2.1 Une société encore « excluante »

Selon les données de la Banque Mondiale, en 1993, 40,9% de la population brésilienne était pauvre, avec un revenu mensuel inférieur à US$60,00 et 18,7% étaient extrêmement pauvres avec un revenu mensuel inférieur à US$ 30,00. 45

Le taux d’analphabétisme du pays en 1999 était de 13% pour une population de près de 160 millions d’habitants. En prenant en compte l’inégal développement du pays selon les régions, on dénombre 7,8% d’analphabètes dans la région sud, 7,8% dans la région sud-est, 10,8% dans la région centre-ouest, 11,6% dans la région nord et 26,6 % dans le nord-est. 46

Concernant le niveau de scolarisation, jusqu’en 1990, seulement 19% de la population du pays avait achevé le premier cycle, 13% avait atteint l’enseignement de second degré et 8% l’enseignement supérieur. Les indices de redoublement et d’abandon scolaire étaient respectivement en 1999 de 21,6% et de 4,8% . 47

La faible préoccupation du Brésil pour l’éducation a généré l’exclusion de milliers d’enfants du monde scolaire. Les données internationales publiées en 1999 offrent un panorama non seulement de l’exclusion scolaire mais également de la place occupée par l’éducation dans le contexte mondial. L’enquête révèle que :

  • Près de 125 millions d’enfants ne fréquentent aucune école, et 2/3 d’entre eux sont des filles.
  • 150 millions ont commencé un parcours de scolarisation mais l’ont abandonné avant de savoir lire et écrire.
  • Un adulte sur quatre dans les pays en voie de développement - soit 872 millions d’individus- ne sait ni lire ni écrire ; deux tiers sont des femmes.
  • La pauvreté n’est pas l’unique explication. Certains pays pauvres, de fait, investissent dans l’éducation comme, par exemple, Cuba, le Sri Lanka, le Vietnam, la Chine, l’Indonésie, le Zimbabwe.

On estime que 8 milliards de dollars par an seraient nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Education Pour Tous. Selon Oxfam International 48 , ces 8 milliards de dollars équivalent :

  • aux dépenses militaires mondiales de quatre jours
  • à la moitié de ce qui est dépensé chaque année aux Etats-Unis en jouets
  • à moins que ce que les Européens dépensent annuellement en jeux d’ordinateur [jeux vidéos ou jeux numériques] et en eau minérale

Notons que :

  • L’Afrique dépense 13 milliards pour le remboursement de la dette externe
  • Le Pakistan dépense six fois plus pour la défense que pour l’éducation

Actuellement, la coordination du processus de développement de l’Education Spéciale brésilienne est prise en charge par le Secrétariat d’Education Spéciale (SEESP), organe relevant du Ministère de l’Education et des Sports (MEC). Le SEESP a pour principal objectif de coordonner l’élaboration de la Politique d’Education Spéciale du pays, de stimuler, de superviser et d’impulser son implantation, en apportant une assistance technique et financière.

Concernant la définition et le diagnostic de la déficience mentale, le MEC a adopté le système de l’American Association of Mental Deficiency (AAMD). Il y a eu, au cours de l’histoire au Brésil, une grande variation des termes employés pour la classification et le diagnostic des persones ayant une déficience mentale, tant par la société que par les organes gouvernementaux. Tandis que l’AAMD utilise le terme générique de « retardement mental » et les sous-catégories « faible, modéré, sévère et profond », le Brésil adopte les termes génériques « retard mental » ou « déficience mentale » et les sous-catégories « éducable, entraînable et dépendant » depuis 1975. 49

Concernant les critères de classification, les tests de QI ont fréquemment été utilisés avec nombre de modifications liéesà la valeur limite entre « normalité » et « anormalité ». L’évaluation du comportement d’adaptation de l’enfant au travers des tests psychomoteurs et des tests de personnalité ont également été utilisés comme des instruments de diagnostic. Toutefois, tous ces outils, dans la majorité des cas développés dans d’autres pays et pas toujours adaptés au contexte brésilien, ne font pas l’objet d’un consensus, créant une grande variation des analyses et laissant place à tout type de comportements ségrégatifs sans aucun fondement scientifique.

D’autre part, le manque de qualité du système éducatif, que ce soit en termes de formation du corps enseignant ou de l’application des lois, favorise la non-application des critères minima pour le diagnostic. Dans ce contexte, se développe un système d’étiquetages systématiques qui alimentent un système excluant.

Comme le montrent certaines enquêtes réalisées dans l’Etat de São Paulo, des problèmes de redoublement et de comportement suffisent souvent pour que l’enfant soit dirigé vers l’enseignement spécial. La condition socio-économique ou simplement le fait d’être parent d’un enfant fréquentant l’enseignement spécial sont également des critères de sélection systématiquement utilisés. Dans la pratique, le manque de préoccupation et de rigueur avec lequel le problème de l’éducation de l’enfant à BS est traité au sein de la société brésilienne est flagrant.

Les conclusions de Julio Romero Fereira, concernant l’enfant atteint de déficience mentalenous fournissent un aperçu des principaux problèmes auxquels doit faire face l’éducation de l’élève à BS au Brésil : 50

  • Une surreprésentation des couches les plus défavorisées socialement au sein des classes spéciales ;
  • L’utilisation d’instruments non adaptés à la réalité socio-culturelle de l’enfant, l’usage exagéré du QI et l’acheminement arbitraire vers les classes spéciales au vu du manque d’instruments pour le diagnostic ;
  • L’infime nombre d’enfants qui, accueillis dans des classes spéciales, réintègrent l’enseignement régulier ;
  • Une « inclusion physique » de l’élève en situation de handicap dans l’enseignement régulier sans les supports nécessaires à une véritable inclusion.
  • La tendance à attribuer les échecs éducatifs à la déficience en soi et non aux limites socio-éducatives ; le fantôme de l’inéducabilité de la personne ayant une déficience encore présent dans l’imaginaire brésilien.
  • L’absence de données sur le développement, l’évolution scolaire, la continuité éducative et l’intégration sociale des personnes en situation de handicap. En réalité, il s’agit d’une population oubliée dans les rapports et les évaluations.

C’est à partir des années 90 que le Brésil augmente ses actions pour la construction d’une éducation inclusive. Son adhésion à la Déclaration Mondiale de l’Education Pour Tous en 1990 à Jomtien, suivi en 1994, de la Conférence Mondiale de Salamanque, en Espagne, sur les besoins éducatifs spécifiques : « Accès et qualité »marque un changement.

La même année, la loi nº 8.069 établit le statut de l’enfant et de l’adolescent, afin de leur assurer une protection totale. Elle insiste sur le devoir qu’ont la famille, la communauté, la société et les Pouvoirs publics de garantir, en priorité, la véritable application, entre autres, des droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’éducation, à la professionnalisation, à la culture, à la dignité, au respect, à la liberté, à la vie en famille et à la vie au sein de la communauté. Elle rajoute qu’aucun enfant ou adolescent ne sera l’objet d’une quelconque forme de négligence, discrimination, exploitation, violence, cruauté ou oppression.

En 1994, l’arrêté n°1793 inclut la discipline « Aspects éthico-politico-éducatifs de la normalisation et de l’intégration de la personne en situation de handicap », dans les cours de pédagogie, de psychologie, et dans d’autres cours relevant du domaine de la santé et du service social.

La loi n. 9.394 des Directives et des Bases, approuvée en décembre 1996, propose certains changements significatifs dans le domaine de l’éducation au Brésil. Les niveaux fédéral, régional (celui des Etats) et municipal, qui n’ont jamais bien fonctionné du fait d’un manque d’articulation, sont appelés à coopérer à l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Cette Loi prévoit un investissement minimum de l’Etat centralde 18% de son budget global en éducation et 25% d’investissement des Etats régionauxet des municipalités.

Dans le chapitre V, elle définit l’éducation spéciale comme une modalité de l’éducation scolaire, offerte de préférence au sein du réseau régulier d’enseignement pour les enfants en situation de handicap . Conformément à cette loi, les systèmes d’enseignement doivent garantir l’existence de programmes et d’objectifs spécifiques, des temps d’achèvement des cours adaptés aux spécificités des élèves, d’un corps enseignant ayant reçu une formation adéquate de niveau second degré ou supérieur en éducation spéciale. Ils doivent également garantir l’existence d’une formation pour les professeurs de l’enseignement régulier concernant l’intégration des élèves en situation de handicap  dans des classes communes, d’une éducation spéciale pour le travail et l’accès égalitaire aux bénéfices des programmes sociaux de l’enseignement régulier.

En 1999, le Ministère de l’Education et de la Culture crée la Commission Brésilienne du Braille, constituée de huit membres et ayant pour principal objectif d’élaborer et de proposer la politique nationale à adopter pour l’usage, l’enseignement et la diffusion du Système Braille dans toutes ses modalités d’application, de proposer des normes et des réglementations relatives à l’usage, l’enseignement et la production du Système Braille au Brésil ; d’accompagner et d’évaluer les normes et les politiques et d’élaborer le matériel et les publications susceptibles de faciliter le processus d’enseignement / apprentissage et l’usage du système Braille dans tout le pays. Le règlement interne de cette commission est approuvé par l’arrêté 554 du 26 avril 2000, date à laquelle elle entre en vigueur.

En 1999, l’arrêté n°1679 statue sur les critères d’accessibilité des personnes à BS à des institutions de l’enseignement supérieur. Il établit comme critères : l’élimination des barrières architectoniques ; des places réservées dans les parkings, la constructions de rampe d’accès ou d’ascenseurs ; des distributeurs de boissonset des téléphones publics à hauteur accessible pour les utilisateurs de fauteuils roulants ; des machines à écrire de dactylographie braille, des imprimantes et une système de synthèse de voix ; des dictaphones, des photocopieuses et des programmes de grossissement de textes ; un plan d’acquisition graduelle de l’ensemble des contenus de base en braille ; des interprètes du langage des signes et une flexibilité dans la correction des examens. Ces critères commencent à faire partie, à partir de novembre 2003, des critères d’évaluation des institutions d’enseignement par le biais de l’arrêté 3.284/03.

Notes
45.

GADOTTI, (M.) et al., Perspectivas atuais da educação. Porto Alegre : Artmed, 2000. p. 147

46.

IBGE/PNAD, Recenceamento demográfico. 1999. La région du nord ne compte pas la population rurale. Disponible in : < http://www.inep.gov.br/basica/censo/ default.asp >. Accès le : 05 avr.2004

47.

MEC/INEP/IBGE, PCN – Parâmetro Curricular Nacional e Educação no Brasil, 2001. Disponible in : < http://www.inep.gov.br/basica/censo/ default.asp >. Accès le : 05 avr.2004

48.

OXFAM INTERNATIONAL., « Education Now : Break the Cycle of Poverty ». Oxford : Oxfam Publications, 1999, cité par MITTLER, (P.), Educação inclusiva. Contextos sociais. Porto Alegre : Artmed, 2003. pp. 41-42

49.

FERREIRA, (J.R.), A exclusão da diferença. Piracicaba : Unimep, 1995. p. 45

50.

FERREIRA, (J.R.), Op.cit., p. 63