3. Une décolonisation de la pensée

Le musée indien relève d’une alternative idéologique réappropriée et construite de l’intérieur par les communautés dans le but de procéder à une réorganisation de leur culture et de leur identité tribale. Il est une ressource performative et constructiviste, génératrice de pouvoir et d’autonomie sociopolitique. Le musée permet à la fois de restaurer et sauvegarder un savoir ancestral tout en transmettant, partageant et incitant à la praxis de la culture dans le but de dégager une réflexion et d’apporter des solutions aux problèmes contemporains. Il n’est ni un lieu de patrimonialisation du passé, « une production artificielle del’identité » (Saez, 1995 : 131-143), ni un lieu de collection de coutumes archaïques servant d’après le sociologue Freddy Raphäel « d’alibi en idéalisant le passé qu’il lègue comme patrimoine aux générations à venir tout en faisant silence sur les problèmes de la société contemporaine » (Cité par Saez, 1995 : 217). Il est par contre un outil de contre-expertise et de relecture de l’histoire coloniale et de l’ethnohistoire indienne.

L’histoire, la théorie et l’écriture, écrit Linda Tuhiwai Smith (1999), sont des clés de la recherche occidentale et des marques de supériorité, de civilisation et de domination, excluant, marginalisant et opprimant l’Indien. Mais elles sont aussi aujourd’hui des sources de pouvoir et de justice pour les tribus indiennes. Car une relecture et réécriture critique de l’histoire coloniale leur permet de parler des injustices du passé, de se réapproprier des histoires, de corriger les stéréotypes et les commentaires négatifs de la littérature américaine. Les livres sont, d’après l’écrivaine maori Patricia Grace, dangereux pour les Autochtones car,

‘« They do not reinforce our values, actions, customs, culture and identity ; when they tell us only about others they are saying that we do not exist ; they may be writing about us but are writing things which are untrue ; and they are writing about us but saying negative and insensitive things which tell us that we are not good» 171 (citée par Smith, 1999 : 35).’

Le processus de relecture et de réécriture permet donc aux musées tribaux de produire une autohistoire amérindienne (Sioui, 1992) et d’occuper bien au delà d’un ordre symbolique, la scène culturelle américaine (Farchi, 2006). La loi concernant la création du Museum of the American Indian (NMAI) de 1989 et la Native American Graves Protection and Repatriation Act 172 (NAGPRA) de 1990 sont de parfaites illustrations de « la prise de contrôle institutionnelle par les Indiens, qui se trouvent aujourd’hui aux postes de commande au lieu de demeurer des objets scientifiques » (Mauzé et Rostkowski, 2004). Les musées tribaux participent activement à une décolonisation de la pensée, à une reconnaissance par le gouvernement américain de leur contribution à l’élaboration de la culture et de l’identité américaine et à l’accession de la culture indienne au rang d’ « art » au même titre que les arts d’Europe, d’Asie et d’Afrique (Farchi, 2006).

Notes
171.

« Ils n’insistent pas sur nos valeurs, actions, coutumes, culture et identité ; ils parlent de nous en tant qu’« autres », ils disent tout simplement que l’on n’existe pas ; ils écrivent peut-être sur nous mais disent des choses fausses ; ils écrivent sur nous mais racontent des choses négatives et dures qui nous font passer pour des gens peu recommandables. » 

172.

Cette loi oblige les musées subventionnés par le gouvernement fédéral de restituer sous certaines conditions aux communautés indiennes qui en font la demande les ossements et les objets sacrés.