La technique

Le processus de fabrication passe par différentes phases qui nécessitent de la part des sculpteurs et de leurs apprentis, la maîtrise d’un ensemble de techniques. Tout d’abord, il faut rechercher le tronc idéal. C’est-à-dire un arbre d’environ dix à quinze mètres de long, de un à un mètre cinquante de diamètre, ayant peu de branches et n’étant pas pourri. Ensuite l’abattre, de préférence avant les chaleurs d’été pour éviter que le bois se gondole et se fissure.

Dans les temps anciens, les communautés utilisaient différentes techniques d’abattage. Tout d’abord, l’arbre devait se trouver de préférence près d’un cours d’eau pour éviter que le tronc se fende au contact du sol et faciliter son transport. Certaines tribus comme les Kwakiutl procédaient à des prières pour protéger le tronc lors de la coupe (Boas, 1909). Puis, les sculpteurs et leurs apprentis utilisaient soit la technique du feu, ils brûlaient la base du tronc (cf. illustration V(1)), ou bien encore la technique du ciseau, ils coupaient la moitié de la base de l’arbre avec un ciseau en pierre et introduisaient une cale en bois d’élan ou d’if (cf. illustration V(2)). Parfois ils trouvaient, échoués le long des rivages, des arbres de cèdre rouge 310 avec peu de branches, arrachés durant une tempête et emportés par le courant. Enfin, ils taillaient grossièrement le rondin pour permettre son transport (cf. illustration V(3)).

Figure V. Différentes techniques d’abattage.
Figure V. Différentes techniques d’abattage.

Illustration : Steward, Hilary, 1984, Cedar.

Une fois cette phase terminée, les sculpteurs pouvaient s’adonner à la confection de leur canoë 311 en commençant par creuser des petits trous aux deux extrémités du rondin avec un ciseau et un maillet pour ensuite fendre les morceaux de bois se trouvant entre ces deux extrémités. A l’aide d’une herminette 312 , ils taillaient l’extérieur du rondin et commençaient à donner forme à la poupe et à la proue. Ensuite, ils tournaient le canoë pour finir de raboter la coque. Puis, ils procédaient à l’aide de maillets et de ciseaux 313 à la phase « d’évidage » qui consistait à retirer l’excédent de copeaux de l’intérieur de la coque. Il fallait pour cela, percer des petits trous à l’extérieur de la coque et les boucher avec des chevilles en cèdre jaune. Ensuite, les sculpteurs creusaient l’intérieur de la coque jusqu’à ce qu’ils aperçoivent ces trous. Ils creusaient chaque trou jusqu'à à atteindre la cheville et enlevaient les excédents de bois entre chaque cheville qui indiquait la courbe à suivre.

Enfin, la phase la plus délicate, l’« étuvage » requérait beaucoup d’habilité, de patience et de détermination car le cèdre est imprévisible au contact de l’eau en ébullition. Ce moment était souvent très angoissant, intense et psychologiquement éprouvant pour les sculpteurs dont la réputation reposait en grande partie sur ce processus qu’ils ne contrôlaient pas complètement. Ils aspergeaient et remplissaient à moitié d’eau, l’embarcation, puis introduisaient des pierres qu’ils avaient au préalablement mis dans des feux, généralement disposés de chaque côté du canoë afin de maintenir la température de l’eau. Lorsque l’eau commençait à bouillir, elle dégageait de la vapeur qui rendait le cèdre plus malléable, souple. Les côtés de la coque s’étiraient et le fond s’aplatissait. Cet écartement était maintenu grâce à la pose horizontale de plusieurs bâtons entre les deux côtés de la coque. Les sculpteurs devaient anticiper le changement, être à l’écoute des moindres craquements, repérer les fissures et arrêter au bon moment le processus. Cette phase était est très importante car elle déterminait la ligne de l’embarcation et donc sa flottabilité. La moindre inattention et erreur pouvaient s’avérer fatales lors de la mise à l’eau. Le canoë pouvait très bien ne pas flotter et couler. C’était alors la réputation et le prestige des sculpteurs mais également de leur famille, voir de leur village, qui étaient remis en cause.

Après cette « épreuve », il ne restait plus qu’à lisser, enduire d’huile de dogfish et peindre la coque pour la protéger et l’embellir. Certaines tribus, comme les Kwakiutl, ajoutaient d’imposante poupe et proue très figuratives qui donnaient une ligne élégante et majestueuse et assuraient la sécurité des marins en haute mer. Elles étaient adaptées à différents types de navigation (mer, rivière et océan) et étaient suivant les régions plus ou moins imposantes. Il était donc possible de déterminer à quel groupe ethnique appartenait telle ou telle embarcation, simplement en regardant la proue et la poupe.

Notes
310.

Le cèdre rouge et le cèdre jaune sont deux espèces de bois légers et résistants. Ils conviennent parfaitement à la construction du canoë.

311.

Voir en annexe VIII les différentes phases de la fabrication d’une embarcation en cèdre.

312.

L’herminette appelée elbow adze est utilisée par les tribus du Nord, la D adze est utilisée par les Nootkan et les Salish et la straight adze est très répandue chez les tribus du Sud. Voir annexe IX.

313.

Les ciseaux, les maillets, les cales, les marteaux et les couteaux ont leur manche soit en bois de cèdre, de cerisier ou d’élan. Les lames sont soit en métal, en fer ou en pierre. Voir annexe IX.