Chapitre III. La renaissance de la culture des anciens

Au cours des années 60 et 70, les États-Unis furent ébranlés par une série de phénomènes sociaux et politiques mettant en avant les limites de la pensée assimilationniste et de la théorie du creuset ou melting pot. Le mouvement pour les droits civiques s’intensifia avec la prise de conscience politique de la jeunesse noire qui voulait mettre fin à la ségrégation raciale et obtenir la reconnaissance de ses droits civiques. A défaut d’une citoyenneté pleine et entière, le militantisme noir se tourna vers une revendication de ses origines ethniques et encouragea d’autres groupes (Amérindiens, Chicanos, Cubains) jusque là marginalisés, à proclamer leurs « différences » et à revendiquer une spécificité ethnique. Cette double allégeance à la culture ethnique et à la nation américaine fut symbolisée par l’usage de l’identité du trait d’union : African-American, Native-American etc (Constant, 1998). Des organisations indiennes virent le jour et luttèrent pour l’amélioration des conditions de vie matérielle mais aussi spirituelle des Indiens.

Sous la pression de ces différents mouvements activistes, le gouvernement fédéral réalisa l’échec de sa politique d’assimilation et devint moins « protecteur » et plus « facilitateur » (Noël, 1996). Il souhaita en autre, que les tribus indiennes organisées institutionnellement, prennent en charge leurs programmes culturels et sociaux et développent leur propre modèle de citoyenneté sociale (Papillon, 2005). Il décida d’accorder l’autonomie administrative aux gouvernements tribaux et vota en 1975, l’Indian Self-Determination and Education Assistance Act. Les tribus pouvaient désormais s’auto-administrer et être responsables de leurs choix et de leur bien être.

Les Indiens du Puget Sound, comme les Suquamish, profitèrent de ces nouvelles orientations pour ouvrir leur propre musée qui avait pour objectif de renforcer la solidarité du groupe, de transmettre des valeurs et des savoirs et de valoriser une appartenance identitaire. Ils s’inspirèrent également de leurs « frères canadiens » qui remirent à l’eau le canoë de mer dans le cadre de l’Exposition Universelle de Vancouver de 1986. Les Heiltsuk et Haida utilisèrent le canoë pour visibiliser leur culture et construire une unité pan-tribale canadienne en mesure de revendiquer et de défendre leurs droits tribaux.

Pour le 100ème anniversaire de l’État de Washington, une dizaine de tribus du Puget Sound utilisèrent les fonds fédéraux du projet intertribal Native Canoe pour raviver le canoë, l’emblème de la culture indienne de la côte nord-ouest et prendre part à cette manifestation intitulée « Paddle to Seattle ».

Ces stratégies prirent une toute autre dimension lorsque l’interaction et la solidarité intertribales dépassèrent les frontières américaines. En 1993, les tribus américaines s’associèrent aux tribus canadiennes de Colombie Britannique, dans un projet de voyage annuel en canoë, destiné à revitaliser la culture autochtone contemporaine de la côte nord-ouest.

Je montrerai dans ce chapitre III que la conjoncture américaine, et les mouvements activistes des années 1970 ont permis des changements sociopolitiques et une renaissance de la culture indienne. Je présenterai dans un premier temps les différentes organisations indiennes ayant pris part à cet activisme. Je traiterai des effets du mouvement indien sur la politique du gouvernement fédéral en abordant la question de l’ Indian Self-Determination and Education Assistance Act. Ensuite, je montrerai comment les tribus ont utilisé cette autonomie administrative. Je décrirai le fonctionnement du gouvernement tribal suquamish. Puis, j’aborderai des différentes orientations et choix de ce groupe. Je parlerai tout d’abord de la construction du Suquamish Museum puis de l’interaction et de la solidarité intertribale en évoquant deux voyages : Paddle to Seattle de 1989et Bella Bellade 1993.