Les premiers totems.

Pour cette nouvelle étape, je fis le voyage en voiture jusqu'à Tofino, en compagnie d’une femme quinault et de ses trois enfants. Lorsque nous arrivâmes dans cette ville de plus de 1600 habitants, un sentiment étrange m’envahit. Depuis plus d’une semaine, je partageais avec les pagayeurs, un quotidien rythmé par la vie en mer, dans le canoë, par de nouvelles rencontres culturelles, par différentes cérémonies, danses et chants. Or soudain, je me retrouvais dans une ville très animée et touristique. A ce moment précis, je pris conscience du rôle du canoë et du voyage dans cette quête de soi, de sa culture et de ses origines. Pour la première fois depuis le début de ce périple, je pus prendre de la distance par rapport à ce terrain. Jusqu’à maintenant, il m’avait été difficile d’être à la fois pagayeur et ethnologue. Mais cela ne dura pas. Je devais retrouver au port, le Raven , qui arrivait de Nanaimo. Nous devions décharger les bagages et les mettre dans les bateaux à destination de l’île Meares et de la réserve Opitsat où nous devions rejoindre le reste des équipages pour la nuit.

Une demi-heure plus tard, je me retrouvais déjà très loin du monde des « Blancs ». A l’horizon se profilait un village dont les maisons étaient alignées face à la mer et semblaient être encadrées par ce qui m’apparaissait être des totems. Il ne faisait plus aucun doute que nous étions en Colombie Britannique, l’agencement du village et de ces poteaux héraldiques en étaient la preuve.

A notre arrivée sur l’île Meares, les enfants clayoquot sortirent de leur habitation, nous souhaitèrent la bienvenue et nous accompagnèrent jusqu’à une grande salle où nous nous restaurâmes. Nous étions les premiers, mais les canoës ne devaient plus tarder. Quelques minutes plus tard, nous aperçûmes au loin une embarcation. Tout le monde se précipita sur la plage pour l’accueillir. C’était le canoë de la tribu songhee, de l’île de Victoria. Il y avait à bord que des jeunes à l’exception du capitaine. Cette embarcation était en fibre de verre, chose exceptionnelle, la plupart du temps, elles étaient en cèdre. Parfois, comme pour le cas de cette communauté, il arrivait que le canoë en cèdre soit accidenté lors d’une odyssée. La tribu n’ayant pas les moyens ou le temps de le réparer, elle décidait souvent d’acheter ce type d’embarcation afin de participer au voyage. C’était très souvent une solution temporaire, le temps de trouver le tronc nécessaire à la fabrication de ce canoë de mer que toutes les tribus rêvaient d’avoir.

En attendant l’arrivée des quatorze autres canoës, les jeunes vendirent des tee-shirts, des tickets de tombola pour gagner une pagaie et financer un peu leur voyage. En fin de journée, nous attendions toujours le reste des équipages lorsque nous aperçûmes une armada de canoës naviguant dans notre direction. Les représentants clayoquot de la réserve opitsat, accompagnés de leur groupe de chanteurs et des autres participants, se regroupèrent sur la plage pour les accueillir comme il se doit. Le chef souhaita la bienvenue aux équipages en langue nootkan tandis qu’une deuxième personne traduisit ces propos en anglais. Ceci devenait de plus en plus fréquent à mesure que nous remontions vers le nord de l’île de Vancouver. Comme à l’accoutumée, nous installâmes nos tentes, rejoignîmes les autres participants pour le dîner et finîmes cette fois-ci la soirée par un ball game 212 . Ce jeu de hasard et de compétition s’accompagne de paris qui varient parfois du simple au double. Les participants peuvent parier des danses, des chants mais aussi un canoë ou de l’argent. Ce soir là, les paris se limitèrent aux chants et aux danses. Un petit air de compétition flottait dans l’atmosphère car chacun représentait aussi une équipe et une tribu. Mais nous étions tous-là, avant tout pour nous amuser, échanger et partager des us et coutumes.

Notes
212.

Ce jeu oppose deux équipes, en l’occurrence il s’agissait des hôtes et des invités. Chaque équipe a cinq petits bâtons blancs avec des motifs. Le but est de prendre à votre adversaire le bâton blanc dont le motif correspond à celui que vous avez dans la main au moment où il vous propose de choisir entre le contenu de sa main droite ou sa main gauche. L’équipe gagnante est celle qui possède tous les bâtonnets.