Les tenants et les aboutissants

Nigel Lawrence, le responsable du Youth Center et Chuck Wagner, le responsable du Wellness Program décrivirent dans ce dossier les tenants et les aboutissants du projet afin d’obtenir des financements pour la période de 2001-2003.

L’objectif était d’encourager les jeunes de 5 à 21 ans à suivre des activités sociales et culturelles afin de limiter la probabilité qu’ils s’engagent dans l’usage et l’abus de drogue et d’alcool. D’après les responsables du département Human Service s, les enfants étaient confrontés en particulier à trois grands « facteurs risques » parmi les dix-neuf proposés par DASA 224  : l’aliénation 225 , la rébellion et le manque d’engagement dans la société. Ils pensaient que pour remédier à ces risques, il fallait mettre en avant trois « facteurs protecteurs » parmi les huit proposés par DASA : participer à des activités structurées dans lesquelles sont mis en valeur l’engagement ; développer des compétences sociales ; apprendre à résoudre des problèmes et à avoir des attitudes et des comportements positifs et sains à l’intérieur d’une communauté centrée et basée sur des programmes culturels 226 .

Nigel m’expliqua lors d’un entretien que les compétences culturelles et sociales réduisaient les risques de dépendances aux drogues et à alcool,

‘« One we give them recognition for doing stuffs or hard work, hopefully they value themself in a community and we work hard to help build that community. […] traditional social skills are one kind of class of social skills, one category. It is like when you go to a potlatch, you have to know and respect the protocols, and they can learn all of that and to have that much more knowledge. It is like an other armor they can use as help » 227 (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/05/2002).’

La valorisation des compétences sociales et culturelles : talents, savoir-faire, communications interpersonnelles, capacités à résoudre des problèmes, à prendre des décisions et à gérer les crises, est un moteur de la confiance en soi et de l’identité.

L’identité indienne a lourdement été marquée par les pensionnats, la politique fédérale indienne et par l’industrie cinématographique hollywoodienne. Les tribus de la côte ont longtemps été marquées par l’image de l’Indien des plaines, à tel point que durant la période du renouveau, les Pow-Wow ont fait leur apparition sur la Côte. Mais progressivement, elles ont découvert, grâce aux Indiens du Nord (Kwakiutl, Nootkan), que leur culture n’était pas liée aux Pow-Wow, aux plaines et aux Sioux. Elles ont réalisé qu’elles avaient des points communs avec les communautés côtières, qu’il fallait les valoriser et les utiliser, pour paradoxalement, se différencier et développer son identité tribale.

Les Suquamish mirent en avant dans ce dossier, les spécificités culturelles et sociales tribales du voyage annuel en canoë et ses bienfaits dans la construction de l’identité individuelle et collective, car me précisa Nigel,

‘« When we are going on canoe journey we are relearning about who we are and we can take that idea and those traditional values and put them to our other lives when we go to school, when we go to work and try figure out where we feed in the United States because that still a big problem » 228 (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/05/2002).’

Ce projet ne consista pas seulement, me dit Nigel, à exposer les jeunes à un environnement culturel mais aussi faire en sorte qu’ils soient des acteurs,

‘« It is something they are doing. It is not just, yes it is physically challenging in a way you have to paddle for, you know, at least a couple hours and probably several ten hours a day on a bad day, you know, long day. But it is also you know mentally, emotionnally, challenging and one of the bigger things. It is not just our tribe. We go with all the other tribes and so we get to see that the other tribes are dysfonctionnal like our. The help, it is in other tribes and all other tribes are saying the same things that we are saying to our kids : respect our elder. And for our kids to see that it is not just something. It is universal indian believes » 229 (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/05/2002).’

L’odyssée permet de lancer des défis. Elle repose sur un programme structuré d’enseignement et d’apprentissage mis en pratique dans un environnement de défis physiques et psychologiques individuels et collectifs. Elle apporte une certaine reconnaissance et une valeur de soi, le respect, la force, la sagesse, le courage et l’humilité. Tout un ensemble de qualités qui permet de prendre les bonnes décisions et devenir des adultes responsables, indépendants et fiers de leur origine et de ce qu’ils sont devenus.

Notes
224.

Government to Government (G2G), 2001-03, « Tribal Prevention Forms with Instructions/Examples », Division of alcohol and substance Abuse (DASA), Washington State Department of Social and Health Services.

225.

L’aliénation fait référence dans ce contexte à l’ensemble des frustrations que les enfants subissent notamment dans les écoles où ils sont dénigrés et où on leur répète qu’ils ne sont pas intelligents et ne savent rien faire.

226.

Division of Alcohol and Substance Abuse Spending Plan, 2001-2003, « Tribal Regional Administrator Notification Form Program Description Section », Division of Alcohol and Substance Abuse, Washington State Department of Social and Health Services Washington.

227.

« Dès que nous nous intéressons au travail et aux choses qu’ils réalisent, ils se valorisent et nous travaillons dur pour créer cet environnement. […] les compétences sociales traditionnelles sont une forme, une catégorie de compétences sociales. C’est comme quand vous allez à un potlatch, vous devez connaître et respecter les protocoles, et ils peuvent apprendre tout cela, détenir toute cette connaissance et beaucoup plus. C’est comme posséder une armure, qu’ils peuvent utiliser pour se protéger. » (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/04/2002).

228.

« Quand nous participons à des voyages en canoë, nous réapprenons les valeurs traditionnelles, qui nous sommes et nous pouvons utiliser ces enseignements dans notre vie de tous les jours, quand nous allons à l’école ou travailler, afin de savoir où est notre place dans cette Amérique parce que c’est encore un gros problème. » (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/05/2002).

229.

« Ils accomplissent quelque chose. Ce n’est pas seulement, bien sûr, c’est une épreuve physique dans la mesure où vous devez pagayer, au moins quelques heures et probablement une dizaine d’heures par jour, parfois le temps est mauvais et les journées sont longues. Mais c’est aussi une épreuve mentale, émotionnelle, motivante et l’une des meilleures choses. Cela concerne d’autres tribus. Nous nous rendons compte que les autres tribus ont aussi des problèmes et qu’elles enseignent la même chose que nous à leurs enfants : le respect des aînés. C’est important que nos enfants se rendent compte que ces croyances sont universellement indiennes. » (Entretien avec Nigel Lawrence, le 15/12/2002).