L’idée de Frank Brown traversa les frontières canadiennes. En 1989, les tribus de l’État de Washington décidèrent de transcender leur identité locale pour construire une solidarité intertribale régionale autour d’un voyage intitulé « Paddle to Seattle ». Les tribus décidèrent de réactiver et réinterpréter le canoë. Elles restaurèrent, sculptèrent et sortirent des musées les canoës et prirent part ensemble au voyage de Paddle to Seattle.
Tout commença lorsque l’État de Washington décida de fêter en 1989 son 100ème anniversaire et mit en place la Washington State Centennial Commission chargée d’organiser une grande fête autour de la rencontre entre l’Indien et l’Européen. L’État souhaitait une participation active des tribus indiennes et forma pour l’occasion le Centennial Commission ’s Native American Committee. Il chargea également Barbara Lawrence, membre suquamish, d’inventorier les projets de plus de dix-sept tribus. Barbara Lawrence me dit lors d’un entretien que la plupart des tribus voulurent :
‘« […] educate a non-Indian people in the state the way they wanted to do. They wanted to have access to forest to make canoes, paddles and regalia. The State had a plan to have a rediscovery ship and so the tribes wanted that ship was surrounded by many canoes » (Entretien avec Barbara Lawrence, le 28/03/2000) 175 .’Cependant, certaines tribus ne voulurent rien avoir à faire avec cet État qui avait essayé de les faire disparaître. Mais la majorité fut consciente de l’importance d’un tel événement. Car non seulement l’État était prêt à financer des projets tribaux qui s’inscrivaient dans la thématique de la fête, mais c’était l’occasion pour les communautés de s’exprimer, de transmettre et de partager leur histoire et de la préserver. Finalement, elles décidèrent de participer à cette manifestation et proposèrent à la Commission par l’intermédiaire du représentant quinault, Emmett Oliver, un projet commun dont le canoë était la pièce maîtresse. Emmett Oliver le présenta en rappelant quelques points :
‘« Let the cedar canoe become a symbol of Washington’s Indian people and their cultural expressions. Lawmakers and Bureaucrats may never again have such an opportunity to make a meaningful contribution to the preservation of Washington Indian cultures. Canoes could in the state centennial, be used as a rallying-point around which substantial Indian involvement could be mustered. […] While 1989 focuses on our state’s birthday, it also affords an opportunity to look even farther into our historic past to contribution of earlier peoples who lived here. […] The indigenous culture in the beginning could not have developed and prospered without the native canoe. So it is appropriate that we pause this year and pay homage to one aboriginal element that has meant so much to a people’s way of life. The canoe represents Native life at its fullest. [...] Though the Native canoe may never return to the prominence it once held, we can honor it during these months as a symbol of a culture worthy of the part in the Centennial Celebration » 176 (Cité par Lincoln, 1995 : 70).’Le canoë était l’élément qui représentait le mieux la culture indienne de cette région et puis, c’était une opportunité pour l’État de Washington de se « libérer » de ces siècles d’oppression et de destruction de l’héritage autochtone. La Commission accepta et débloqua des fonds pour financer différents types de projets autour du canoë et permit l’accès aux U.S National Forest (Lincoln, 1995 : 87-91) pour couper le bois nécessaire à la construction de canoës et autres objets 177 . Les Indiens voulaient remettre en état leurs vieilles embarcations, en construire de nouvelles, sculpter des pagaies, tisser des costumes traditionnels et apprendre des chants et des danses afin de prendre part au voyagePaddle to Seattle. Tous ces projets étaient une façon d’inscrire dans l’espace public des significations et des symboliques qui permettaient d’être et de se penser indien. Grâce à ce symbole latent réactivé et réinterprété dans le cadre d’un voyage en mer, les Indiens de la région du Puget Sound pouvaient revendiquer leur autochtonie face à l’autorité de l’État, exprimer une différence ethnique et tribale et se détacher de cette image emblématique de l’Indien des plaines qui leur permettait ces dernières décennies d’exister en tant qu’Indien mais pas de se définir comme Indiens de la côte nord-ouest, Suquamish, Quileute, Quinault, S’klallam…
« instruire à leur manière les non-Indiens de l’État. Avoir accès aux forêts pour faire des canoës, des pagaies et des costumes. L’État a envisagé d’avoir un bateau, symbole de la redécouverte et donc les tribus ont voulu que ce bateau soit entouré de plusieurs canoës. » (Entretien avec Barbara Lawrence, le 28/03/2000).
« Laissez le canoë de cèdre devenir un symbole de l’expression culturelle des Indiens de l’État de Washington. Les législateurs et les bureaucrates n’auront probablement plus jamais une telle occasion d’apporter une contribution significative à la préservation des cultures indiennes de Washington. Les canoës pourraient pour cet anniversaire, être employés comme un point de ralliement de nombreuses tribus [...] Tandis que 1989 s’attache à fêter l’anniversaire de notre État, il donne aussi les moyens de regarder encore plus loin dans notre passé historique et de voir ce qu’ont apporté les premiers peuples qui ont vécu ici [... ] La culture autochtone à ses débuts n’aurait pas pu se développer et prospérer sans le canoë. Aussi il est juste que nous rendions hommage à un élément aborigène qui a eu tellement d’importance dans la vie des gens. Le canoë représente la vie autochtone dans sa totalité. [...] Bien que le canoë ne puisse jamais retrouver l’importance qu’il a eu par le passé, nous pouvons l’honorer pendant ces mois comme un symbole d’une culture digne de prendre part à la célébration du centième anniversaire. »
La coupe des arbres est très réglementée. Son accès est de plus en plus difficile et coûte cher.