1. Les écoles indiennes

Le gouvernement fédéral s’engageait, dans l’article XIV du traité du Point Elliott, à ouvrir des écoles indiennes dans le Puget Sound et à prendre en charge les frais de scolarité durant une période de 20 ans. Ces écoles 100 suivaient les directives du Bureau des Affaires Indiennes (cf. photo XIII). Elles essayaient d’éloigner les enfants de leur tradition afin de leur transmettre les croyances et les valeurs des Blancs.

Les enfants avaient un nouveau prénom, portaient des uniformes standards (les garçons avaient les cheveux courts), apprenaient l’anglais et n’avaient pas le droit de parler une autre langue. Ils passaient la moitié de la journée en classe et l’autre moitié à l’extérieur, à s’adonner à des activités manuelles. Les garçons apprenaient à faire pousser des légumes, à labourer, à traire les vaches et à réparer les machines agricoles (cf. photo XIV). Les filles apprenaient à coudre les uniformes, les draps et aidaient à préparer les repas en cuisinant les légumes cultivés par les garçons (cf. photo XV). Les représentants du Bureau des Affaires Indiennes pensaient que ces activités apporteraient aux Indiens, contrairement aux activités intellectuelles, l’indépendance économique. En réalité, ils contrôlaient leur assimilation, en les cantonnant à des métiers manuels et en les empêchant de gravir l’échelle sociale, d’exercer de hautes fonctions et de faire partie de l’élite.

Photo XIII. Enfants devant le dortoir des filles de l’école indienne tulalip. Photographiés par Brady Ferd, Seattle, 1912.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Museum of History and Industry, Seattle, MOHAI : 88.11.13.

Photo XIV. Les garçons de l’école indienne tulalip dans les champs. Photographiés par Brady Ferd, Seattle, 1912.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Museum of History and Industry, Seattle, MOHAI : 88.11.7.

Photo XV. Les filles de l’école indienne tulalip dans les cuisines. Photographiées par Brady Ferd, Seattle, 1912.
Photo XV. Les filles de l’école indienne tulalip dans les cuisines. Photographiées par Brady Ferd, Seattle, 1912.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Museum of History and Industry, Seattle, MOHAI : 88.11.16.

Dans cet environnement à l’encadrement très militaire, les enfants avaient peur, se sentaient seuls et loin de leur famille. Ils fuguaient souvent mais étaient rapidement retrouvés et à titre d’exemple étaient sévèrement punis. Ces établissements étaient surpeuplés et les soins étaient sommaires. Les maladies étaient fréquentes comme la tuberculose, la grippe et la rougeole et des enfants mouraient. Les parents se sentaient coupables de laisser leurs enfants dans ces écoles mais ils n’avaient pas le choix. Ils risquaient la prison et de ne plus recevoir l’aide fédérale s’ils n’envoyaient pas leurs enfants à l’école (Marr, Carolyn J.) 101 .

Les Suquamish comme tous les enfants indiens furent envoyés dans ce type d’écoles notamment dans le pensionnat de la réserve puyallup 102 à Tacoma (cf. photo XVI), dans l’école indienne tulalip (cf. photo XIII) ou encore dans des pensionnats de l’Oregon et de Californie.

Photo XVI. Industrial Boarding School. Pensionnat, réserve puyallup. Photographié par Hadley, U.P., Tacoma, Washington, 1885.

Photo : Seattle Historical Society, Museum of History and Industry, Seattle, SHS 3.491.

Lawrence Webster, un ancien suquamish se rappelle de cette époque 103 ,

‘« They took you off to school and while you got white man education there you lost what you could have learned at home. [...] I lost that much time away from home with those long winter evenings when they used to tell us the stories and one thing and another. […] Death was about the only way you could get home. You were practically locked up for those nine, ten months. It had to be a sickness or death before they’d let you out of there very long. […] They tried to give us an education by sending us to school and at the same time they tried to take your culture away from you by not letting you talk your own language….All we did was talk Indian until I went to school, and then I had to learn how to talk English. […] I think Cushman was more beneficial to the children than it was at Tulalip because you had a chance if you wanted to learn anything about machinery or tailoring or something, you had chance to learn it there » 104 (The Suquamish Museum, 1985 : 38-41).’

Clara Jones raconte également,

‘« We stayed there [Cushman : trade School Band at Point Defiance Park in Tacoma] for three years. We were just kids, you know. They [parents] said we had to go or else they would go to jail. That’s what they used to tell us. And we would cry ‘we don’t want to go back, we don’t want to leave home’.[…] There were some around two, three, four, five years old. They had these long rooms for our girls and there was some times forty to fifty beds in one room » 105 (The Suquamish Museum, 1985 : 40-41).’

Cependant, certains trouvèrent dans ces écoles, malgré les humiliations, les maladies, une éducation sévère et répressive, un toit, de la nourriture, des amis, un métier. D’autres préparèrent dans ces écoles où on apprenait l’anglais et à se comporter comme un « Blanc », leurs premières armes pour fonder le mouvement activiste pan-indien.

Notes
100.

En 1857, une école de mission fut ouverte sur le territoire tulalip. Elle fut dirigée par des missionnaires chrétiens qui donnèrent une éducation religieuse aux jeunes indiens et découragèrent la pratique des croyances indiennes. Cette école devint une école fédérale en 1900.

101.

L’école fut obligatoire à partir de six ans, dès 1893. Marr, Carolyn J., « Assimilation Through Education : Indian Boarding Schools in the Pacific Northwest », Essay, Site of Digital Collections, Special Collections, University of Washington Libraries, Seattle, [En ligne], htpp://www.content.lib.washington.edu. .

102.

Ce pensionnat « Industrial Boarding School » fut construit dans les années 1880. Il pouvait accueillir entre 100 et 200 élèves indiens. A la fin de 19ème siècle, il devint l’école indienne Cushman et ceci jusqu’à sa fermeture dans les années 1920, époque à laquelle les enfants indiens pouvaient être scolarisés dans les établissements publiques.

103.

Tous ces propos (Lawrence Webster, Clara Jones) ont été recueillis par le Centre Culturel Suquamish entre 1977 et 1983. Le Centre a réalisé une centaine d’entretiens avec plusieurs membres suquamish, des anciens pour la plupart, dans le cadre du projet de construction d’un musée.

104.

« Ils vous enlevaient et vous mettaient dans une école loin de chez vous, et ils vous donnaient une éducation de blanc et vous perdiez ce que vous aviez pu apprendre chez vous. Tout ce temps que j’ai passé loin de chez moi, m’a empêché de participer à ces longues soirées d’hiver où nos parents avaient l’habitude de nous raconter des histoires les unes après les autres. [... ] La mort était la seule manière de rentrer chez soi. Vous étiez pratiquement enfermé pendant ces neuf à dix mois. Il n’y avait que la maladie ou la mort qui pouvait vous permettre de rester loin de cet endroit. […] Ils ont essayé de nous donner une éducation en nous envoyant à l’école et en même temps ils ont essayé de nous éloigner de notre culture en nous interdisant de parler notre propre langue…Nous ne parlions qu’en langue indienne jusqu’à ce que j’aille à l’école, et alors j’ai dû apprendre comment parler anglais. [... ] Je pense que l’école de Cushman était plus salutaire pour les enfants que l’école tulalip parce que vous aviez une chance si vous vouliez d’apprendre le métier de mécanicien et de tailleur ou quelque chose, vous aviez la chance d’apprendre çà là-bas. »

105.

« Nous sommes restés là [ Cushman : école de Tacoma] pendant trois années. Nous étions juste des gosses. Ils [parents] disaient que nous devions y aller sinon ils iraient en prison. C’est ce qu’ils avaient l’habitude de nous raconter. Et nous, on criait « on ne veut pas y retrouner, on veut rester à la maison ».[... ] Il y avait des enfants de trois, quatre, cinq ans. Ils avaient ces longues chambres pour nous, les filles et il y avait parfois quarante à cinquante lits dans une chambre. »