Deuxième jour. Nous décidâmes de faire une sortie en mer avec le Wes-i-dult, histoire de continuer notre entraînement. Les Makah et les Puyallup nous rejoignirent en fin de matinée et vers quatorze heures, nous fûmes de retour à la réserve pour la cérémonie de bienvenue.
Ce rituel sera récurrent tout au long de notre périple. A chaque fois que nous accosterons un territoire étranger, nous devrons arriver en levant nos pagaies en signe de paix et effectuer deux cercles 207 . Chaque capitaine devra présenter sa tribu, sa famille et demander le droit d’accoster le territoire afin de s’y restaurer. Chaque requête sera écoutée et discutée par l’hôte qui finira par inviter le capitaine et son équipage à se joindre au dîner donné en leur honneur (Zahir & Hilbert, 2000 : 41-43).
Un groupe de chanteurs makah nous attendait sur la plage en chantant une Welcoming Song. Les Puyallup furent les premiers à se diriger vers la plage. Ils exécutèrent un cercle au rythme des tambours et laissèrent glisser leur canoë jusqu’à la plage en levant leur pagaie. Leur capitaine demanda au chef, l’autorisation de se restaurer et d’accoster son territoire. Ce dernier accepta la requête et les Puyallup effectuèrent une seconde fois un cercle, avant de regagner la plage. Puis, ce fut notre tour. Nous suivîmes le mouvement en essayant de respecter au mieux les différentes étapes de ce protocole de bienvenue : le cercle, les pagaies levées, la demande de requête et à nouveau un cercle, avant de pouvoir poser les pieds à terre. Enfin, l’équipage makah mit fin à ce protocole en exécutant successivement deux cercles avant de rejoindre le groupe de chanteurs.
Un peu plus tard dans la journée, le jeune équipage de la tribu quileute de la Push arriva avec le Os chuck a bick (cf. photo XXIX), un canoë de style nootkan dont la coque était recouverte de formes figuratives représentant des animaux comme la baleine tueuse, le saumon, l’ours et l’oiseau tonnerre 208 .
Photo : R. Merlet (1999).
Troisième jour. Les Hoh River puis les Quinault arrivèrent en voiture très tôt dans la matinée. Les Hoh River avaient avec eux un petit canoë de style nootkan d’environ cinq places. Quant aux Quinault, beaucoup plus nombreux, environ vingt cinq personnes, ils avaient un canoë du même style mais plus grand.
Le groupe des participants s’agrandit donc un peu plus et se posa alors le problème du transport des bagages et des pagayeurs jusqu’à l’île Flores. Il n’y avait que trois bateaux de sauvetage makah et un nisqually pour transporter le matériel et quelques membres d’équipages. La tribu nisqually était prête à mettre à la disposition des autres nations son bateau si ces dernières prenaient ses pagayeurs et ceux des Squaxin dans leurs canoës. Quant aux Makah, ils acceptèrent après une longue discussion, d’assurer avec leurs trois bateaux et celui des Nisqually, la sécurité en mer des sept canoës : deux makah, un quinault, un suquamish, un hoh river et deux quileute.
Ceci étant réglé, nous nous retrouvâmes tous sur la plage pour le départ. Les Puyallup effectuèrent un cercle autour de leur canoë et demandèrent à son esprit d’assurer en mer leur protection. Nous prîmes exemple sur eux à la demande de notre capitaine Ed Carriere. Les canoës s’éloignèrent un à un, après avoir demandé à leur hôte l’autorisation de quitter leur territoire. Ce rituel se reproduira chaque fois que les canoës quitteront un territoire. Ils devront prévenir leur hôte de leur départ, attendre leurs remerciements, leur autorisation de prendre la mer et recevoir leur bénédiction (Zahir & Hilbert, 2000 : 39-40).
J’embarquai pour cette première journée en mer, dans le bateau de sauvetage nisqually. Nous étions chargés d’assurer la sécurité des canoës durant cette traversée du détroit de Juan de Fuca. Après quatre heures de navigation, nous arrivâmes en territoire pacheenaht. Nous étions désormais au Canada et plus précisément au sud de l’île de Vancouver en Colombie Britannique chez les Nootkans 209 , également connus pour être de courageux baleiniers entraînés dès leur plus jeune âge à la navigation de leurs solides et robustes canoës (Arima & Dewhirst 1990 : 391-401).
A quelques kilomètres de San Juan Harbour, les capitaines décidèrent de profiter de la brise pour hisser les voiles et se reposer. Puis, ils se regroupèrent à l’entrée de la baie Pacheenaht et plièrent les voiles. Un premier canoë longea la rade jusqu’au village, puis un deuxième et un troisième. Les Pacheenaht nous attendaient pour procéder à la cérémonie de bienvenue. Les capitaines adressèrent les uns après les autres leur requête au chef et furent invités avec leur équipage à se joindre à un grand dîner donné en leur honneur.
Les Makah animèrent en grande partie ce dîner, avec leurs danses et leurs chants. A la fin du repas, leur porte-parole remercia dans sa langue vernaculaire son hôte tandis qu’une autre personne traduisit en anglais ses propos. Tout ceci sous le regard attentif et admiratif des autres membres tribaux qui ne parlaient plus, pour la plupart, la langue de leurs ancêtres. Nous suivîmes à la demande de Jeff, le fils de Ed, l’exemple des Makah. Nous chantâmes à notre tour, au nom des Suquamish et de la famille Carriere, maladroitement la Thanks Song suquamish, en signe de remerciements. Peu d’entre nous connaissait la chanson, mais cela n’était finalement pas si grave. Car l’essentiel était avant tout de faire preuve d’engagement et de respect ; d’apprendre et de partager des expériences, des chants et des danses ; de participer même maladroitement, d’observer, de regarder, d’écouter et de s’entraider.
Le cercle symbolise l’approche holistique du monde amérindien et notamment celle du cercle sacré. Il était aussi un moyen pour l’étranger de voir si les habitants du territoire dans lequel il entrait, étaient ou n’étaient pas hostiles à sa présence.
La baleine tueuse chasse en bande et est considérée comme la meilleure chasseuse de la mer. Il est dit que lorsque les pêcheurs injurient une baleine tueuse, leur canoë chavire et ils se retrouvent dans le village des baleines où ils sont transformés en baleine. Quant aux ours, ils sont considérés comme des êtres exceptionnellement humain dans la nature. Les masques représentant la figure animale de l’ours sont généralement souriants. Cette figure est aussi utilisée dans la réalisation de cadeaux et symbolise dans ce cas l’amitié. Enfin, l’oiseau tonnerre est une créature puissante. Le clan de l’oiseau tonnerre est celui des chefs et des nobles. (voir essai de Cumming, Margaret, Northwest Coast native American Masks, www.andrew.cmu.edu).
Les Nootkans du Sud parle le nitinat : Ditidaht (nitinat), Clo-oose, Carmanah et Pacheenaht. Ceux du Nord : Chickliset, Kyuquot et Ehattesaht, Nutchatlaht, Mowachaht, Muchalat et du Centre : Hesquiaht, Otsosat, Manhousat, Ahousaht, Ucluelet, Kelsemat, Clayoquot, Toquaht, Uchucklesaht, Sheshaht, Opetchesaht, Ohiaht, parlent le nootka.