2. La bénédiction

Le repas terminé, il était temps de bénir les canoës avant de les mettre à l’eau et tester leur flottabilité. Comme à mon habitude depuis trois mois, je pris ma caméra pour filmer ce grand moment, lorsque le maître de cérémonie annonça à la foule que durant toute la bénédiction, il était interdit de fumer, de manger, de boire, de prendre des photos et de filmer. Les Squamish de Vancouver souhaitaient exécuter une danse secrète en l’honneur des sculpteurs et des canoës. Ils sortirent pour l’occasion des masques qu’ils n’exhibaient que très rarement. Il s’agissait des masques salish swaihwé (xwéxwé) (Lévi-Strauss, 1979 : 144). Ils sont reconnaissables à leur couleur marron et noir, à leurs cornes en forme de tête d’oiseau et à leurs yeux protubérants (cf. photo LV).

Photo LV. Masque swaihwé.
Photo LV. Masque swaihwé.

Photo : Porter III, Frank W., 1947, The Coast Salish Peoples.

Le masque swaihwé fait partie de cette catégorie de masque dite sacrée et magique. Il est d’après Claude Lévi-Strauss :

‘« à la fois, l’homme et autre chose que l’homme : c’est un médiateur par excellence entre la société et la nature, et l’ordre surnaturel habituellement confondus. […] Le masque détourne la communication de la fonction humaine, sociale et profane, pour l’établir avec un monde sacré » (1989 : 181-182). ’

D’après les Salish, ces masques proviennent du ciel et du fond de l’eau. Ils représentent les ancêtres fondateurs des plus hauts lignages, ils incarnent l’ordre social (Lévi-Strauss, 1989 : 185-195).

Avant d’effectuer cette danse, le maître de cérémonie, au nom de la tribu suquamish, honora et remercia les sculpteurs, en les recouvrant d’une couverture et en leur distribuant quelques billets de un dollar (cf. photo LVI). Le don de couvertures et d’argent (la somme est dérisoire) symbolise la reconnaissance, le respect, l’admiration et l’estime. Ce fut un moment particulier pour ces jeunes apprentis habitués au dénigrement. Ils prirent conscience de leur nouveau statut et de leur position dans la communauté. Ils étaient désormais des témoins, des porte-parole, des ambassadeurs de la politique socioculturelle de la nation suquamish.

Photo LVI. Bénédiction des canoës et hommage aux sculpteurs. Centre tribal suquamish. 18 janvier 2003.
Photo LVI. Bénédiction des canoës et hommage aux sculpteurs. Centre tribal suquamish. 18 janvier 2003.

Photo : R. Merlet (2003)

Pendant ce temps, quatre danseurs squamish, accompagnés de quatre chanteuses, vêtues de couvertures, se préparaient à l’abri des regards. Ils firent leur apparition avec des peintures au bras, des coquillages aux chevilles et des plumes sur leur costume et le haut de leur masque. Ils étaient accompagnés par des « aides » qui portaient des peintures sur le visage et les bras. Ces « aides » étaient chargés de récupérer les présents (couvertures, billets) offerts aux danseurs et de cacher rapidement ces derniers à la fin de la danse.