2. Une politique indienne paradoxale.

En 1887, le Congrès vota le General Allotment Act ou la Dawes Act, c'est-à-dire la subdivision de toutes les terres tribales. Il attribua des lopins de terre à tous les Indiens qui « souhaitaient rompre avec leurs structures tribales » et qui étaient en mesure de prouver leur appartenance tribale 106 (Brimley, 2004). Le surplus fut vendu aux immigrants et le revenu de cette vente devait aller à « l’éducation et à la civilisation ». Cette loi mettait un terme à la tradition de la propriété collective des terres, dissolvait les structures tribales et mettait fin au processus de tribalisation. L’Indien devenait un citoyen américain comme les autres. Les Blancs étaient convaincus qu’avec cette loi, les Indiens allaient être définitivement assimilés et que leur culture allait disparaître. Certains philanthropes, chercheurs et humanistes voulurent préserver ce qui restait de cette culture. Ils encouragèrent les Indiens à faire revivre certaines traditions qui souvent imposaient une image stoïque de l’indianité dont la figure la plus expressive était la princesse Angeline (cf. photo XVII), la fille du chef Seatlh 107 photographiée par l’américain Edward Curtis 108 dans les années 1900 (Harmon, 1998 : 148).

Photo XVII. Princesse Angeline. Photographiée par Edward S. Curtis, Seattle, 1913.

Photo : Edward S. Curtis’s The North American Indian Photographic Image, ID.cp09022.

En 1903, le commissaire Charles Buchanan et un agent tulalip sponsorisèrent le labor carnival à l’Université de Washington et recrutèrent des personnes de la réserve de Port Madison pour construire une réplique d’un village indien. Un correspondant du journal le Seattle Times écrivit à propos de cette fête que les Indiens étaient : « « Decked out in gay and brilliant costumes », demonstrating beadwork, basketry, and « war » and « medecine » dances » 109 (cité par Harmon, 1998 : 150).

Buchanan précisa qu’il n’essayait pas de perpétuer des aspects déplorables de la culture indienne en acceptant certaines danses et en imposant une ligne de conduite contre les prestidigitations. Il autorisait seulement d’innocentes activités sociales qui étaient d’après lui

‘« In the last four or five years, in return for the courtesy and hospitality of the young folks, the folks have attempted to show them some of the customs and habits of ancient days, not seriously nor with any intention of teaching the children the olds [sic] ways but by way of giving them a page out of the past Indian history in order that they might realize the progress that had been made by the race » 110 (cité par Harmon, 1998 : 151).’

En 1906, la ville de Seattle rendit hommage à Sealth, et à travers lui, à tous les Indiens qui avaient aidé les colons à s’installer sur ce nouveau territoire, en érigeant sa statue dans la cinquième avenue. Deux ans plus tard, la ville renouvela l’expérience, en installant un buste du chef à Pionner Square (cf. photos XVIII et XIX).

Photo XVIII. Fontaine du chef Sealth. Photographiée par Webster & Stevens, Seattle, 1925.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Seattle, Museum of History and Industry, 1983.10.3080.5.

Photo XIX. Buste du Chef Seattle.Photographié par When James, Seattle, 1912.
Photo XIX. Buste du Chef Seattle.Photographié par When James, Seattle, 1912.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Seattle, NA 4025.

Durant l’année 1911 111 , des patrons locaux et des employés de la réserve de Port Madison travaillèrent avec les Suquamish pour monter un festival d’été qu’ils appelèrent Chief Seattle Day en hommage à ce grand orateur diplomate, pacifique et ami des Blancs qu’était le chef Sealth. Des agents indiens, des pasteurs de la mission suquamish, des professeurs d’histoire de l’University of Washington , des militaires, des représentants tribaux et des membres de la famille de Seattle prirent part à cet événement. Ils se recueillirent sur la tombe de Sealth 112 (cf. photo XX). Puis ils se rassemblèrent autour d’un repas, chantèrent et dansèrent (cf. photo XXI). Ils finirent la journée en participant à des activités comme la course de canoës. Depuis ce jour, Chief Seattle Days a lieu chaque année au mois d’août, pendant trois jours.

De 1912 à 1915, certaines tribus comme les lummi, swinomish et tulalip reconstruirent leur maison communautaire afin de pouvoir se rassembler et organiser des cérémonies et des fêtes durant l’hiver. Ces maisons avaient été détruites par le gouvernement au milieu du 19ème siècle 113 afin d’empêcher les rassemblements et les pratiques cérémonielles 114 .

Quant au canoë, il disparut presque des côtes du Pacifique et ne fut plus entretenu que par quelques familles. Quelques modèles furent exposés dans les musées (Museum of Anthropology (MOA) de l’University of Bristish Columbia (UBC) de Vancouver et le Burke Museum de l’University of Washington ). D’autres réapparurent lors de certains évènements sportifs comme à l’occasion de la course internationale de canoës de guerre, à Coupeville, en 1936 (cf. photo XXII). Enfin, les Lekwiktoq continuèrent à pratiquer la « cérémonies à canoës » en créant des canoës fictifs afin de remédier à la raréfaction des canoës réels et de maintenir cette pratique (Mauzé, 1989).

Photo XX. Tombe du chef Seattle. Photographiée par Lindsley, Lawrence Denny, Washington, 1938.
Photo XX. Tombe du chef Seattle. Photographiée par Lindsley, Lawrence Denny, Washington, 1938.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Seattle, NA 1425.

Photo XXI. Chief Seattle Days’. Photographiée par Cowan, William R., Washington, 1912.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Seattle, NA 1950.

Photo XXII. Course internationale de canoës de guerre. Photographiée par le journal Seattle Post-Intelligencer, Coupeville, 10 août 1936.

Photo : University of Washington Libraries, Special Collections Division, Seattle Post-Intelligencer Collection, Museum of History and Industry, Seattle, PI. 23809.

D’autres cérémonies, telles que la Winter Dance, furent ravivées grâce à des mouvements messianiques comme ceux de l’église indienne shaker. Cette église cherchait à revitaliser les sociétés indiennes en prêchant le retour aux coutumes autochtones, en valorisant les relations intercommunautaires et en faisant revivre la croyance que l’individu pouvait à nouveau acquérir le pouvoir des esprits (Thrush, Coll-Peter).

Les Indiens cherchaient à concilier l’ancien et le nouveau monde et à s’inventer une « new tradition » (Harkin, 1997). Ils désiraient bénéficier des avantages à être des citoyens américains 115 et profiter de la prospérité américaine tout en restant fiers de leur héritage. Ils avaient peur que la politique du gouvernement les condamne à être des citoyens pauvres et de « second zone ». Tous ces envies et angoisses poussèrent ces hommes et femmes éduqués à la doctrine du progrès et de l’égalité, à se lancer dans un mouvement national en fondant en 1911 la Society of American Indians (SAI). Cette organisation pan-indienne souhaitait résoudre les tensions que générait cette envie de combiner culture indienne et américaine. Elle inspira d’autres organisations comme la Northwestern Federation of American Indians (NFAI), créée en 1914. Cette fédération considérait les droits tribaux comme des fondamentaux de l’identité tribale. Elle souhaitait que le gouvernement respecte ses engagements en clarifiant et en tenant compte de ces droits.

Ce mouvement national poussa le gouvernement à voter, le 12 février 1925, une loi permettant aux habitants du Puget Sound de poursuivre en justice le gouvernement fédéral pour non respect des clauses du traité de Point Elliott (Harmon, 1998 : 178-185). Grâce à cette loi, les Indiens sollicitèrent de plus en plus les tribunaux. Cela ne fonctionna pas toujours mais eut le mérite de porter l’attention sur les conditions des réserves et sur la situation des landless tribes.

En 1928, le Département de l’Intérieur demanda à l’Institut de recherche gouvernementale, la Brookings Institution, un rapport sur la situation économique et sociale des Indiens. Lewis Meriam en charge de ce rapport conclut à un dénigrement systématique de la culture indienne. Le Congrès s’aperçut que la loi sur le morcellement des terres (General Allotment Act) était un échec. Elle n’avait pas accéléré l’assimilation et n’avait pas supprimé la pauvreté des réserves. La politique menée ces dernières années n’avait fait qu’aggraver le problème et la crise économique à laquelle devait faire face le pays n’allait pas arranger la situation. Il était temps de repenser les lois en tenant compte des intéressés. Le processus de tribalisation prit donc une nouvelle direction.

Dans les années 1930, le président Franklin Roosevelt 116 mit en place des mesures économiques et sociales importantes dans le cadre d’une politique interventionniste appelé le New Deal. Il nomma aux Affaires Indiennes, un nouveau commissaire, John Collier qui persuada le président de débloquer des financements afin d’améliorer la vie culturelle et économique des Indiens. En juin 1934, fut votée le Wheeler–Howard Act ou l’Indian Reorganization Act (IRA). Cette loi insista sur le besoin d’assurer à toutes les personnes nées dans une réserve un partage juste des terres, recommanda le transfert de la propriété individuelle à la corporation tribale et suggéra que le gouvernement tribal contrôle les fonds tribaux. Elle fut complétée par le Johnson O’Malley Act destiné essentiellement à promouvoir l’éducation des jeunes amérindiens. Il était notamment question de scolariser les enfants les plus jeunes dans les écoles des communautés 117 . Il s’agissait aussi de sensibiliser les enseignants à la culture indienne, de les encourager à être à l’écoute des élèves et à utiliser des méthodes adaptées aux besoins des enfants. Enfin, il était aussi important d’introduire dans l’enseignement, l’histoire, l’art 118 , la langue vernaculaire 119 , de revaloriser la vie religieuse, les cérémonies et de développer des compétences qui pouvaient servir aux élèves lorsqu’ils retournaient dans les réserves.

Toutes ces propositions devaient favoriser le renforcement des structures tribales et le développement d’une autonomie gouvernementale en matière de gestion et de développement économique et social des terres autochtones. Le système tribal devait s’inspirer des structures traditionnelles mais être organisé de façon à être compatible avec les principes fondamentaux de la démocratie élective américaine. Les représentants étaient élus par l’ensemble des membres tribaux en âge de voter et non plus à partir des méthodes traditionnelles de sélection par consensus. Ils formaient le Conseil tribal qui était présidé par le Président (Tribal Chairman), lui-même élu à l’issue d’une campagne d’un style comparable à celui des autres campagnes électorales américaines (Rostkowski, 1986 : 48). Le modèle tribal n’était plus selon Stephen Cornell (1988) « a byproduct of policy ; it became a central component in a new federal design  » 120 (1988 : 36-40). Les gouvernements tribaux renforçaient le statut politique des organisations tribales. Ces dernières faisaient désormais partie, pour celles qui avaient accepté ce modèle, du paysage politique fédéral.

Entre 1934 et 1935, les Suquamish, Skokomish, Nisqually, Squaxin, Tulalip, Puyallup, Muckleshoot, Swinomish, Skagit-Suiattle et Nooksack décidèrent par référendum, sous l’impulsion du NFAI et d’autres organisations, d’accepter l’IRA. Pour être éligible à cette loi, les tribus devaient avoir une liste des membres tribaux en mesure de voter à la majorité pour cette loi. Cette liste était établie à partir de la définition de l’appartenance tribale de la section 16 du Wheeler-Howard Act : « Etre un membre d’une tribu reconnue par la juridiction fédérale ; ou être le descendant d’une personne qui vivait dans une réserve ; une personne de sang indien de la moitié ou plus ».

Ce critère d’éligibilité découragea les Suquamish, Lower Elwka Klallams, Nooksack, Skagit-Suiattle et les Muckleshoot d’adopter cette loi. Il leur fut difficile d’établir une liste de leurs membres. Car le Bureau des Affaires Indiennes ne réussit pas de façon exhaustive à recenser les habitants des réserves. Ces derniers continuèrent d’avoir une vie semi-nomade bien longtemps après l’établissement des réserves. Les Indiens du Puget Sound eurent de nombreuses opportunités de travail en dehors des réserves et ceci jusqu'à la seconde guerre mondiale où ils travaillaient encore pour les scieries, l’industrie de la pêche mais aussi les chantiers navals, la compagnie d’aviation Boeing ou s’engageaient dans l’armée. Les opportunités se trouvaient à l’extérieur des réserves. Le système politique du gouvernement tribal avait finalement peu d’intérêt aux yeux de ces tribus qui n’avaient pas attendu la loi Collier pour travailler et organiser leur structure communautaire (Harmon, 1998 : 190-206). De plus, les tribus se composaient d’un ensemble de bandes et de villages. Il était difficile, par exemple, de se définir et de s’inscrire sur une liste comme Suquamish parce qu’on vivait dans la réserve de Port Madison, alors que l’on avait une appartenance Duwamish. Ensuite, il y avait la question du Blood quantum. Un individu pouvait très bien avoir du sang suquamish mais pas suffisamment pour être reconnu comme tel. Enfin, la filiation était bilatérale. Un individu pouvait choisir d’appartenir à la tribu de son père ou de sa mère. Ce choix se faisait souvent en fonction des aides fédérales dont on pouvait bénéficier en étant membre de telle ou telle tribu. Mais étant donné que les Indiens du Puget Sound avaient une certaine indépendance économique, cette question ne les intéressait guère. Cette difficulté à déterminer le membership ou selfconcept empêcha l’édition de listes exhaustives, complexifia l’établissement du système tribal resté au statut d’instrument ou byproduct (Cornell, 1988) et ralentit le processus de tribalisation et l’application des différentes lois fédérales.

Néanmoins, malgré les imperfections de cette politique de Collier, celle-ci restait la première à être en adéquation avec la situation du moment et à considérer enfin l’Indien non plus simplement comme un citoyen américain mais également comme un citoyen tribal. Il ne s’agissait plus d’opter pour le changement ou la protection et la sauvegarde d’une culture mais plutôt pour une dynamique qui tenait compte de ces deux options. Cette nouvelle loi mettait en avant une certaine souveraineté tribale, je dis bien « certaine », car les décisions relevaient toujours d’une tutelle fédérale et du Bureau des Affaires Indiennes qui avait du mal à appliquer cette nouvelle planification. La lourdeur et la lenteur administrative du BIA freinaient dans une large mesure l’« autonomie gouvernementale » et le gouvernement fédéral envisagea de mettre fin à la tutelle des tribus. Les représentants indiens montrèrent leur désaccord en créant en 1944 le National Congress of American Indians (NCAI). Cette organisation était à l’image de la Society of American Indians (SAI). Elle défendait la souveraineté tribale, le développement de l’homme et de ses ressources naturelles. Elle s’opposait à la politique de suppression du statut fédéral des réserves. Malgré tout, la chambre des représentants, sous l’administration Eisenhower, vota la Résolution 108, le 1er août 1953,

‘« Le Congrès a pour objectif de conférer aux Indiens des États-Unis, le plus rapidement possible, les mêmes privilèges et les mêmes responsabilités qu’aux autres citoyens des États-Unis ; de mettre fin à leur statut de pupilles du Gouvernement et de leur accorder tous les droits et prérogatives dont jouissent les autres citoyens 121  » (citée Rostkowski, 1986 : 76).’

Cette Résolution mettait officiellement fin à la responsabilité fédérale en matière d’Affaires Indiennes et préconisait une nouvelle fois l’assimilation à travers une politique de liquidation appelée Termination Policy. Les tribus touchées par cette décision perdaient leur statut juridique de tribus domestiques, dépendantes. Elles n’étaient plus pupilles de la nation. Elles ne dépendaient plus de l’autorité fédérale et du Bureau des Affaires Indiennes mais du pouvoir de juridiction des États. Elles n’avaient donc plus accès aux programmes d’aides fédérales (logement, éducation, santé, subvention à l’industrie et à l’élevage).

Afin de mettre en place cette politique, le Département de l’Intérieur chargea le BIA d’établir une liste des tribus en mesure de vivre sans une aide de l’État. Le rapport montra que les tribus de l’État de Washington pouvaient gérer leurs affaires sans l’aide fédérale. Le gouvernement demanda en 1953, au Commissaire Glenn Emmons, de clarifier la situation de 21 tribus de l’État de Washington afin de déterminer celles qui étaient en mesure de perdre leur statut fédéral. Après avoir rencontré plusieurs groupes, il conclut que les situations tribales étaient très diverses et qu’il fallait adapter la politique de liquidation. Car toutes les tribus n’étaient pas disposées à accepter cette loi 122 . Les Squaxin, par exemple, l’acceptaient si le gouvernement maintenait leur droit de pêche et de chasse. D’autres comme les Nisqually étaient opposés à cette loi car ils avaient peur de perdre leur terre et leurs droits tribaux. Enfin, des tribus comme les Duwamish qui n’avaient pourtant pas de réserve et d’aide fédérale comme la plupart des landless tribes, pensaient perdre, à cause d’un tel dispositif législatif, la chance d’avoir un jour des terres et une reconnaissance de leurs droits tribaux.

En définitive la majorité, environ 19 tribus dont les Suquamish, tenta de contrecarrer cette nouvelle loi. Car tout d’abord, ces tribus n’avaient pas toutes des gouvernements tribaux. Ensuite, elles avaient peur que la disparition de la relation fiduciaire, un des principes élémentaires du traité, provoqua l’abrogation des droits tribaux. Cette politique s’avéra donc difficile à appliquer dans cette région du fait des diversités et des oppositions tribales (Harmon, 1998 : 209).

Cela n’empêcha pas le BIA de poursuivre sa mission, préparer les tribus à devenir autonomes. Il ouvrit en 1957 à Olympia, dans l’État de Washington, une agence chargée dans le cadre de cette politique de proposer des aides à l’installation et d’inciter les Indiens à aller vivre en ville 123 . Mais cela ne concerna que quelques familles dans le Puget Sound car ces dernières arrivaient à vivre dans les réserves grâce à leur travail dans les scieries, dans l’industrie de la pêche et ne voyaient pas l’intérêt de vivre en ville. De plus, ceux qui quittèrent la réserve se retrouvèrent sans travail, sans repères sociaux et culturels et furent confrontés au racisme. Certains retournèrent vivre dans les réserves souvent au moment de la saison de la pêche où ils étaient sûrs de trouver du travail. Ceux qui restèrent, formèrent des groupes intertribaux urbains et d’après Alexandra Harmon, prirent conscience à travers cette Relocation Policy de leur indianité : « […] most Indians emerged from the termination era with a heightened sense that they were different from other Americans. Termination policy reflected nationwide pressure for cultural and political conformity, yet it confirmed Indians’abnormality » 124 (1998 : 213). Les groupes intertribaux urbains commencèrent à se regrouper en signe de protestation, transcendèrent leur identité locale et régionale et firent naître une conscience indienne, une nouvelle affirmation de l’indianité et une solidarité ethnique nationale qui contribua à cristalliser le mouvement indien des années 60 et 70.

L’État-nation américain a imposé à travers une politique indienne très paradoxale et hégémonique, le statut de tribu domestique dépendante, à des peuples autochtones nomades dont l’unité sociale et politique était autonome. Ces changements socio-économiques et politiques ont poussé des groupes comme la tribu suquamish à adopter une réorganisation de leur structure sociale, une redéfinition de leurs frontières ethniques et de leur tradition en réponse aux pressions et à la demande imposées par la société blanche. Ces stratégies ont été mises en place pour assurer la survivance et la continuité de leur indianité.

Être Suquamish durant toute la période coloniale signifiait être membre d’une tribu, c'est-à-dire être pupille de la nation et dépendre de la protection et des promesses du gouvernement fédéral. Mais c’était aussi vivre dans et à l’extérieur des réserves et continuer à collecter des baies, des praires, pêcher le saumon, chasser l’élan tout en travaillant dans des fermes, des usines de conserves et de bois. C’était passer des années dans les pensionnats, dans des écoles publiques, apprendre un métier manuel, l’anglais et les rouages du système américain. C’était également avoir des ancêtres blancs ou indiens, être chrétien, protestant ou shaker, aller à l’église, pratiquer des Winter Dance et des potlatch. Il y avait une multitude de façons de survivre en tant qu’Indien dans cette société dominante qui n’offrait pourtant qu’une option : être assimilé. Cette période de survie ethnique (ethnic survival) (Nagel & Snipp, 1993) va laissée place à un renouveau ethnique (ethnic renascence) (Nagel & Snipp, 1993). Le contexte des années 60 et 70 va conduire les Suquamish à raviver la culture des anciens et repenser leur place en tant que peuple autochtone et premiers habitants du Puget Sound.

Notes
106.

Pour être reconnu comme Indiens par le gouvernement fédéral, il faut posséder le Certificate of Degree Of Indian Blood (CDIB). Il est délivré par le BIA et détermine votre quantité de sang (blood quantum) indien et de sang tribal. Pour obtenir ce certificat, vous devez avoir au moins la moitié de sang indien. Cette méthode est aujourd’hui utilisée par les communautés et est très contreversée- particulièrement en cette période de visibilité culturelle- car elle occulte un fait historique : les tribus ont toujours assuré leur descendance grâce à des mariages intertribaux, subtribaux et supratribaux. Mais paradoxalement, il apparaît que ce procédé comme biens d’autres attributs coloniaux soit devenu un outil de la revendication identitaire tribale.

107.

Angeline était le nom chrétien de la fille du chef indien suquamish, Sealth. Son nom indien était Wee-wy-eke.

108.

Curtis est né en 1868. Il s’est installé à Seattle à l’âge de 19 ans et a photographié les régions de la côte nord-ouest et les Indiens de la côte salish puis ceux de la côte ouest. Il est devenu célèbre grâce à ce travail même si on lui reproche aujourd’hui, d’avoir cautionné cette image romantique et stéréotypée de l’Indien. Lors de ses prises de vues, Curtis demandait à ses modèles de porter des costumes traditionnels qu’ils ne portaient plus ou seulement lors des cérémonies et des fêtes. Consulter : Northwestern University Library, « The North American Indian Photographic Images », Site of Edward S. Curtis’s, [En ligne], http : //memory.loc.gov, (consulté le 5 juin 2006).

109.

« « Ornés de costumes gais et brillants », faisant des démonstrations du travail des perles, de la vannerie, et des danses de « guerre » et celles effectuées par les chamanes. »

110.

« Ces quatre ou cinq dernières années, une façon pour les adultes de récompenser la courtoisie et l’hospitalité des jeunes, en essayant de leur montrer certaines coutumes et habitudes des temps anciens, pas sérieusement ni même avec l’intention d’enseigner aux enfants les pratiques du passé [ sic ] mais plutôt leur faire vivre un moment de l’histoire indienne pour qu’ils puissent réaliser le progrès qui a été accompli par la « race ». »

111.

Un an auparavant décédait le chef suquamish Wah-hehl-tchoo. Ce fut le dernier chef reconnu par le gouvernement fédéral et ceci jusqu’à la formation d’un gouvernement tribal suquamish en 1965. Entre 1880 et 1930, le gouvernement souhaita, en votant en 1887 le General Allotment Act, mettre fin à la tradition de la propriété collective et à la structure tribale. Ces décennies furent marquées par une politique assimilationniste intensive et ceci jusqu’en juin 1934 où fut votée le Wheeler–Howard Act ou l’Indian Reorganization Act (IRA). Cette loi favorisait l’établissement de gouvernements tribaux. Les Suquamish bénéficieront de ce système beaucoup plus tard, pour différentes raisons évoquées plus loin.

112.

Sealth disparut en 1866 et avec lui son rêve de voir ses frères et l’homme blanc vivre en paix. Il fut enterré selon la tradition chrétienne dans la réserve de Port Madison. Sur sa tombe sont gravées les inscriptions suivantes : « Seattle . Chief of the Suquampsh [now ‘Suquamish ’] and Allied Tribes…The firm friend of the whites and for whom the city of Seattle was named by its Founders » (Bierwert, 1998 : 289). « Seattle. Chef des Suquampsh [ maintenant ‘ Suquamish’] et des tribus alliées....L’ami fidèle des Blancs et des fondateurs de cette ville qui porte en son honneur, son nom. »

113.

La Ole-Man-House des Suquamish fut brûlée en 1864.

114.

Le potlatch fut interdit dès 1876 en Colombie Britannique. Le parlement canadien promulgua l’Indian Act et en particulier une clause supplémentaire qui rendait cette pratique illégale jusqu’à son abolition en 1951. Aux États-Unis, aucune loi n’interdisa cette cérémonie mais le gouvernement infligea aux auteurs de ces pratiques et de ces rassemblements des sanctions afin de les dissuader de recommencer.

115.

Le Congrès a voté l’ Indian Citizenship Act en 1924. Cette loi a attribué la nationalité américaine à tous les Indiens nés à l’intérieur des limites territoriales des États-Unis. Certains d’entre eux avaient déjà obtenu ce statut en se mariant avec des Blancs ou durant la loi Dawes ou plus tard en faisant leur service militaire.

116.

Franklin Roosevelt fut gouverneur de l’État de New York de 1929 à 1933. Il devint président des États-Unis en 1933 et fut réélu en 1936, 1940 et 1944.

117.

Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement fédéral coupa les financements et les écoles ne furent plus entretenues. Elles furent fermées et les enfants durent suivre leur scolarité loin des réserves.

118.

L’ Indian Arts and Crafts Act fut votée en 1935 et mit en place la première Commission de l’Art et des Métiers Indiens dont le rôle était d’encourager la production et le commerce de l’art indien.

119.

Les premières brochures bilingues furent publiées entre 1940 et 1945. Mais les langues indiennes ne furent pas ou peu enseignées car il y avait peu de livres bilingues disponibles, peu de professeurs parlant une langue indienne et ayant une appartenance indienne.

120.

« un sous-produit de la politique ; c’était devenu un composant central d’une nouvelle conception fédérale. »

121.

House Concurrent Résolution 108 (83e Congrès- 1re session). 1er août 1953.

122.

Certaines tribus acceptèrent les conditions de cette loi. Les Lower Elwka Klallam par exemple venaient de recevoir des terres et des aides fédérales et étaient pourtant prêts à abandonner la protection fédérale et à accepter cette loi. Ces tribus savaient s’en sortir sans les aides fédérales. La termination Policy était pour eux l’occasion de montrer qu’elles étaient capables d’être autonomes.

123.

En 1960, 3.817 Indiens vivaient à Seattle et en 1980, ils étaient 15.162 sur une population totale de 493.846 habitants. Aujourd’hui, ils sont un sur deux à habiter en ville, mais le mouvement de migration fonctionne comme un balancier et le retour à la réserve atteint parfois 60%. Il tend à s’atténuer avec la nouvelle génération (Prucha, 1990 : 6-42).

124.

« [... ] la plupart des Indiens issus des années de la politique de liquidation ont développé un fort sentiment d’être différents des Américains. Cette politique a reflété cette pression de la conformité culturelle et politique qui touchait tout le pays, pourtant elle a confirmé l’ « anormalité » des Indiens. »