Le canoë Dukwčəł

Afin de mener à bien ce projet, la tribu acheta un canoë en fibre de verre blanc, de style salish, baptisé Duk w č ə ł (cf. photo XXXIX). Ce canoë devait changer, « transformer » la vie des gens et les guider dans leur vie de tous les jours. Il devait leur permettre de quitter leurs dépendances, faire en sorte quelles restent « derrière eux » et les aider à assurer leur bien être.

Photo XXXIX : Le canoe
Photo XXXIX : Le canoe Duk w č ə ł. Village Suquamish. Port Madison.

Photo : R. Merlet (2001).

Le choix de la couleur, du dessin et du nom ne fut donc pas un hasard. Le blanc rappela les anciennes embarcations de guerre et représentait désormais cette guerre contre ces fléaux qui touchaient les Indiens. Le dessin de la proue fut créé par Peg Deam et représentait une figure humaine qui portait une pagaie sur laquelle était inscrite en lushootseedx w s ə q’ w ə b (Suquamish) (cf. photo XL).

Photo XL. Proue du canoë
Photo XL. Proue du canoë Duk w čəł.

Photo : R. Merlet (2001).

Cette figure humaine utilisait cette pagaie, symbole de la culture suquamish, pour aider les gens à mieux se connaître et à les éloigner d’une dépendance, représentée par l’œil noir, dans laquelle ils pouvaient tomber ou retomber à tout moment. Elle « transforme » leur vie d’où ce nom lushootseedDuk w č ə ł qui veut dire « transformation ». Cette figure représentait l’histoire de la tribu et non plus celle d’une famille, comme c’était le cas du canoë le Tana Stobs, puisque le canoë appartenait à la tribu. Un point était tout de même commun à ces deux types de canoës, les symboles décorant les poupes et les proues, relevaient d’une pratique ancestrale et représentaient une réalité socioculturelle et politique contemporaine

Le canoë devait « guider » les hommes, il devait pour cela retrouver sa fonctionnalité et prendre la mer, car comme le rappelle Roger Somé en parlant du masque africain : « L’objet n’a d’importance que s’il sert, s’il est efficace. Lorsque l’objet ne peut rendre cette fonction d’efficacité, il n’est bon à rien. […] L’objet n’est pas un objet d’exposition. C’est un objet qui est dans la vie, qui occupe la place qui est la sienne » (2003 : 55-56).

La tribu obtint des financements de DASA, environ 57,369$. Cela permit à une trentaine de jeunes de 5 à 21 ans et une trentaine d’adultes de participer au voyage annuel de 2001 organisé par les Squamish de Vancouver au Canada. Pour la grande majorité, c’était le premier voyage en mer et la première fois qu’ils sortaient de la réserve. Pour une minorité, cette expérience était, en accord avec la cour tribale, une alternative à une incarcération, ou bien une solution à un traitement qui ne fonctionnait pas. Cette hétérogénéité provoqua d’ailleurs une certaine tension au sein de la communauté. Certains membres avaient peur de l’amalgame et des mauvaises influences. D’autres parlaient d’exemples, de grands frères et de soutien. Malgré tout, ces tensions furent positives, elles provoquèrent le dialogue, l’échange et la communication. Elles permirent d’avancer vers une réflexion et des solutions plus construites et adaptées, confortant la viabilité et la légitimité du projet.