Le Wes-i-dult

Le Wes-i-dult était le canoë de Ed Carriere, d’origine suquamish et également un descendant de la lignée du chef Wah-hehl-tchoo. Ed ne souhaita plus naviguer dans le Raven et voulut avoir son propre canoë. En 1996, il fabriqua son premier canoë, le Julia 199 , une embarcation de 6 mètres de long avec laquelle il prit part au First Circle. Mais cette embarcation n’était pas adaptée à la navigation en haute mer et il décida en 1997, de fabriquer avec l’aide de Duane Pasco, un nouveau canoë de 8 mètres de long de type salish, le Wes-i-dult 200 (cf. photo XXVI).

Photo XXVI. Canoë
Photo XXVI. Canoë Wes-i-dult. Plage d’Ahousaht. Colombie Britannique.

Photo : R. Merlet (1999).

Une façon pour lui de renouer avec l’héritage de ses ancêtres et de transmettre et de partager cette histoire avec d’autres groupes. Car comme me l’expliqua Ed lors d’un entretien,

‘« I decided to carve a Coast Salish style canoe because that was a kind of canoe that our tribal peoples carved and used in a side of Puget Sound […] I try to carry on my tribal culture » 201 (Entretien avec Ed Carriere, le 27/07/1999).’

Avec ce nouveau canoë, Ed participa au rassemblement de 1997 en territoire quileute, puis en 1998 en territoire puyallup. Il acquit tout au long de ces années de l’expérience aux commandes du Wes-i-dult et fut prêt pour cette nouvelle aventure le long de la côte du Pacifique en Colombie Britannique. Mais il eut, comme Marilyn Wandrey, des problèmes pour trouver un équipage. Il dut lui aussi faire appel à des amis blancs afin d’être sûre de participer au voyage car d’après Ed,

‘« If you just want an Indian crew on your canoe, you may not going on a trip. Like Port Gamble S’Klallam Tribe, they couldn’t get a crew for their canoe because they wanted to be tribal people. […] So they didn’t go on a trip » 202 (Entretien avec Ed Carriere, le 8/03/2000).’

L’essentiel était pour lui, c’était aussi la position de Marilyn et de la tribu, de faire et de partager l’expérience du voyage. Les non-Indiens et les Blancs étaient les bienvenus dans leur canoë. Cela n’avait rien d’anodin et d’exceptionnel pour les Suquamish. Ils ont toujours eu une relation particulière avec l’homme blanc. Leur chef Seattle fut l’ami des Blancs et son souhait le plus cher, avant sa mort, fut que les Indiens et les Blancs puissent vivre en harmonie. Ce fut probablement une des raisons, en autre, pour lesquelles, les Suquamish étaient les seuls avec les Puyallup à représenter le Puget Sound. Les S’Klallam étaient absents. Les Nisqually n’avaient pas de canoës. Mais ils mettaient à la disposition des tribus ayant des embarcations, un bateau pour assurer la sécurité en mer des participants, en échange de quelques places dans ces canoës pour leurs membres tribaux. Il y avait quelques Squaxin mais aucune personne d’origine muckleshoot, skokomish, snoqualmie, shonomish, steilacoom. En fait, les tribus du Puget Sound n’avaient pour la plupart pas de canoës.

Ed n’eut aucune aide du Conseil tribal et finança l’achat du matériel (gilets de sauvetage, fusées de détresse, etc), de la nourriture (praires, palourdes, huîtres, viande d’élan et saumon) et des cadeaux pour les hôtes (palourdes séchées, thé, saumon fumé, couvertures, argent et chapeaux, vestes et paniers en cèdre). Il fabriqua certains de ces cadeaux comme les paniers et les bandeaux en cèdre et également ses propres pagaies. Chaque pagayeur possède généralement sa propre pagaie qu’il sculpte et personnalise quand il maîtrise la technique de la sculpture du bois. Dans le cas contraire, il fait appel à un sculpteur ou fait un emprunt mais ceci reste exceptionnel. J’eus pour ma part la chance de rencontrer Gene Jones, sculpteur d’origine s’klallam, marié à une Suquamish. Gene me proposa de me sculpter une pagaie et la femme de Ed me la personnalisa. Malheureusement, cette pagaie fut trop lourde et je dus, comme la plupart des pagayeurs du Wes-i-dult, emprunter une pagaie appartenant à Ed (cf. photo XXVII).

Photo XXVII. Pagaies sculptées par Ed Carriere.
Photo XXVII. Pagaies sculptées par Ed Carriere.

Photo : R. Merlet (1999).

Ed évalua au cours de plusieurs sorties en mer, la force physique et mentale de son équipage ainsi que l’ambiance au sein du groupe. Car dans le canoë, le groupe prime sur l’individu. Chacun a un rôle à jouer mais toujours au sein du groupe. Le capitaine est responsable de son équipage, il est là pour le diriger, l’écouter et régler les problèmes qui peuvent apparaître. Il occupe la place arrière et se charge de « barrer » à l’aide d’une longue pagaie qui lui sert de gouvernail, observe le ciel, la mer, la flore et la faune marine et doit être capable d’interpréter tous ces éléments naturels. Quant au pagayeur, il se doit d’écouter les directives du capitaine et doit suivre le rythme donné par le pagayeur placé à la proue. Finalement, le voyage annuel est un périple de quelques semaines mais se pense et se prépare un an auparavant.

Notes
199.

Julia était le prénom de son arrière-grand-mère qui était la petite-fille adoptive du chef Wah-hehl-tchoo.

200.

Ce nom était celui de son arrière arrière-grand-mère, la femme de Wah-hehl-tchoo.

201.

« J’ai décidé de sculpter un canoë de style côte salish car c’était le modèle que sculptait et utilisait notre peuple [...] J’essaye de continuer ma culture tribale. » (Entretien avec Ed Carriere, le 27/07/1999).

202.

« Si vous cherchez à avoir un équipage indien dans votre canoë, il est probable que vous ne puissiez pas prendre part au voyage. C’est ce qui est arrivé à la tribu s’klallam de Port Gamble, les S’Klallam n’ont pas trouvé d’équipage car ils ne voulaient que des membres tribaux dans leur canoë. […] Par conséquent ils n’ont pas pris part au voyage. » (Entretien avec Ed Carriere, le 8/03/2000).