Chapitre V. Une souveraineté tribale au cœur du fédéralisme américain

L’ « invasion européenne » de l’Amérique du Nord et l’émergence d’une société euro-américaine ont profondément affecté les unités politiques autonomes autochtones et leur système de l’identité collective. La société dominante a imposé aux Indiens une consolidation politique en établissant un modèle tribal uniforme, proche du modèle européen. Cette structure politique tribale a perturbé et destructuré ces peuples et nations autochtones (Cornell, 1988).

Néanmoins, depuis 1975, le gouvernement fédéral donne l’occasion aux tribus, en leur reconnaissant l’autonomie gouvernementale, de gérer et de développer, selon leur propre besoin, les différents programmes sociopolitiques, économiques et culturels tribaux. Cette légitimité politique, bien que limitée à une souveraineté interne, leur permet de recomposer une identité collective, de se construire une auto-idenfication de peuple ou de nation et de revendiquer un droit à l’autodétermination.

Je vais donc m’attacher dans ce dernier chapitre à comprendre comment les Suquamish tentent-ils de développer leur souveraineté au sein du fédéralisme américain ? Comment utilisent-ils pour y parvenir ces trois principes que sont : l’autonomie gouvernementale (self-governance), l’auto-identification (self-identification) et l’autodétermination (self-determination) ?

Je vais analyser, à travers l’exemple d’un projet de construction d’un canoë de haute mer, comment dans un premier temps, la tribu suquamish gère son autonomie gouvernementale et s’approprie le modèle politique de l’organisation tribale. Puis, j’aborderai le critère de l’auto-identification et notamment quels sont les effets des applications socioculturelles de ce projet sur la reconstruction de l’identité collective. Je traiterai de la rationalité technique et de la logique symbolique, à partir d’une description ethnographique des différentes étapes de la technique de sculpture en m’appuyant sur la description ethnographique de la construction du Waga chez les Trobriandais, proposé par Bronislaw Malinowski (1963). Je m’intéresserai, ainsi à la fabrication, à la technologie, aux usages, aux pratiques, à l’efficacité magique, aux croyances, aux cérémonies et à l’organisation sociale du travail de sculpture. Enfin, Malinowski considérait la cérémonie de mise à l’eau comme allant « bien au-delà d’une simple formalité prescrite par la coutume  ; elle répondait aux besoins psychologiques de la communauté , elle suscitait beaucoup de passion et attirait la foule […] » (1963 : 206). Je montrerai à partir d’une description de cette action rituelle comment les Suquamish expriment une identité collective et manifestent cette volonté d’être reconnu en tant que peuple autochtone.