Le musée est un instrument de l’idéologie coloniale, il sert à préserver, conserver et restituer des objets dits patrimoniaux, rares, anciens, ayant un vécu et une référence historique (Somé, 2003). Cette conception triptyque de l’objet (préservation, conservation et restitution) n’existe pas dans la tradition orale où l’objet n’est pas un objet d’exposition mais un objet fonctionnel. L’objet indien est comme cet objet africain dont parle Roger Somé,
‘« il n’est jamais retiré de la circulation du fait d’un risque de disparition. L’objet est dans la vie ; il fait corps avec elle et cette disparition peut même apparaître comme un moment de son existence. […] Les opérations de réparation des objets ne sont pas des actions de conservation. Il s’agit d’une activité de maintenance. Il faut maintenir la chose non pas en bon état mais dans un état de fonctionnement […] » (2003 : 53-54). ’Certains objets indiens perdirent de leur utilité au cours de la colonisation et disparurent. Les canoës, par exemple, ne furent plus utilisés au quotidien par les familles suquamish. Ils s’abîmèrent et disparurent progressivement à la fin du 19ème siècle. La tribu manqua donc d’objets pour ouvrir un musée. Elle utilisa des photos et réalisa des documentaires et des entretiens. Les fouilles archéologiques ne s’avérant pas suffisantes, elle emprunta des objets à des institutions muséales non-indiennes : un canoë quileute de guerre de 5,48 mètres prêté par la Kitsap County Historical Society, une petite embarcation d’une place de 3,96 mètres de style salish prêtée par le Burke Museum et un modèle de canoë de mer emprunté au Museum of History and Industry.Seul le quatrième canoë, de style embarcation de pêche de 4,87 mètres fut emprunté à un particulier, B. Riebe (cf. photo XXII). Certaines de ces institutions avaient été créées par des anthropologues et des collectionneurs comme Thomas Burke, juriste et Caroline Mc Gilvra Burke, philanthrope et collectionneuse d’objets indiens qui donnèrent leur nom au Thomas Burke Washington State Memorial de l’University of Washington de Seattle 166 .
D’autres institutions comme le Center for Wooden Boats 167 ou encore le Pacific Science Center 168 de Seattle possèdent également quelques modèles (Lewis, 1977 : 9-10). Enfin, on peut trouver au British Columbia Museum de Vancouver, au Canada, un canoë haida de 7 mètres.
Les Suquamish 169 ont emprunté quelques canoës et ont utilisé les recherches de certains anthropologues et artistes blancs comme Erna Gunther, T.T Waterman, Hilary Steward et Bill Holm, professeur d’histoire de l’art à l’ University of Washington et spécialiste de l’art indien de la côte nord-ouest. Bill Holm a réalisé un ensemble de répliques de totems, de pôles et d’autres types de sculpture pour le Burke Museum. Il a sculpté en 1958 une réplique d’un canoë kwagiulth de 7,30 mètres en utilisant des sources ethnographiques laissées par Frank Boas dans les années 1900. Il a appris les techniques traditionnelles de sculpture grâce à ces descriptions ethnographiques et plus tard avec les sculpteurs kwagiulth. Enfin, en 1969, il a réalisé un autre canoë de 10,66 mètres de long.
Le canoë a une place importante dans ce travail de restitution, transmission et de partage de la culture des anciens. Il n’est plus cet objet fonctionnel indispensable qu’il a été par le passé mais plus qu’un objet d’exposition, il est pour Michael Harkin : « […] a vehicule for feelings about that disappeared word » […] a latent symbol of an historic culture that had disappeared […] a symbol of a new sociopolitical order » 170 (1997 : 108). Un signifiant signifié à l’image d’un musée que les tribus conçoivent comme faisant partie d’un « continuum » (Broyles, 1989), d’une réflexion sur la continuité. D’un effort de conciliation entre discontinuité et continuité, entre restauration et innovation. Un lieu symbolique de la résistance et de la continuité de la culture indienne.
On trouve dans ce musée six modèles de canoë : Un petit canoë snohomish, acquis en 1941 par R. Ernesti. Un autre de 11,27 mètres de style northern sculpté en 1896. Un canoë haida de 4,20 mètres sculpté par J.Wallace. Une embarcation de style shovelnose de 10,66 mètres. Un petit canoë « double-ender et deux embarcations de course snoqualmie d’une personne.
On y trouve quatre modèles : Un canoë de style nootkan de 10, 66 mètres sculpté par S. Martin, en 1987. Un canoë de style salish de 4,81mètres. Un canoë pour enfant de style nootkan de 2, 92 mètres. Un canoë de style nootkan de 4,87 mètres.
Ce centre culturel fit appel en 1972 au sculpteur Steve Brown, pour restaurer un canoë et à Duane Pasco en 1985, pour sculpter un canoë. Duane Pasco est un artiste et un sculpteur euro-américain. Il vit avec sa femme d’origine suquamish dans la réserve de Port Madison.
D’autres tribus comme les Makah ont préféré sculpter quatre embarcations de style nootkan pour enrichir l’exposition proposée par le Makah Cultural and Research Center. Ils ont sollicité en 1975, L. Wilkie et Steve Brown pour la confection d’une réplique d’un canoë pour la chasse à la baleine de 9 mètres, d’un canoë pour la chasse aux phoques de 7,5 mètres et deux autres embarcations de 4, 87 et de 3 mètres.
« […] un véhicule des sentiments d’un monde disparu […] un symbole latent d’une culture historique qui avait disparu […] un symbole d’un nouvel ordre sociopolitique. »