La maison communautaire tulalip

La première escale du voyage de 2001 se fit chez les Tulalip de Marysville, État de Washington (cf. DVD) 255 . Ces derniers nous avaient conviés à une fête dans leur maison communautaire. Ce fut pour moi et pour la plupart des jeunes gens présents, la première fois que nous entrions dans une maison communautaire. Le sol était en terre. Il y avait au centre, deux feux, servant d’éclairage et autour desquels s’étaient rassemblés quelques chanteurs pour chauffer leurs tambours. Tout au tour, des estrades en bois et au mur, des pancartes portant le nom de quelques tribus de la région. Ces tribus avaient une place attitrée, tout comme les aînés et les dignitaires qui occupaient les sièges les plus proches de la piste. Le reste de l’assemblée occupait les places vacantes.

Nous nous installâmes sur l’estrade de gauche, en face des membres tulalip et attendîmes leur chef. Quelques minutes plus tard, ce dernier entra sur la piste, l’assemblée se leva et devint silencieuse. Il commença à remercier au nom de sa tribu, les invités de leur présence et en signe de remerciement leur offrit des présents comme de la nourriture, quelques chants et danses. Puis, il présenta les dignitaires de sa communauté et invita les Quinault, Hoh River, Makah, Nisqually, Puyallup et les Suquamish à prendre, chacun leur tour, possession de la piste, le temps d’une représentation. Les Puyallup profitèrent de l’occasion pour faire passer ce message : « Smoke free, Alcohol free » et rappeler que la consommation d’alcool, de cigarettes et de drogues ne faisait pas partie de la tradition.

Ce moment où les participants entrent sur la piste est très important, car la réputation de leur tribu est en jeu. Ils doivent savoir honorer leur hôte. C’est aussi l’occasion de remercier leur tribu, de rendre hommage à une personne disparue, d’encourager les jeunes et de faire passer des messages.

Il était une heure du matin et cela faisait déjà plus cinq heures que s’enchaînaient sans interruption, des discours, des danses et des chants quand les Suquamish prirent à leur tour la parole. L’instant était solennel, Ils devaient non seulement remercier leur hôte mais aussi présenter leurs excuses. Un de leurs membres n’avait pas respecté les règles du voyage et s’était mal comporté en territoire tulalip. Des excuses publiques, de la part de la tribu et de ce jeune homme, s’imposaient afin d’éviter l’« incident diplomatique », la honte et le déshonneur. Ce fut Bennie Armstrong, le chef des Suquamish en personne, qui s’excusa au nom de sa tribu, auprès du chef tulalip, du comportement de l’un des pagayeurs de son canoë Tana Stobs. Il exigea du jeune membre des excuses et le don d’une couverture au chef afin de « laver » son déshonneur. Bennie Armstrong présenta également sa tribu et les capitaines des trois canoës suquamish. Il termina son discours en félicitant les jeunes d’avoir eu un comportement exemplaire durant cette fête.

Le chef tulalip accepta toutes ces excuses en ajoutant que ce jeune homme n’était heureusement pas seul pour faire face à cette situation et pouvait compter sur le soutien de son groupe. Puis, il évoqua le travail que les tribus menaient auprès des enfants. Il insista sur la patience et le comportement admirable des jeunes. Il leur rappela que grâce à cette attitude, ils pouvaient mieux comprendre et apprendre les croyances et les pratiques de leur culture.

Ce rassemblement cérémoniel, rituel et sacré était en quelque sorte cette « fête-essence » dont parle Agnès Villadary :

‘« Un moment de vie intense en rupture complète avec la vie ordinaire. […] Une rupture du temps […] la communauté revit son histoire de manière authentique et la réintègre. […] La fête n’est pas pour autant tournée vers le passé, on assiste à une reprise en charge du passé au sein même du présent. Elle est une entreprise de régénération totale du temps. […] une rupture de l’espace […] l’occasion pour la communauté de franchir les bornes de son espace quotidien » (1968 : 26-36). ’

Katie (Ky-kahblu), la fille de Peg Deam, était une des pagayeuses du Duk w č ə ł et participait à ce rassemblement dans la maison communautaire tulalip. Ce n’était pas, contrairement à la plupart des jeunes suquamish présents, la première fois qu’elle entrait dans ce type de maison. Mais elle m’expliqua qu’elle vivait toujours cette expérience comme un moment éprouvant et émouvant,

‘« When you walk in long house, you just have overwhelming sense of something important can happen and you just know it and it is really great because you just sit back and relax and watch. And all these people express their feeling their thoughts and imaginations. And see their culture come to live and just see these people talk, it is just amazing. See people talk in an atmosphere like that it is great. It is just make you want to paid attention and you want to learn and it is really just powerful to be there and witness all that. It was really interesting to see all the tribes got together. It was so great like a working machine » 256 (Entretien avec Katie Deam, le 28/08/2001).’

Car, comme me le fera remarquer Nigel, le capitaine du Duk w č ə ł,

‘« […] You know a lot of elders talk and so for a lot of our youth are not used to it, listen people and standing there and talking for a long time. They are not used to sit and listen. They used to run around and watch TV and play video game. Sitting in a pattern when we go in long house it is not like that it is very slow down and you sit there and the next group it is not ready so you still sit and wait for them to get ready. If somebody is talking for a long time it is our job to sit there and listen and these kids didn’t understand that they wanted to go camping, swimming and hand up at the camp fire. He took me a long time to convince them to come in long house to participate to see what happened and a lot of them liked it » 257 (Entretien avec Nigel Lawrence, le 12/04/2002).’

Il y a un décalage entre le monde blanc où la consommation, la compétition et l’individualisme sont idéalisés et le monde indien dans lequel sont valorisées l’écoute, la patience, l’entraide et la famille. Prendre conscience de ce décalage est nécessaire pour faire face aux difficultés du quotidien, mais ce n’est, bien sûr, pas suffisant. Les tribus l’ont compris. Le développement culturel, social et économique passe également par un respect mutuel, la confiance, la collaboration et la coopération avec les autres communautés, les institutions et les citoyens américains. Ces rassemblements sont donc peut-être en dehors « d’un temps », mais pas « du temps », puisqu’ils demandent plus d’un an de préparation, donnent lieu à des projets et ont des effets sur la vie communautaire. Ils sont régénérant, féconds, créateurs et restent malgré leur caractère cérémoniel, rituel et leur rupture avec la vie ordinaire, des instruments de socialisation et de régulation sociale du quotidien.

Notes
255.

Voir DVD au dos de la quatrième de couverture. Merlet Rachel, 2007, Suquamish : D’suq’wub (People who live near place of clear salt water). Premier film : Voyage annuel en canoë. Territoire squamish. (Vancouver. Canada. 2001), Centre audio-visuel, Université Lyon 2, DVD/8mn.

256.

« Quand vous marchez dans une maison communautaire, vous êtes submergé par ce sentiment que quelque chose d’important peut arriver, vous le savez et vous attendez, vous vous asseyez, regardez. C’est impressionnant de voir tous ces gens qui expriment leurs sentiments, leurs émotions, leur imagination et leur façon de penser. Voir tous ces gens parler et regarder leur culture prendre vie dans un tel environnement, c’est formidable. Cela vous donne envie de prêter attention et d’apprendre et c’est très enrichissant d’être présent et d’être témoin de ce qui se passe. C’était très intéressant de voir toutes ces tribus réunies et se comporter comme une « machine en plein travail ». » (Entretien avec Katie Deam, le 28/08/2001).

257.

« […] Beaucoup d’anciens parlent et beaucoup de jeunes ne sont pas habitués à s’asseoir et à écouter des gens parler des heures et des heures. Ils sont habitués à courir, à regarder la télévision et à jouer aux jeux vidéo. Mais la maison communautaire est un tout autre modèle, c’est très lent, vous vous asseyez et attendez que le groupe soit prêt. Si quelqu’un parle longtemps, c’est votre devoir de vous asseoir et d’écouter et les jeunes n’ont pas toujours compris cela. Ils voulaient faire du camping, nager et se réunir auprès d’un feu. Cela m’a pris beaucoup de temps de les convaincre de venir dans la maison commmunautaire, de participer, de voir ce qui s’y passait et beaucoup ont finalement apprécié. » (Entretien avec Nigel Lawrence, le 12/04/2002).