Chapitre IV. La revitalisation de l’identité collective

En cette fin de 20ème et début de 21ème siècle, les Suquamish, en tant que gouvernement tribal autonome, doivent prouver l’efficacité de leur politique de développement tribale. Ils font donc preuve d’imagination et de créativité et s’approprient la structure politique tribale mise en place par le gouvernement fédéral. Cette stratégie leur permet non seulement de se reconstruire une identité collective mais aussi de s’imposer en tant qu’interlocuteur valable et de se donner une certaine légitimité en tant que peuple autochtone.

Chaque année depuis 1993, ils participent, comme de nombreuses autres tribus, au voyage annuel en canoë, à cette « New traditional Performance » au sens Michael Harkin (1997). Ils réactivent et réinterprètent le canoë et le voyage afin de répondre à des enjeux identitaires contemporains. Ce choix est stratégique et opératoire. Il permet à la communauté de raviver la culture des anciens, de revitaliser la culture contemporaine et de réorganiser l’identité tribale.

Ce chapitre IV traite donc de la façon dont la tribu suquamish utilise ces dernières années cette « New tradition » pour raviver une culture endormie, revaloriser un particularisme culturel et se reconstruire une identité collective afin d’assurer l’avenir de la tribu. J’ai choisi de parler du voyage Ahousaht de 1999 et Squamish de 2001. Car ils sont à mon avis, avec le voyage Paddle to Seattle et Bella Bella, des moments importants et déterminants de l’histoire tribale contemporaine suquamish, comme le seront également les voyages et la construction de deux canoës de cèdre en 2002 et 2003. Je vais procéder à une comparaison de ces deux odyssées afin de comprendre comment les Suquamish se reconstruisent une identité collective et réorganisent leur identité tribale au fil de ces odyssées. Je m’intéresserai aux acteurs et à leurs canoës, au projet tribal en lien avec chaque voyage et enfin au périple. Comment se déroule un voyage ? Comment participe-t-il à une revitalisation de la culture à travers différentes cérémonies comme le potlatch ? Quand et comment peut s’exprimer l’identité collective tribale ?

Dans le premier point de ce chapitre, j’aborderai le voyage Ahousaht de 1999. Ce voyage fut le premier périple en Colombie Britannique depuis Bella Bella et l’occasion pour la tribu de présenter son groupe de danse, de montrer aux autres communautés son travail de revitalisation de la culture et de continuer à apprendre et à partager des savoirs et des connaissances. C’était aussi pour l’anthropologue que j’étais, mon premier voyage et l’opportunité de me positionner au sein de la communauté suquamish, de poursuivre de façon plus approfondie mes recherches et d’avancer dans la compréhension des causes et des effets du grand retour du canoë sur la côte du Pacifique.

Plus loin, je parlerai du voyage squamish de 2001, mon deuxième voyage en mer avec les Suquamish (cf. DVD) 193 . Cette odyssée fut pour moi un moment important de la recherche puisque je décidais d’utiliser la caméra sur le terrain. Quant aux Suquamish, ils avaient pour la première fois un canoë tribal en fibre de verre. Cette acquisition était liée à un projet socioculturel. La tribu disposait de quatre embarcations et utilisait pour la première fois le canoë comme un outil de transmission des valeurs, us et coutumes communautaires et un instrument de différenciation et d’identification tribale. Je reviendrai sur la préparation de ce voyage et en particulier sur la façon dont le projet a été pensé et mis en pratique. Je parlerai d’une des cérémonies les plus importantes de ce voyage, le potlatch, dans lequel s’exprime tout un ensemble de valeurs et de sentiments identitaires servant de ressource à la réappropriation de l’identité tribale.

Notes
193.

Ce DVD de 12.39 mn, intitulé « Suquamish . D’suq’wub (place of clear salt water) », retrace deux moments importants de la vie contemporaine suquamish : Le voyage annuel en canoë de 2001 et la construction d’un canoë en cèdre en 2002. Il est un petit résumé de deux de mes documentaires : Le canoë, les racines du renouveau, 2003, Centre audio-visuel, Université Lyon 2, DVD/50mn et La collecte traditionnelle du cèdre, 2003, Centre audio-visuel, Université Lyon 2, DVD/41mn. Voir au dos de la quatrième de couverture.