La fabrication d’un canoë traditionnel relève à la fois d’une rationalité technique voire techno-écologique et d’une logique symbolique. D’une manière générale, les deux domaines cognitifs sont dépendants l’un de l’autre et nécessitent des compromis (Juillerat, 1999 : 195-224) 307 .
La technique est définie comme une mise en oeuvre d’un savoir en vue de produire des moyens d’actions efficaces. Elle repose sur quatre éléments qui lui sont indissociables : la matière, les outils, les gestes et les savoir-faire. L’homme l’utilise pour donner une forme et un sens à la matière. Car la nature, comme nous l’explique l’idéologie moderne, est extérieure à l’individu et la matière est naturelle, inerte et inanimée. La technique permet de domestiquer et de socialiser la nature. L’objet « naturel » socialisé devient un objet « culturel ».
Mais dans les sociétés amérindiennes, la nature, la matière ont des spécificités symboliques et culturelles, bien avant l’intervention de la main de l’homme. Comme le rappela Sealth, lors de son discours de 1854,
‘« Every part of this country is sacred to my people. Every hillside, every valley, every plain and grove has been hallowed by some fond memory or some sad experience of my tribe.[…] The white man will be never alone. […] At night when the streets of your cities and villages shall be silent and you think then deserted, they will throng with the returning hosts that once filled and still love this beautiful land » 308 . ’Le profane et le sacré ne font qu’un à l’image de la nature et de la culture. La nature possède des attributs de l’humanité. La technique n’est plus là pour donner du sens à la matière, mais pour lui donner une forme et un contenant symbolique fonctionnel afin que ce sacré préexistant ait un sens pour le profane. Cet état nécessite un compromis entre une rationalité technique et une logique symbolique. Les gestes, les outils, le savoir-faire et les pratiques sont soumis à des normes culturelles et à des règles sociales parfaitement définies.
La technique n’a donc pas selon François Sigaut « d’existence autre que sociale. Il faut tenir compte des structures qui permettent de la produire et de la reproduire si nous voulons comprendre comment elle se distribue dans le temps et dans l’espace » (1999 : 513-545) 309 .
Jamard, J.L. & Montigny, Anne & Picon, François-René, 1999, Dans le sillage des techniques. Hommage à Robert Cresswell, Paris, L’Harmattan, p.p.195-224.
« Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque coteau, chaque vallée, chaque plaine et plantation ont été marqués par le souvenir et l’expérience de mon peuple. […] L’homme Blanc ne sera jamais seul. […] La nuit lorsque les rues de vos villes et villages paraissent silencieuses, vous pensez qu’elles sont désertes, elles seront en fait remplies par les esprits qui reviennent sur cette magnifique terre qu’ils adorent ». Voir annexe II : discours, publié dans le Seattle Sunday Star, le 29 octobre 1887 sous le titre : « Chief Seattle’s Speech, 1854 ».
Jamard, J.L. & Montigny, Anne & Picon, François-René, op.cit., p.p. 513-545.