chien. Ces matériaux étaient plus difficiles d’accès et étaient souvent des signes de richesse et le symbole d’une position sociale élevée. La robe de cèdre était le vêtement le plus porté au quotidien mais lors des cérémonies, les nobles portaient des robes en laines de bouc ainsi que des colliers de coquillages, dents et de griffes et des chapeaux en cèdre.

Photo VII. Paniers du Puget Sound. Photographiés par Edward S. Curtis, Seattle, 1912.
Photo VII. Paniers du Puget Sound. Photographiés par Edward S. Curtis, Seattle, 1912.

Photo : Edward S. Curtis’s “The North American Indian”, [digital edition], Northwestern University, ID.ct09017

Photo VIII. Jeune fille muckleshoot habillée d’une jupe et d’une cape en cèdre. Photographiée vers 1910.
Photo VIII. Jeune fille muckleshoot habillée d’une jupe et d’une cape en cèdre. Photographiée vers 1910.

Photo : Smithsonian, NAA : 79-4346. Suquamish Tribe Archives (STA) 0901

Les hommes établissaient des barrages dans les rivières, le long des plages et utilisaient des filets ou des lances pour pêcher le saumon durant la période de frai entre mai et septembre. Le saumon constituait leur nourriture de base qu’ils complétaient par d’autres espèces de poissons et par la chasse de l’élan et du cerf. Les Lushootseed le considéraient comme une personne. Ils pensaient que durant la période de frai, son esprit prenait l’apparence du saumon et se sacrifiait pour les pêcheurs. Ils devaient donc jeter ses arêtes à l’eau pour que ce dernier puisse retourner dans la mer, retrouver sa forme humaine et assurer pour l’année suivante le renouvellement du cycle de sa vie (Thrush, Coll-Peter) 38 .

Les techniques de pêche étaient donc associées à un ensemble de rituels qui leur permettaient d’entretenir de bonnes relations avec la nature. La première prise était toujours suivie de la cérémonie du « First Salmon » 39 . Le notable le plus riche, autrement dit le « chef » 40 , organisait un grand potlatch appelé sgwē’gwē en l’honneur de cet être de la nature et pour maintenir les relations entre les « Human People » et les « Salmon People » (Thrush, Coll-Peter). On retrouve à travers le terme de « People », cette idée que Philippe Descola a développée dans ses recherches sur la socialisation de la nature chez les Achuars :

‘« […] pour les Achuars […] tous les êtres de la nature possèdent quelques attributs de l’humanité, et les lois qui les régissent sont à peu près identiques à celles de la société civile. Les hommes et la plupart des plantes, des animaux et des météores sont des personnes (aents) dotées d’une âme (wakan) et d’une vie autonome » (1986 : 119). ’

Les hommes s’adonnaient également à la sculpture de canoës. Ils utilisaient le cèdre rouge de l’Ouest 41 pour fabriquer des embarcations de style coast salish, très répandues dans le détroit de Georgia, dans le Puget Sound et sur le cours inférieur de la rivière Fraser. On les reconnaissait à leur poupe et leur proue horizontales et à l’encoche taillée de leur proue (cf. carte X et photo IX : embarcation du fond). Ce style se retrouvait dans les types freight canoe et women’s canoe qui servaient au transport des biens. Mais aussi dans le modèle two or three man’s canoe qui était utilisé pour la chasse et que l’on retrouvait dans une version plus petite comme le one man’s canoe. Ensuite, il y avait le knockabout, un canoë à la proue et la poupe identiques, utilisé occasionnellement par les enfants et les adultes. Enfin, il y avait le modèle shovelnose river canoe plus approprié pour la navigation le long des rivières du Puget Sound (cf. carte X). Ce type d’embarcation était propulsé à l’aide d’un bâton plutôt que d’une pagaie 42 . (Suttles & Lane, 1990 : 485-502).

Photo IX. Sur la rivière Skokomish. Photographiée par Edward S. Curtis, Seattle, 1912.
Photo IX. Sur la rivière Skokomish. Photographiée par Edward S. Curtis, Seattle, 1912.

Photo : Edward S. Curtis’s “The North American Indian”, [digital edition], Northwestern University, ID.ct09024.

Les Suquamish avaient également accès au modèle nootkan très adapté à la navigation en haute mer, car comme la plupart des Salish du Sud, ils conservaient de bons rapports avec les Salish du Sud-Ouest. Ces derniers entretenaient des relations commerciales avec des groupes du Nord tels que les Clayoquot (Nootkan du Centre) et les Nitinat (Nootkan du Sud) de l’île de Vancouver qui fabriquaient ce type de canoë et qu’ils échangeaient contre des biens rares dans leur région. On le reconnaissait à sa poupe verticale constituée d’une petite plate forme surélevée et à sa proue sculptée de façon à représenter une tête d’animal (cf. carte X et photo VIII : canoë de gauche).

Carte X. Les différents styles de canoës de la Côte nord-ouest.
Carte X. Les différents styles de canoës de la Côte nord-ouest.

Carte : Lincoln, Leslie, 1991, Coast Salish Canoes.

Le canoë était un moyen de transport. Il permettait de pêcher et de chasser, de transporter de la nourriture, de changer de lieu de résidence en fonction des saisons et de prendre part à des cérémonies, des fêtes et des potlatch. A cette occasion, de larges embarcations cérémonielles transportaient des villages entiers, ainsi que d’importantes quantités de nourriture, qui contribuaient à maintenir les relations, les réseaux sociaux et les intermariages entre les bandes et entre les familles (Durham, 1960 : 40-82). Les hommes l’utilisaient pour organiser des raids et procéder à des pillages, à des expansions territoriales et au transport des esclaves. Ces incursions en territoire ennemi permettaient d’accroître le prestige du « chef » de guerre, de sa famille et de sa bande.

Cette embarcation était présente à toutes les périodes de la vie. A la naissance, elle représentait en quelque sorte le berceau de l’enfant. Au mariage, elle était utilisée comme un apparat et un bien d’échange. Lors des potlatch, elle servait de plats pour nourrir la foule durant les cérémonies. A la mort, elle servait de tombeau pour les marins et symbolisait le pont entre le monde des hommes et le monde des âmes (Durham, 1960 : 41).

Enfin, elle était un objet de prestige d’une très grande valeur économique. Lors des cérémonies du potlatch notamment chez les Kwakiutl (Southern Kwakiutl) de Fort Rupert qui étaient connus pour leurs « cérémonies à canoës » et en particulier chez les Lekwiltoq (Lexwildaxw), tribu la plus méridionale des Kwagul (Kwakiutl), on l’utilisait systématiquement comme un bien de prestige que l’on distribuait aux invités alors que les autres Kwagul utilisaient les Cuivres. Le canoë était le privilège des personnes de haut rang et était important dans les potlatch matrimoniaux (Mauzé, 1989 : 117-122).

Notes
36.

Dans le livre Courage to Follow the Vision. The Journey of Lyle Emerson George, Tom Wilson donne la parole à George Emerson, vice-chef puis chef de la tribu suquamish au milieu des années 1980. Il vit actuellement avec sa femme Sue sur les terres de ses ancêtres sur la réserve suquamish de Port Madison, entre l’île Bainbridge et Poulsbo à 3O minutes de la ville de Seattle dans l’État de Washington.

37.

« Mes ancêtres étaient des nomades, ils se déplaçaient de place en place au rythme du cycle du soleil et de la lune. Chaque chose avait un rythme…un rythme saisonnier….un temps pour les baies, un temps pour le saumon, un temps pour les fruits de mer et les venaisons. »

38.

Thrush, Coll-Peter, « American Indians of the Pacific Northwest », Essay, Site of Digital Collections, Special Collections , University of Washington Libraries, [En ligne], http : //content.lib-washington.edu/sc.html, (consulté le 5 juin 2006).

39.

Consulter Gunther, Erna, 1926, « A Further Analysis of the First Salmon Ceremony », American anthropologist 2 (5) : 129-173.

40.

Le terme de « chef » n’existe pas dans la langue lushootseed. C’est une invention coloniale. Je le mets donc entre « ».

41.

Le cèdre rouge de l’Ouest « the western red cedar » est essentiellement utilisé dans la réalisation des canoës, des planches de maison et des poteaux. C’est un bois léger, flexible, dur et résistant.

42.

Les pagaies avaient différentes formes suivant les usages et les lieux d’utilisation. Elles étaient toutes en bois de cèdre jaune, rouge ou en if et en érable. On trouvait des pagaies avec des lames en forme de losange, plus ou moins pointues et aérodynamiques. Ces dernières permettaient de pagayer sans bruit et d’approcher des proies endormies qui étaient plus faciles à chasser. Elles pouvaient aussi servir d’arme durant la guerre. Il y avait également celles que l’on utilisait comme gouvernail, ce modèle était plus long (environ deux mètres dix). Les pagaies étaient peintes en noir et sans ornement.