L’étuvage fut un succès. Ray obtint le diamètre souhaité. Il ne restait plus qu’à enlever les parties fissurées et à les remplacer par des lattes en cèdre qui servaient aussi à redonner de la profondeur à la cavité en rehaussant les bords de la coque (cf. photo LII). Puis poser les sièges, la proue et la poupe de style nootkan (cf. photo LIII), et polir et tracer des lignes sur la carène avec des ciseaux afin d’améliorer la vitesse de déplacement de l’embarcation. Ray fit le choix de réaliser les deux canoës dans le style nootkan plutôt que salish. Il maîtrisait mieux ce style et ces embarcations étaient connues pour être mieux adaptées aux voyages en haute mer.
Photo : R. Merlet (2002).
Photo : R. Merlet (2002).
Enfin, la dernière touche avant de passer à la peinture, consistait à fixer au fond de la coque des lattes en cèdre. James et Marion se chargèrent de cette tâche mais furent interrompus par l’arrivée d’une dizaine de membres de la tribu snoqualmie. Chuck, le responsable du Wellness Program et Jerome, le responsable des programmes éducatifs, les avaient invités à leur rendre visite afin de parler du projet, de rencontrer les apprentis et de discuter avec eux de leur travail et de leur expérience.
La cérémonie de bénédiction approchait. Le groupe avait fini de peindre l’extérieur des coques en noir et l’intérieur en rouge. Ces deux couleurs sont très présentes dans l’art salish. Les ancêtres les fabriquaient notamment à partir de la poudre de bois qui se trouvait à l’intérieur du tronc. Elles sont plus utilisées aujourd’hui dans un but décoratif et servent dans le cas du canoë, à protéger le bois. Mais il semble qu’elles aient eu par le passé, une signification plus symbolique et cérémonielle.
Il ne leur restait plus qu’à trouver un nom pour le nouveau canoë. Les apprentis avaient du mal à se décider jusqu'à ce qu’ils aperçoivent un banc de baleines, chose assez rare à cet endroit et à cette période de l’année. Ils interprétèrent cela comme un signe du destin, une sorte d’apparition, un message qui leur était envoyé. Ils choisirent d’appeler le nouveau canoë, la baleine tueuse, la « Killer Whale » ou « Qal qa la xic » en lushootseed.
On retrouve dans ce nom très significatif, trois points fondamentaux : le langage, la manière de pensée et l’environnement qui montrent une fois de plus comment les hommes expérimentent leur monde et s’approprient des images de leur environnement pour exprimer et interpréter leur sentiment, leur manière de vivre, de pensée et communiquer leur expérience 326 .
Tous éprouvaient une immense fierté d’avoir réussi à sculpter deux œuvres d’art et à redonner vie à un arbre. J’emploie ici le terme d’œuvre d’art pour qualifier ces deux canoës en me référant à la définition qu’en a donné Boas : « une création d’artiste qui suscite une émotion dont la source émane à la fois de ses qualités formelles et du sens qu’elle communique » (2003 : 15). Ils étaient pressés de les montrer à leur famille, à leur communauté et aux autres tribus. Elles représentaient leur travail, leur savoir-faire mais aussi leur âme. Ils étaient tous impatients et angoissés, à l’idée de les mettre à l’eau, en présence de leur communauté et des invités intertribaux. Car, de la flottaison de ces deux canoës de six mètres de long, dépendaient leur réputation et celle de la tribu.
Voir Thornton, Thomas F., 1997, « Anthropological Studies of Native American Place Naming », The American Indian Quarterly, 21 (2) : 209-229.