Les années 1980 furent marquées par une politique reaganienne attachée à l’élimination des entraves, des contraintes et des protections administratives, parlementaires et bureaucratiques, locales et fédérales, empêchant l’activité des capitaux privés. Le gouvernement souhaita assurer un partenariat entre le gouvernement fédéral, les États membres et le gouvernement tribal et réduire le pouvoir du Bureau des Affaires Indiennes notamment en diminuant son budget. C’est ce qu’évoqua le président Ronald Reagan lors du congrès du 24 janvier 1983 :
‘« Cette administration estime qu’il faut restituer responsabilités et ressources aux gouvernements les plus proches de ceux qu’ils servent. Cette philosophie s’applique non seulement aux États membres et aux gouvernements locaux mais aussi aux tribus indiennes reconnues par le pouvoir fédéral. […] En 1970, le président Nixon a annoncé l’ouverture aux tribus indiennes d’une politique d’autodétermination. Au cœur de cette nouvelle politique, on trouve l’engagement du gouvernement fédéral à aider et encourager le gouvernement tribal autonome […]. Les principes de l’autonomie gouvernementale définis par cette loi constituaient une bonne base de départ. Néanmoins, depuis 1975, les grands discours l’ont emporté sur l’action. Au lieu de fournir aides et encouragements, la politique fédérale a, en gros, inhibé le développement politique et économique des tribus. Des règlements trop nombreux et une bureaucratie déterminée à s’autoreproduire ont étouffé les décideurs locaux, soustrait les ressources indiennes au contrôle des Indiens et promu la dépendance plutôt que l’autosuffisance. Cette administration a l’intention de renverser la tendance en supprimant les obstacles placés sur la route de l’autonomie et en créant un environnement plus favorable au développement d’une économie saine dans les réserves. Les gouvernements tribaux, le gouvernement fédéral et le secteur privé auront tous un rôle à tenir. Cette administration adoptera une démarche souple en reconnaissant la diversité des tribus et le droit de chaque tribu à définir ses urgences et ses objectifs. […] Les gouvernements tribaux sont responsables du choix des méthodes et du degré d’exploitation des ressources tribales […] » (Cité par Delanoë & Rostkowski, 2003 : 346-348). ’Ce projet politique se traduisit en 1988 dans le cadre de la politique indienne par le Tribal Self-Governance Pilot Project (projet-pilote d’autonomie gouvernementale tribale). Il fut lancé par le Secrétaire à l’Intérieur. Il consista à sélectionner une dizaine de tribus dont firent partie les Suquamish et à leur financer à hauteur de 150.000$, la mise en place d’un système de gouvernement tribal autonome. Il s’agissait de suivre et d’évaluer l’évolution de ce système (le projet fut renouvelé une seconde fois en 1991) afin de déterminer et d’établir les grandes lignes du Tribal Self-Governance Act de 1994. Cette nouvelle législation et phase du processus de tribalisation donna aux réserves la possibilité d’avoir cette fois-ci une autonomie gouvernementale. Les Conseils tribaux utilisaient les fonds alloués par le gouvernement comme ils le souhaitaient. George Emerson raconte que grâce à cette nouvelle loi,
‘« the needs of our people would no longer be identified in Portland or Everett or 3000 miles away in Washington, D.C. We would no longer have to depend on the Great White Father in Washington telling us how and where we must spend our money » 139 (Wilson, 2002 : 140).’De plus, un organisme fédéral autonome du BIA, l’ Office of Self-Governance, facilitait l’expansion du processus du « compacting » en assistant les négociations des contrats entre les gouvernements tribaux et les organismes fédéraux 140 et en assurant les frais de ces négociations. Il aidait ces organismes à fournir des services aux tribus et permettait de faire disparaître les contrôles rigoureux imposés par le gouvernement. Les gouvernements tribaux étaient désormais soumis à un processus de qualification. Ce qui comptait avant tout, c’était les résultats des organisations tribales et non pas leurs priorités et la façon dont elles utilisaient les fonds. Elles étaient libres de planifier, mettre en œuvre et administrer des programmes et services. Le Bureau des Affaires Indiennes n’était plus en mesure d’intervenir sauf si les terres qu’il détenait en fiducie risquaient d’être menacées par les dispositions tribales.
Ces six années d’expérimentation permirent d’améliorer la loi de 1975 et d’établir le Tribal Self-Governance Act. Cette loi autorise chaque année, une vingtaine de tribus, à présenter une demande d’adhésion au programme dans la mesure où elles peuvent démontrer leur stabilité fiscale, établir une planification de leurs priorités tribales, de leurs prestations de services et de leur recherche budgétaire et juridique.
En définitive, cette politique dite de l’ « autodétermination » a ouvert la voie à un équilibre entre droit des Indiens et devoir du gouvernement fédéral. Mais elle n’a toujours pas réglé la question du droit à l’autodétermination et de la souveraineté tribale. Car, si l’État envisage une autonomie administrative et financière des réserves afin de diminuer voir faire disparaître les aides fédérales exclusivement destinées aux Indiens 141 , il reste ferme sur un point : les tribus sont des « nations domestiques, dépendantes ». Elles sont soumises au pouvoir du Congrès et sont placées sous la protection du gouvernement (Rostkowski, 1986 : 219). Le Congrès est le seul à légiférer dans le domaine des Affaires Indiennes et à abroger les dispositions des traités indiens. Il peut décider à tout moment de supprimer les traités car la Constitution protége les individus contre les lois arbitraires, non raisonnables, portant atteinte à la liberté individuelle, mais n’a prévu aucune ordonnance concernant les droits collectifs. Seule la Convention n°169 de OIT prend en compte le particularisme et certains droits collectifs. Or cette Convention n’a pas été ratifiée par les États-Unis. L’avenir de la souveraineté tribale repose finalement sur l’intégrité éthique et morale du Congrès et sur la Déclaration Universelle des Droits des Peuples Autochtones votée par l’Assemblée Générale de l’ONU. Car la pierre angulaire de cette Déclaration est le droit à l’autodétermination et en particulier la personnalité juridique internationale qui donnerait aux tribus la possibilité de négocier avec les États fédérés et l’État fédéral sur la base d'une égalité formelle (cela est actuellement plus ou moins le cas) ; de faire appel à la communauté internationale pour demander une protection contre les abus de ces États et du Congrès ; de participer aux instances internationales (Clech Lâm, 2002 : 20).
Mais cette Déclaration n’est que symbolique. Par conséquent, en attendant une hypothétique convention dont les retombées juridiques rejailliraient sur tous les États abritant les peuples autochtones, y compris les États-Unis qui ont voté contre ce texte, les tribus modèrent cette absence de reconnaissance juridique par des actions plus concrètes et représentatives de la souveraineté comme :
‘« […] le maintien de l’intégrité culturelle plutôt que des pouvoirs politiques dans la mesure où, quand une nation perd son identité culturelle, elle connaît un déclin correspond de sa souveraineté […] la souveraineté dépend alors de la façon dont les traditions sont développées, défendues et transformées pour faire face à des conditions nouvelles. […] tant que l’identité culturelle des Indiens demeure intacte, aucune mesure politique particulière adoptée par le gouvernement des États-Unis ne peut supprimer les peuples indiens en tant qu’entités souveraines » 142 (Vine Deloria cité par Rostkowski, 1986 : 220).’Les tribus envisagent une souveraineté plus culturelle et identitaire et se servent de la self-gouvernance pour être reconnues comme « peuple », être respectées dans leurs différences et assurer le développement économique, social et culturel de leur politique tribale. Car comme l’exprime George Emerson,
‘« Self-Governance is the essence of our people. Self-Governance ensures our sovereignty. Self-Governance gives us the ability to determine and fulfill tribal needs, the power to plan our future, the tools to rise above poverty and addiction, and the opportunity to realize our visions […] » 143 (Wilson, 2002 : 141-142)’L’idéal de la self-determination se trouve peut-être dans cette définition du National Lawyer’s Guild que reprend Steve Talbot :
‘« That right to choose whatever form of political organization and relationship with other states it desires. It does not necessarily mean independence, although it may very well and often does. It may result in a people choosing to be associates with or dependent on another state. They may choose confederation with other less-than-totally independent peoples » 144 (cité par Senese, 1991 : xxi).’Autrement dit un rapport politique de relative indépendance comme on va le voir dans le point suivant avec l’exemple de l’organisation et du fonctionnement du gouvernement tribal suquamish.
« les besoins de notre peuple ne seront désormais plus identifiés à Portland ou Everett ou à plus de 4500 kilomètres à Washington, D.C. Nous n’aurons plus à dépendre du discours du « grand père blanc » [le Président] de Washington, nous disant comment et où dépenser notre argent. »
Les organismes fédéraux sont nombreux mais seul le BIA du Département de l’Intérieur et l’Indian Health Service (IHS) du département de la Santé sont chargés d’assurer une responsabilité fiduciaire et un ensemble de prestations aux tribus souveraines dépendantes vivant dans des réserves.
En 1979, les dépenses fédérales consacrées aux programmes indiens étaient de 4.4 milliards de dollars. En 1989, elles n’étaient plus que de 2.5milliards de dollars.
Deloria, Vine, 1979, « Self-determination and the concept of sovereignty, Economic Development in American Indian Reservation. », Native American Studies, University Of New Mexico, Development Series s (1) : 24-25.
« L’autonomie gouvernementale est l’essence de notre peuple. Elle assure notre souveraineté. Elle nous donne la capacité de déterminer et d’accomplir les besoins tribaux, le pouvoir de planifier notre futur, les outils pour surmonter la pauvreté et la dépendance, et l’opportunité de réaliser nos visions (façons de voir l’avenir). »
« Le droit de choisir le type d’organisation politique et de relation souhaitées avec les autres États. Cela ne signifie pas nécessairement l’indépendance, bien que cela puisse être très bien et l’est souvent. L’autodétermination peut résulter du choix d’un peuple d’être associé avec ou de dépendre d’un autre État. Ils peuvent choisir la confédération avec d’autres plutôt que d’être des peuples totalement indépendants. »