L’American Indian Movement

Le mouvement activiste indien souhaitait mettre en avant la condition sociale et économique des réserves et des Indiens comme ce fut le cas de la majorité des autres groupes défavorisés 129 . Il voulait également sensibiliser le gouvernement à la situation spirituelle, juridique, politique et ethnique de leur culture. Afin d’éviter l’amalgame avec les autres groupes ethniques notamment le mouvement noir, le Red Power décida de se mettre en marge des grands mouvements sociaux et prit le chemin d’un militantisme plus radical avec la création le 28 juillet 1968 de l’American Indian Movement. Il lutta contre l’injustice raciale, œuvra pour une amélioration des conditions économiques, dénonça la politique du BIA et défendit la souveraineté tribale et l’autodétermination. Ce mouvement intertribal pan-indien se caractérisa par un militantisme radical et des méthodes violentes et symboliques, rappelant des événements importants de l’histoire, afin d’attirer l’attention des médias. Il mobilisa et instrumentalisa des symboles historiques de l’indianité afin de revitaliser une appartenance et une cohésion intertribale et développer une revendication identitaire indienne. Ce fut le cas en novembre 1969 avec la prise et l’occupation pendant un an de l’ancienne prison de l’île d’Alcatraz, à San Francisco. Puis en 1972, lorsque le groupe d’Alcatraz occupa la base militaire de Fort Lawton à Seattle 130 . Puis le 27 Février 1973 quelques Indiens occupèrent la colline Wounded Knee (Dakota du sud), symbole du massacre des Sioux en 1890. Ils protestèrent contre la « dictature » du BIA et contre les mauvais traitements dans et en dehors des réserves. Enfin, la plus longue marche d’Alcatraz à Washington, la capitale fédérale, le 11 Février 1978, contre la mise en place d’une dizaine de propositions de lois déposées par les sénateurs Kennedy, Needs et Cunningham qui impliquaient l’abrogation des traités et des droits de pêche, de chasse, d’usage des eaux ainsi que la suppression de toute forme de gouvernement traditionnel (Rostkowski, 1986 : 152-154).

Mais certains militants critiquèrent les actions virulentes de l’AIM. Au fond, elles n’avaient pas concrètement changé le quotidien des nations indiennes et en plus risquaient de compromettre les relations avec l’État. Ils se tournèrent donc vers des actions juridiques et vers l’international et organisèrent en 1974, dans la réserve Sioux de Standing Rock, la première « Conférence internationale des traités indiens » à l’issue de laquelle l’International Indian Treaty Council (IITC) fut créé. Ils souhaitaient défendre les traités et établir des contacts avec l’ONU en vue d’obtenir le statut d’ONG (Rostkowski, 1986 : 185). Les Indiens comprirent que seuls les grands regroupements interethniques leur permettraient une visibilité sur le plan international, d’accéder à un statut d’ONG, de participer aux réunions et au groupe de travail de l’ONU.

En 1975 eut lieu à Port Alberni, en Colombie Britannique, la première conférence internationale des peuples autochtones. Suite à cette rencontre, le World Council of Indigenous Peoples fut créé et obtint le statut d’ONG, tout comme l’ International Indian Treaty Council en 1975 et le National Indian Youth Council (NIYC) en 1984.

En 1977, l’ International Indian Treaty Council fut chargé par l’ONU d’organiser la première participation des autochtones à une Conférence des ONG dont le thème était la « discrimination contre les populations autochtones des Amériques ». Ce fut l’occasion pour les nations autochtones de demander la révision de la Convention n°107 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la création d’un Groupe de Travail à l’ONU. Ils réitérèrent cette demande en 1981, lors d’une seconde conférence internationale sur « les peuples autochtones et leur rapport à la terre » (Morin, 2005 : 35-41). Ils obtinrent satisfaction en 1982 avec la création d’un Groupe de Travail sur les Populations Autochtones (GTPA) et travaillèrent pendant plus de vingt ans, au sein de ce groupe composé d’experts et des représentants gouvernementaux, sur un projet de déclaration universelle des droits autochtones.

En définitive, les mouvements activistes des années 1960 ont surtout été pour les Indiens l’occasion d’être plus visibles sur la scène nationale voire internationale et de revendiquer une autodétermination tribale. L’Indien « victime » devenait un Indien « combattant », un « guerrier victorieux », tenant tête au pouvoir fédéral et revendiquant une indianité. Il suffit d’ailleurs de regarder les recensements de ces cinquante dernières années pour constater que l’identité indienne est devenue incontestablement une option ethnique plus gratifiante et attractive 131 .

Notes
129.

Les Indiens ont bénéficié en 1964, dans le cadre de l’ Economic Opportunity Act , des programmes d’assistance sociale et économique destinés aux autres groupes défavorisés. Ils ont obtenu des aides financières qui n’ont pas été soumises au contrôle du BIA.

130.

Suite à cette occupation, un centre culturel intercommunautaire indien, le Daybreak Star sera inauguré en 1977. Voir l’article du Newsletter of the Seattle Arts Commission, April 1977, Indian arts Center Opens, Seattle, Vol.1, N°1. Et l’article Hackett, Regina, November 12, 1985, « Daybreak Star brings a new day for Indian arts », Seattle Post- Intelligencer, C-7.

131.

En 1960, 523.591 personnes se considéraient comme appartenant à la « race » indienne alors qu’elles n’étaient que 357.499 en 1950. Ce chiffre est passé en 1970 à 792.730 personnes puis à 959.204 personnes en 1980 (Nagel, 1996 : 83-84). La population indienne est aujourd’hui, d’après le dernier recensement de 2000, de 4.5 millions.