3.1 Regard conceptuel : handicap, déficience, CIH, CIF, besoins éducatifs spécifiques 68

Actuellement, le terme handicap est employé dans de nombreux pays, en particulier dans les pays européens pour désigner de forme générale la personne porteuse de déficience. Cependant, ce concept a un sens bien plus profond : il se veut le reflet d’une volonté sociale de rompre avec le regard critique porté sur les personnes ayant une déficience. Son évolution représente une modification paradigmatique de la manière de pensée la situation de la personne à besoins spécifiques.

Initialement, le mot handicap, originaire de l’anglais et présent dans les dictionnaires anglais depuis le XVIIème siècle, désignait un jeu populaire de hasard dans lequel les participants plongeaient une de leur mains dans un chapeau (hand in cap).

Au XVIIIème siècle, le mot est employé dans les courses de chevaux. L’arbitre impose un poids ou une distance plus grande aux chevaux de meilleur niveau afin d’équilibrer les chances pendant la compétition. Le terme est ensuite employé dans d’autres sports tels que le polo ou le golf.

Le monde littéraire commence, au début du XXème siècle, à faire appel au mothandicap appliqué à l’humain dans le sens de « désavantage» au début du XXème siècle, mais ce n’est qu’à partir des années 1960 que le terme est largement employé dans le champ social français. C’est à ce moment-là qu’il prend une connotation péjorative.

A l’origine, le terme porte en lui la notion de rétablissement des conditions de compétition pour une égalité des chances. Dans ce sens, la notion d’égalité devrait prévaloir, mais la notion de désavantage finit par triompher et le mot signifie un désavantage dans une compétition.

L’usage du terme handicap est consacré à partir de 1975, dans la loi en faveur des personnes handicapées (déficientes) en France. 1981 est décrétée « Année Internationale des personnes handicapées » et la période s’étendant de 1982 à 1993 est considérée comme la décennie des personnes handicapées. Les organismes internationaux tels que l’Organisation Mondiale de la Santé adoptent la terminologie. Cependant, l’usage de ce mot reste confus et même anarchique.

Depuis 1965, un schéma proposé par Saad Zagloul Nagy, unissait les altérations de l’état biologique et ses conséquences sociales. Ce schéma est repris par l’Institute of Medicine : « Disability in America » qui propose d’utiliser la séquence: Impairements Functional limitation Disability ( Etat psychologique; Lésion ; Limitation fonctionnelle; Handicap).

Afin de clarifier cette notion, en établissant quelles situations et étapes constituent une situation de handicap, l’Organisation Mondiale de la Santé, en 1980, en se basant sur les travaux de Philipp Wood, propose, à titre expérimental, un manuel de Classification Internationale du Handicap : Déficiences, Incapacités et désavantages, qui est un manuel de classification des conséquences des maladies (CIH). Cette classification a pour objectif de proposer une division conceptuelle de la notion de handicap selon trois niveaux : la déficience au niveau d’une lésion, l’incapacité au niveau fonctionnel et le désavantage au niveau situationnel. Cette segmentation vise ainsi à clarifier les actions d’interventions, la programmation des mesures médicales, paramédicales et rééducatives concernant l’incapacité, les politiques et réglementations concernant les inconvénients sociaux. 69

La CIH adoptée par la France en 1988, se fonde sur trois axes :

  • La déficience correspond à toute perte de substance ou altération d’une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique ;
  • L’incapacité est liée à toute réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité à exécuter une activité de la manière ou dans les limites considérées normales pour un être humain ;
  • Le désavantage résulte d’une déficience ou d`une incapacité qui limite ou entrave le rôle que devrait tenir la personne selon son âge, son sexe, les facteurs sociaux ou culturels. 70  

Ces trois niveaux furent incorporés au langage des secteurs médical et social et montrèrent la difficulté de décrire le handicap d’une personne. Selon l’observateur, le premier, second ou troisième niveau sera privilégié.

Dans la CIH, le handicap est à la résultante d’un processus issu d’une maladie c’est à dire l’inconvénient. Cependant, dans l’usage courant, il se divise en trois axes : la déficience, l’incapacité, l’inconvénient comme le montre la figure :

Figure 3. Handicap et CIH
Figure 3. Handicap et CIH

Afin de mieux comprendre, imaginons qu’une chose « anormale » se produise au niveau individuel, qui peut être un phénomène héréditaire ou acquis. Une succession de circonstances causales provoque des modifications structurelles ou fonctionnelles du corps. Ces transformations pathologiques, qui peuvent être évidentes ou non, sont extériorisées à partir du moment où l’on prend conscience de leur existence et des déficiences advenues. La capacité d’action ou le comportement de la personne peuvent être altérés par la prise de conscience de son état. Ses activités habituelles courent le risque d’être réduites ou modifiées. L’expérience de la maladie est ainsi objectivée, dans les conséquences des déficiences en termes de performance fonctionnelle. La perspective de son incapacité, l’altération du comportement ou du fonctionnement qui s’en suivent placent le sujet en position de désavantage par rapport aux autres, transformant dès lors son expérience en problème social. Ce niveau de conséquences est le plus problématique du fait de son lien direct avec les valeurs attribuées aux activités et au statut de l’individu.

Exemple 1. Un jeune, qui, à cause d’un problème circulatoire, doit être amputé de la partie inférieure de la jambe, sous le genou :

  • Déficience : perte de la jambe
  • Incapacité : réduction de l’aptitude à marcher
  • Inconvénients : réduction de l’aptitude au travail, de certaines activités sociales (sport, danse) , du divertissement et des relations sociales

Exemple 2. Une petite fille de trois ans est victime de brûlures qui laissent de profondes cicatrices sur le visage et le bras gauche :

  • Déficiences : cicatrices de brûlure, apparence « anormale »
  • Incapacités : réduction de la mobilité du bras, réduction de l’intérêt pour son environnement et pour les contacts sociaux ;
  • Inconvénients : réduction de l’aptitude à participer aux travaux domestiques, relations sociales perturbées (rejet de la famille et des membres de la collectivité) et réduction considérable des chances de mariage

Comme le montre Charles Gardou 71 , bien que la présentation de ces trois niveaux suggèrent une progression linéaire, la réalité est beaucoup plus complexe. Le désavantage est souvent le résultat d’une déficience sans incapacité intermédiaire : une déficience esthétique peut être un obstacle à la réalisation d`opérations normales liées aux rôles sociaux et constituer dès lors un véritable désavantage. Un jeune garçon qui n’ a pas d’ongles à la main est porteur d’une déficience (structurelle) sans que cela ne gêne le fonctionnement de sa main ; il n’y a donc pas d’incapacité et sa déficience est peu voyante, il est donc improbable qu’elle soit la source d’un désavantage. En résumé, quelqu’un peut être déficient sans qu’il n’y ait incapacité ou présenter une incapacité sans désavantage. On observe une difficile concordance entre les deux derniers niveaux. Certaines incapacités peuvent retarder ou dissimuler le développement ou la reconnaissance de certaines capacités. Ainsi, une déficience de langage peut entraver l’expression de l’intelligence et certains désavantages peuvent occasionner d’autres incapacités et dans certains cas, la déficience de certaines facultés. Chacun de ces concepts est alors suffisamment indépendant de son origine et peut parfois provoquer des phénomènes secondaires.

Gardou souligne également le caractère normatif présent dans la CIH : les trois concepts qui se réfèrent aux conséquences des maladies présuposent une dérive par rapport aux normes. Le fait même de cherche l’agent causal de la maladie est lié à une vision normative de l’organisme normal ou non. Les normes relatives à certaines incapacités et désavantages sont très souvent déterminées par les réponses sociales et donc difficiles à classer. Quoiqu’il en soit, les normes sociales sont ici particulièrement importantes car elles prouvent que les représentations du sujet, ou l’identité que les autres lui attribuent, peuvent générer un désavantage.

De nombreuses critiques ont été faites à la CIH, relatives au danger d’étiquetage et de marginalisation que peut entraîner le procédé de mesure et de classification. Tout en considérant ces critiques légitimes, Gardou souligne qu’il ne faut pas nier toutes les tentatives de cohérence : tant que les catégories ne sont pas dûment identifiées, on ne peut mesurer ni l’importances des problèmes, ni les moyens à employer pour les résoudre.

En Angleterre, le rapport Warnock de 1978 et la Loi sur l’Education de 1981 instituent le terme « Besoins Educatifs Particuliers » (ou Spécifiques) afin de rompre avec la approche médicale. Selon la Loi de 1981, (Education Act), on considère que l’enfant « présente des besoins éducatifs particuliers » lorsqu’il possède des « difficultés d’apprentissage nécessitant des mesures d’éducation spéciale ». Un enfant est dans ce cas lorsque : 72

A. Il présente des difficultés d’apprentissage qui, de manière significative, sont considérées plus grandes que celles de la majorité des élève de son âge

B. Il possède une incapacité qui empêche ou fait obstacle à l’utilisation des moyens éducatifs généralement fournis dans les écoles aux enfants de son âge

C. Ayant moins de cinq ans, il court le risque d’entrer dans les catégories A et B si les mesures d’éducation spéciale ne sont pas utilisées en sa faveur.

Comme le montrent les analyses de Felicity Armstrong, dans la pratique, les anglais continuent à utiliser les catégories originaires du monde médical et tentent de substituer les catégories à connotation négative par des sous catégories telles que « enfants aux difficultés d’apprentissage » ( divisées entre modérées ou sévères), « enfants au déficit d’attention », « enfants aux difficultés de comportements », etc. 73

La simple modification terminologique ne réalise pas seule les ruptures nécessaires à la pratique éducative. Dans le contexte éducatif anglais, où la logique de marché prédomine, la compétitivité a amené de nombreuses écoles à refuser les élèves aux besoins éducatifs spécifiques afin de n’avoir que de bons résultats.

La notion de « besoins éducatifs spécifiques » est fondamentalement liée au contexte dans lequel les politiques éducatives de chaque pays se sont développées. Toutefois, il est impératif de rappeler qu’un concept n’est pas exclusivement le reflet d’une pensée mais une force qui agit sur la formation de la pensée. Comme le rappelle Gardou, « la logique de la terminologie doit être explorée pour renforcer un schéma conceptuel ». 74  

Ainsi, après presque vingt ans au cours desquelles la CIH fut amplement diffusée, l’OMS effectua une révision en 1998, cherchant alors à prendre en compte comment et jusqu’à quel point les relations de la personne avec son environnement déterminent la situation de handicap.

Mise au point après des tests de terrains systématiques et une consultation internationale durant cinq ans, la nouvelle Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF) est entérinée par la 54ème Assemblée Mondiale de la Santé, le 22 mai 2001 par la Résolution WHA 54.21. Incluse dans le groupe des classifications internationales proposées par l’OMS, elle fait appel à un langage commun normalisé afin de permettre, à l'échelle du monde entier, la communication entre les diverses disciplines et spécialités scientifiques. Acceptée comme une des classifications sociales des Nations Unies, elle intègre les « Règles pour l’égalisation des chances des handicapés » adoptées par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 décembre 1993.

Elle traite du fonctionnement et des déficiences associées aux problèmes de santé, sachant que ces derniers (maladies, lésions, traumatismes…) sont essentiellement classés en fonction de la Classification des Maladies, 10ème Révision (CIM-10), fournissant une base étiologique. Ces deux classifications sont ainsi complémentaires, ce qui veut dire que deux personnes souffrant de la même maladie peuvent, en réalité, présenter des niveaux de fonctionnement différents, tout comme deux personnes au niveau de fonctionnement identique ne possèdent pas nécessairement le même problème de santé.

Tout en maintenant la même structure : corps – individu - société, la CIF constitue une profonde évolution par rapport à la CIH car elle diffère de cette dernière dans la manière de concevoir les relations entre ces trois plans ajouté des facteurs contextuels.

Ainsi, la CIF regroupe les domaines de la santé telle que la vision, l’audition, la locomotion, l’apprentissage de la mémoire mais aussi les domaines annexes à la santé tels que la mobilité, l’éducation, le travail, les interactions sociales, etc :

  • Etats de santé et domaines de santé. Un état de santé est le niveau de fonctionnement dans un domaine de santé déterminé par la CIF. Chaque domaine de santé correspond à un secteur de la vie relevant de la responsabilité première du système de santé.
  • Etats connexes à la santé et domaines connexes à la santé. Un état connexe à la santé est le niveau de fonctionnement dans un domaine connexe de la santé déterminé par la CIF. Un domaine connexe est défini comme étant un domaine de fonctionnement qui, bien que fortement lié à un problème de santé, n’est pas de la responsabilité première du système de santé, mais plutôt d’autres systèmes contribuant au bien être général. Le bien-être est compris ici comme la totalité des domaines de la vie humaine, également sous ses aspects physiques, psychiques et sociaux, qui concourent à ce que nous appelons une « vie heureuse ». Les domaines de la santé (vision, parole, mémoire, etc) et d’autres domaines (éducation, emploi, environnement, etc), qui composent l’univers de la vie humaine, participent à ce « bien-être ».

Toutefois, la CIF ne regroupe pas les circonstances de la vie qui ne sont pas directement liées à la santé comme celles qui découlent de facteurs socio-économiques : par exemple, les limitations dans l’exécution de certaines taches au sein de l’environnement qui sont causées par l’appartenance culturelle, à la religion, ou tout autre facteur qui n’est pas associé aux restrictions de la participation liées à la santé, selon la définition donnée la CIF, n’en font pas partie.

La CIF comprend de manière systématique, les différents domaines par lesquels passent toutes les personnes qui présentent un problème de santé. Par exemple, ce qu’une personne fait dans la réalité ou est capable de faire, une fois que l’on a pris en compte sa maladie ou un problème donné.

Figure 4. Structure de la CIF
Figure 4. Structure de la CIF

Un problème de santé désigne une maladie aigue ou chronique, un problème, une lésion ou un traumatisme. Cette expression peut également s’appliquer à d’autres situations, comme une grossesse, le vieillissement, le stress, une anomalie héréditaire ou une prédisposition génétique.

La CIF se divise en deux grandes parties :

Partie 1 : Le fonctionnement et le handicap sont des termes qui selon la CIF peuvent être utilisés de deux manières : soit pour indiquer un problème, par exemple, une déficience, une limitation d’activité ou une restriction de participation et dans ce cas on parle de handicap ; soit pour se référer aux aspects de la santé ou aux états qui s’y rapportent mais qui, n`entraînant pas de problèmes, sont considérés comme neutres. Dans ce cas-là, on parle de fonctionnement.

  • Le Handicap désigne les déficiences, les limitations d’activités et les restrictions de participation. Il est lié aux aspects négatifs de l’interaction entre la personne (ayant un problème de santé) et les différents facteurs du contexte dans lequel il évolue (facteurs personnels ou du milieu)
  • Le fonctionnement désigne les fonctions organiques, les activités de la personne et la participation dans la société. Il se réfère aux aspects positifs de l’interaction entre l’individu (ayant un problème de santé) et les différents facteurs du contexte dans lequel il évolue.
  • Les fonctions organiques sont les fonctions physiologiques des systèmes organiques incluant les fonctions mentales ou psychologiques. L’adjectif organique s’applique à l’organisme humain dans son ensemble. En ce sens, il inclut le cerveau et par conséquent les fonctions mentales ou psychologiques appartenant à l’ensemble des fonctions organiques. Pour ces fonctions, on estime que la norme est la norme statistique valide pour tous les êtres humains.

Fonctions organiques :

Chapitre 1. Fonctions mentales

Chapitre 2. Fonctions sensorielles et douleur

Chapitre 3. Fonctions de la voix et de la parole

Chapitre 4. Fonctions du système cardio-vasculaire

Chapitre 5. Fonctions du système digestif

Chapitre 6. Fonctions génito-urinaires et reproductives

Chapitre 7. Fonctions de l’appareil locomoteur et liées au mouvement

Chapitre 8. Fonctions de la peau et des structures associées

Les facteurs du milieu interagissent avec les fonctions organiques : qualité de l’air/ respiration ; lumière/ vue ; son /ouie ; stimulations perturbatrices/attention ; température ambiante/ régulation de la température corporelle, etc.

  • Les structures anatomiques sont les parties structurelles du corps telles que les organes, les membres et leurs composants. Pour ces structures, on estime que la norme est la statistique valide pour tous les êtres humains.

Structures anatomiques:

Chapitre 1. Structures du système nerveux

Chapitre 2. Oeil, oreille et structures annexes

Chapitre 3. Structures liées à la voix et à la parole

Chapitre 4. Structures du système cardio-vasculaire, immunitaire et respiratoire

Chapitre 5. Structures liées au système digestif, métabolique et endocrinien

Chapitre 6. Structures liées à l’appareil génito-urinaire

Chapitre 7. Structures liées au mouvement

Chapitre 8. Peau et structures annexes

Les fonctions organiques et les structures anatomiques, classées en deux sections distinctes, sont conçues pour être utilisées en parallèle. Par exemple, les fonctions organiques incluent les sens de base, tels que la vue (fonctions de la vue)et ses corrélats structurels (yeux et annexes)

  • La déficience est une carence, une perte ou une anomalie d’une structure anatomique ou d’une fonction organique ( qui peut également être mentale ou psychologique). Dans cette optique, le terme anomalie est exclusivement utilisé pour désigner une distance importante par rapport à certaines normes statistiques établies, soit une distance par rapport à la moyenne de la population (cette distance, faible ou significative, peut varier dans le temps). Les déficiences sont temporaires ou stables.

Les déficiences n’équivalent pas à la pathologie sous-jacente, mais à une manifestation de cette pathologie. Elles ne dépendent ni de l’étiologie, ni de la manière dont elles apparaissent. Par exemple, la perte de la vue ou d’un membre peut résulter d’une anomalie génétique ou d’une lésion. Toute déficience a une cause, mais cette cause n’est pas, en soi, suffisante pour expliquer la déficience qui en résulte.

Elles peuvent parfois être l’expression d’un problème de santé, mais ne signifient pas nécessairement qu’il y ait maladie ou que la personne doive être considérée comme malade. Elles englobent un champ plus ample que celui des maladies. Par exemple, la perte d’une jambe constitue une déficience de la structure anatomique sans pour autant être une maladie.

Une déficience peut également en déclencher d’autres. Par exemple, un manque de force musculaire constitue une entrave au mouvement ; les fonctions cardiaques sont parfois liées à un déficit des fonctions respiratoires ; une déficience de perception peut être associée à un déficit des fonctions mentales.

Les déficiences sont classées par catégories selon les critères d’identification établis, identiques à ceux utilisés pour les fonctions organiques et les structures anatomiques :

a) perte ou manque

b) réduction

c) plus ou excès

d) différence

Par exemple, dans le composant structures anatomiques, nous avons un premier code qualificatif générique utilisé sur une échelle négative pour indiquer la portée ou l’amplitude d’une déficience. Ex. Le code 730.3 indique une déficience grave du membre supérieur. Dans un second code qualificatif , nous avons par exemple 730.32 qui indique l’absence partielle du membre supérieur.

Tableau 5 – CIF. Fonctions organiques et structures anatomiques
Tableau 5 – CIF. Fonctions organiques et structures anatomiques
  • L’activité se réfère à l’exécution d’une tache ou d’une action par une personne. Elle constitue la perspective individuelle du fonctionnement.
  • La participation est l’implication d’une personne dans une situation de la vie réelle. Elle constitue la perspective sociétale du fonctionnement. (La notion d’implication est liée à « prendre part » « être inclus », « être engagé dans un domaine de vie », « être accepté », ou « avoir accès aux ressources nécessaires »)
Tableau 6 – Participation et facteurs du contexte
Tableau 6 – Participation et facteurs du contexte

Les domaines correspondants aux activités et à la participation font l’objet d’une liste unique, réunissant toute la gamme de secteurs de la vie : de l’apprentissage élémentaire ou de l’observation des domaines plus complexes, comme les relations interpersonnelles ou l’exercice d’une profession. Elles sont spécifiées par codes qualificatifs de performance et de capacité.

Tableau 7 – CIF : Domaines, performance et capacité
Tableau 7 – CIF : Domaines, performance et capacité

La performance est un schéma qui décrit, sous la forme d’un code qualificatif, ce qu’une personne fait dans son milieu habituel. Elle est comprise comme une « implication dans une situation de la vie réelle » ou une « expérience vécue » dans son contexte « ordinaire ».

Un problème de performance peut provenir directement du milieu dans lequel la personne vit, même si cette dernière ne présente aucun déficience : par exemple, un sujet ayant une prédisposition génétique à une maladie grave peut avoir les aptitudes à effectuer un travail satisfaisant et se retrouver pourtant dans une situation ou on lui refuse le travail par préjugé ou discrimination.

La capacité est un schéma qui décrit, sous la forme d’un code qualificatif, l’aptitude d’une personne, dans un milieu « normalisé » à effectuer une tache ou à exécuter une action. Elle indique le niveau de fonctionnement le plus élevé qui peut être atteint dans un domaine déterminé et à un moment donné.

Le milieu « normalisé » cherche à neutraliser les incidences variables que peuvent avoir les différents milieux sur la personne : il être un milieu réel, comparable aux tests d’aptitude ou un milieu fictif, conçu pour produire les effets uniformes ou « standards ».

La norme, relative à l’évaluation de la capacité et de la performance d’une personne, se réfère à la capacité ou à la performance d’une personne qui ne souffre pas du même problème de santé.

La différence entre performance et capacité, reflet de la différence de l’impact entre milieu usuel et milieu standard, fournit de précieuses indications sur les modifications à opérer sur le milieu dans lequel évolue une personne pour améliorer sa performance.

Les limitations d’activité (expression substitué au terme « incapacité » utilisé dans la CIH de 1980) sont les difficultés rencontrées par une personne dans l’exécution de ses activités. La différence par rapport à ceux qui ne présentent pas de problèmes de santé est qualitativement et quantitativement plus ou moins marquante.

Les restrictions de participation (expression substituant le terme « désavantage » présente dans la CIH de 1980) sont les problèmes auxquels une personne est confrontée lorsqu’elle s’implique dans une situation de la vie réelle. La présence d’une restriction de participation est déterminée par rapport à la participation espérée, dans une culture et une société données, d’une personne sans limitation d’activité.

En substituant la notion de désavantage par la notion de participation, la CIF cherche à identifier les causes individuelles et contextuelles de restriction de participation afin d’égaliser les chances des personnes porteuses de déficiences.

Partie 2. Englobe les facteurs contextuels liés à la partie 1

  • Les facteurs contextuels se réfèrent à tous les aspects du monde extérieur ou extrinsèques qui constituent le contexte de la vie d’une personne et qui ont une incidence sur son fonctionnement. Ils incluent le monde physique et ses caractéristiques ; le monde physique construit par l’homme ; le type de relation aux autres ; les rôles, les attitudes et les valeurs ; les systèmes et les services sociaux ; les politiques, les règles et les lois.

Considérer les facteurs contextuels comme une aide ou un obstacle au fonctionnement constitue une évolution substantielle de la CIH vers la CIF.

Ces facteurs externes ont une influence positive ou négative sur la performance de la personne en tant que membre de la société, sur sa capacité, sur sa fonction organique ou sur sa structure anatomique. Partant de l’environnement le plus proche de l’individu pour atteindre le plus global, ils agissent à deux niveaux différents :

Au niveau individuel (habitation, travail, école, etc), ils englobent les caractéristiques physiques ou matérielles du milieu et les contacts avec les autres (membres de la famille, amis, collègues, personnes plus distantes, etc)

Au niveau sociétal (structures sociales, services et règles de conduite ou systèmes formels ou informels du milieu culturel considéré), ils englobent les organismes et les services professionnels, les activités communautaires, les organismes gouvernementaux, les services de communication et de transport, les lois et les réglementations officielles ou non, les attitudes et les idéologies.

Les facteurs contextuels interagissent avec les fonctions organiques et avec les structures anatomiques.

Le handicap se caractérise alors comme le résultat de la relation complexe entre

  • Un problème de santé et des facteurs personnels et,
  • Les facteurs externes, c’est-à-dire, les circonstances et les conditions de vie de la personne atteinte.

D’où l’impact variable du milieu : un milieu rempli d’obstacles (immeubles sans accès adapté…) ou manquant d’aides (aides techniques…), restreint la performance tandis qu’un contexte où les aides existent, peut l’améliorer.

Un obstacle désigne tout facteur situé à proximité d’une personne qui, par sa présence ou son absence, limite le fonctionnement et provoque l’incapacité : milieu physique inaccessible, attitudes négatives des proches et de la société, structures politiques empêchant la participation de ceux qui ont un problème de santé.

Les aides désignent tous les facteurs qui, par leur présence ou absence dans le milieu de la personne, améliorent le fonctionnement ou réduisent le handicap : milieu physique accessible, aides techniques…. Les aides empêchent qu’une déficience ou une limitation d’activité ne se transforme en une restriction de participation puisque la performance réelle est améliorée.

Facteurs contextuels ou du milieu

Chapitre 1. Produits et systèmes techniques

Chapitre 2. Milieu naturel et changements impulsés par l’homme sur le milieu

Chapitre 3. Appuis et relations

Chapitre 4. Attitudes

Chapitre 5. Services, systèmes et politiques

  • Les facteurs personnels sont les facteurs contextuels correspondants à la sphère de la vie propre à une personne et ses caractéristiques, telles ue l’âge, le groupe culturel, les autres problèmes de santé, la condition physique, le mode de vie, les habitudes, l’éducation reçue, l’origine sociale, la profession, l’expérience passée et présente, les traits psychologiques… Tous, conjointement ou séparément, ont une influence sur le handicap à un niveau déterminé.

Cependant, ces facteurs ne sont pas classés en raison de la considérable variation sociale et culturelle qui leur sont associés, mais les utilisateurs peuvent les intégrer à l’usage de la CIF.

Le schéma ci-dessous montrent les interprétations possibles entres les composants de la CIF

Figure 5. Interactions entre les composants de la CIF
Figure 5. Interactions entre les composants de la CIF

La CIF conçoit le handicap comme le résultat d’un processus où les facteurs individuels et contextuels interagissent pour produire une situation de handicap.

La CIF diffère significativement de la CIH de 1980 dans la représentation des relations entre le fonctionnement et le handicap. Selon le schéma ci-dessus, le fonctionnement d’une personne dans un domaine donné est déterminé par une interaction ou une relation complexe entre son problème de santé et les facteurs contextuels (facteurs du milieu et personnels). Il y a une interaction dynamique entre ces entités : une intervention sur une de ces entités modifiera toutes les autres.

De plus, au lieu de conclure directement à une limitation de la capacité causée par une déficience ou à une restriction de la performance causée par une limitation, il convient de collecter les données de manière indépendante et d’exploiter les associations ou les éventuels liens de causalité. Il est par exemple possible de :

  • Souffrir d’une déficience sans pour autant connaître une limitation de capacité : un visage défiguré à la suite de graves lésions de la peau ne produit aucun impact sur les capacités de la personne
  • Présenter des problèmes de performance et des limitations de capacité sans pour autant être porteur d’une quelconque déficience : réduction de la performance dans les activités quotidiennes après une maladie
  • Avoir des limitations de capacités et n’avoir aucun problème dans la vie quotidienne : une personne à mobilité réduite qui bénéficie d’aide technique pour se déplacer.

La CIF utilise une approche bio-psycho-sociale dans la tentative de réaliser une synthèse cohérente des différentes perspectives de la santé, qu’elles soient biologiques, individuelles ou sociales. Ainsi, elle intègre deux modèles antagoniques : le modèle médical et le modèle social.

Dans le modèle médical, le handicap est perçu comme un problème de l’individu, une conséquence directe d’une maladie, d’un traumatisme ou d’un autre problème de santé, requérant des soins médicaux dispensés par des professionnels. Ce traitement vise une guérison, l’adaptation de la personne ou des modifications de son comportement. Les soins médicaux sont l’objet principal et au niveau politique, la principale réponse consiste à modifier ou à réformer les politiques de santé.

Dans le modèle social, le handicap est perçu comme un problème essentiellement créé par la société, comme une question d’intégration sociale. Le handicap n’est pas un attribut personnel, mais un ensemble complexe de situations, en grande partie, causées par le milieu social. La solution au problème exige des mesures d’actions sociales. C’est de la responsabilité collective de la société de modifier le milieu, permettant ainsi aux personnes en situation de handicap de participer pleinement à tous les aspects de la vie sociale.

L’aspect des attitudes ou des idéologies est ici mis en avant, d’où un changement social nécessaire, qui se traduit, au niveau politique, en termes de droits de la personne. Selon ce modèle, le handicap est une question politique.

Malgré les avancées incontestables de la CIF, nous pouvons souligner certaines limites telles que :

  • Son volume et sa complexité courent le risque de conduire à une faible utilisation ou même à un rejet
  • Elle se réfère, dans la définition de ses termes, très souvent vagues, à un mode de participation très proche du modèle occidental, des pays les plus développés au niveau socio-économique. D’où les nombreuses critiques d’ethnocentrisme malgré sa préoccupation de prendre en compte la diversité des contextes culturels.
  • Sous des intentions de démocratisation et d’égalisation des chances, la CIF peut implicitement laisser entrevoir une perspective gestionnaire, basée sur les coûts, les rendements et sur une évaluation quantitative des besoins, de l’utilisation et des résultats. Elle semble soumettre les politiques sociales à une évaluation des besoins. D’où le risque d’une dérive technocratique de ces politiques.
  • Sa préoccupation pragmatique semble soutenir une orientation « behavioriste » empirique, comme si l’important résidait dans les actions liées aux exigences d’apprentissage et de comportement. La priorité ou l’exclusivité est donnée à ce qui est fait au détriment de la volonté ou du désir de faire, des passions, de l’histoire, des conflits. En réduisant à la performance et aux résultats mesurables l’activité humaine, elle appauvrit la notion de sujet, de citoyen ou de participation qu’elle disait privilégier. Enfin, elle « désaffective » l’être humain.

La compréhension des évolutions terminologiques, particulièrement de la notion de situation de handicap présente dans la CIF, est fondamentale dans la mesure où elle reflète les profondes transformations qui ont eu lieu dans la représentation de la personne ayant une déficience au cours des trente dernières années.

Il convient également de souligner que la CIF, loin d’être achevée, ouvre un espace immense et d’importance à des questionnements et à des analyses de la situation des personnes atteintes d’une déficience dans tous les champs de la société.

Il est important de souligner la volonté sociale qui impulsa historiquement cette évolution terminologique. Dans la sphère scolaire, la constatation du réel échec du système éducatif, parallèlement à la volonté de démocratisation, amena les différents observateurs à considérer l’institution scolaire comme elle même génératrice des difficultés ou des problèmes des élèves. Apparaît dès lors la reconnaissance du droit à la différence venant d’un droit à l’assistance.

Cela montre que le handicap est essentiellement une construction sociale et qu’il n’est pas nécessairement lié à une déficience. Nous pouvons dès lors considérer le handicap non pas comme un fait d’ordre médical mais comme un phénomène d’anthropologie sociale. Il reste cependant à réfléchir sur la nature de l’interaction d’une personne avec son milieu et sur le sens de sa participation au sein de ce dernier, selon si cette participation s’insère dans le contexte d’une société strictement libérale ou bien davantage solidaire. 75

La terminologie brésilienne, n’a jamais utilisé le terme handicap, l’expression la plus utilisée est celle de « porteur de déficience », avec la connotation négative que cela entraîne ou de « porteur de besoins spécifiques» issue du discours éducatif et adoptée à partir de 2001. 76

L’expression « besoins éducatifs spécifiques » est utilisée pour la première fois en Angleterre, dans le Rapport Warnock de 1978, dans une tentative de passer d’une approche médicale des déficiences de l’élève à une approche tournée vers l’apprentissage scolaire d’un programme.

Ainsi, au lieu de concevoir des programmes pour un type de déficience ou pour des élèves ayant une déficience, des appuis adéquats ont été conçus, afin que les élèves aient accès aux programmes de l’école régulière dans une perspective plus normalisante et socialisatrice. Les adaptations du programme sont progressives et découlent des efforts naturelsde différenciation pédagogique fondée sur l’hétérogénéité des groupes. Ce n’est qu’exceptionnellement que des programmes et des programmes alternatifs sont conçus, représentant une stratégie d’exclusion du programme scolaire normal. 77

L’évaluation s’effectue à travers l’identification et la caractérisation des besoins, en fonction du programme conçu comme modèle de référence, d’orientation ou de critère de jugement. Ce diagnostic descriptif, qualitatif et dynamique s’oppose au diagnostic quantitatif, psychométrique, polarisé sur les déficits et qui se révèle incapable de fournir l’information pour la prise de décisions concernant le programme. La polarisation au sein du programme s’oppose ainsi, aujourd’hui, à l’antérieure polarisation concernant les déficiences de l’enfant. Comme le souligne Sergio Nisa, il s’agit du « […] passage d’une évaluation sommative intra-individuelle à une évaluation formative interindividuelle qui découle des besoins de l’enfant pour les réponses éducatives en fonction d’un programme général et flexible. Cette ligne d’orientation présuppose une organisation collaborée des apprentissages scolaires et l’adoption d’une pédagogie différenciée par les professeurs. » 78

Cependant, l’adoption de cette expression est aussi l’objet de critiques. Pour certains auteurs, une préoccupation excessive à définir les « besoins éducatifs spécifiques » ainsi que la manière d’y répondre nuirait aux enfants inclus dans cette classification. Pour Tony Booth, l’utilisation du terme est confus car :

  • Il se concentre sur les difficultés expérimentées par certains élèves et détournent l’attention des expériences vécues par les autres ;
  • Il se concentre sur les « défauts » des élèves plus que sur le développement de politiques, d’écoles et d’enseignement qui minimiseraient les difficultés.
  • Il stimule l’intervention de spécialistes, dégageant les professeurs de leur responsabilité et de leur habilité.
  • Son application est problématique dans les pays du Nord et encore plus dans les pays du Sud. 79

Comme le souligne Mittler, les définitions législatives des  « besoins éducatifs » assument le fait que certains enfants ont besoin d’un service différent de celui « en général disponible » et ce fait contrarie l’objectif de l’inclusion qui est précisément de changer ce qui est en général disponible comme un tout pour répondre à une ample gamme de besoins. La diversité et la différence qui devraient être considérées comme normales deviennent des exceptions. 80

Le problème semble se situer dans le terme « special» 81 , car le terme « besoin » en soi reflète une condition de tout être humain. Dans ce sens, Brahm Norwich établit une distinction entre les besoins individuels, exceptionnels et communs :

  • Les besoins individuels émergent des caractéristiques qui sont uniques pour l’enfant et différentes pour tous les autres
  • Les besoins exceptionnels émergent des caractéristiques partagées par certains ( problèmes visuels, grandes habilités musicales)
  • Les besoins communs émergent de caractéristiques partagées par tous (les besoins émotionnels d’appartenir et de se sentir vivre dans la relation). 82

Mais lesquels de ces besoins représenteraient les besoins spécifiques ouspécial? Si nous adoptons une approche plus proche de la CIH, ou une approche médicale, nous répondrions que « spécial » signifie exceptionnel, cependant, si nous nous positionnons dans une perspective inclusive, plus cohérente avec la CIF, nous aurions un penchant pour dire que les besoinsspécifiques correspondent aux besoins individuels. Le problème réside alors dans le fait que le terme « besoins spécifiques » ne résout pas le problème culturel de l’étiquetage et de la ségrégation.

Comme le souligne Michel Chauvière et Eric Plaisance, le qualificatif spécifique fut pendant longtemps, sans discussion, attribué aux institutions pour les enfants et les adolescents jugés irrecevables dans les classes régulières. Gary Woodill et Ian Davidson analysèrent le langage des professionnels et particulièrement l’usage de la notion  « spécifique ». Ils déclarent que ce terme est le plus mystificateur de tous les mots et expressions utilisées, car il implique la question du pouvoir. Dans le cas où ce terme se rapporterait à l’enseignement, quelles caractéristiques pourrions-nous qualifier de spécifiques ? Les professionnels, les structures, les pratiques éducatives ? Tout enfant ayant des caractéristiques particulières ne doit pas nécessairement être associé à l’enseignement dit spécial. 83

En analysant la situation britannique d’un point de vue socio-historique, Sally Tomlinson tente de comprendre les processus sociaux qui se développent lorsqu’un pan d’un système d’éducation de masse d’une société industrielle devient « spécial » et non « normal ». Pour elle, la catégorisation des groupes sociaux dominés est un processus essentiel qui devient la cible principale de mesures de ségrégation malgré les déclarations de caractère humaniste pour le « bien de l’enfant ». 84

Du fait du manque d’accord concernant les définitions, le terme « besoins éducatifs spécifiques » est également problématique, lorsque l’on cherche à analyser de manière comparative les politiques de différents pays. Cependant, une étude a construit un indicateur à partir de données relatives aux moyens supplémentaires fournis pour financer la formation des élèves aux besoins éducatifs spécifiques. Ces besoins étant définis, dans la pratique, en terme de ressources publiques et privées supplémentaires fournies pour financer la formation des élèves.

En terme de comparaison, les pays ont créé leurs propres catégories nationales concernant les besoins éducatifs spécifiques sous divisés en trois catégories : la catégorie A correspond, grosso modo, aux besoins résultants d’une déficience (élèves ayant une déficience sensorielle, mentale, physique) ; la catégorie B se réfère aux besoins issus de difficultés d’apprentissage et qui ne semblent pas rentrer dans les catégories A et C. ; la catégorie C regroupe les besoins jugés des besoins causés principalement par des facteurs socio-économiques, culturels ou linguistiques.

En comparant différents pays, on note une diversité conceptuelle relative à l’enseignement spécial. Dans certains pays, seuls les élèves souffrant d’incapacités médicalement reconnues bénéficient d’un enseignement spécial, comme par exemple en République Tchèque ou en Italie alors qu’en Turquie cet enseignement est dispensé aux élèves précoces et surdoués. Les élèves souffrant de problèmes affectifs sont également perçus de manière différente selon les pays. Ainsi, en Irlande, on considère que ces problèmes résultent d’une difficulté sociale, en Finlande, qu’ils sont d’origine rationnelle et dans d’autres pays, qu’ils ont une cause clairement organique et dans d’autres encore ils ne sont simplement pas pris en considération. 85

Tableau 8 – Nouvelle classification des catégories nationales de besoins éducatifs spécifiques selon les catégories internationales A,B e C (1996)
Pays
Catégorie internationale
A B C
Finlande
Retardé mental moyen
Déficience auditive
Déficience visuelle
Déficience motrice et autre
autres

Retardé mental léger
Déficience du développement affectif et social
Problèmes spécifiques d’apprentissage
Enseignement de soutien
Immigrants / immigrés
Grèce Aveugles- vision en dessous de la normale
Sourds – déficiences auditives
Déficience physique
Retard mental
Autistes Problèmes d’apprentissage
Hongrie
Retard mental léger
Retard mental moyen déficience visuelle
Déficience auditive
Déficience motrice
Déficience de langage
Autres déficiences
  Enfant appartenant à une minorité ethnique
Elève défavorisé/enfant courant un risque
Irlande
Déficience visuelle
Déficience auditive
Déficience mentale moyenne
Déficience mentale modérée
Déficience motrice
Problèmes spécifiques de langage
Problème spécifiques d’apprentissage
Retard mental sévère et profond
Déficiences multiples
Enfant au besoin d’enseignement de soutien
Enfants aux problèmes affectifs
Enfants aux problèmes affectifs sérieux
Enfants du voyage
Jeune délinquant
Enfants de réfugiés
Enfants issus de milieux défavorisés et scolarisés dans des établissements ordinaires
Itália Déficience visuelle
Déficience auditive
Retard mental moyen
Retard mental sévère
Déficience physique légère
Déficience physique sévère
Déficience multiple
   
Turquia Déficience visuelle
Déficience auditive
Déficience orthopédique
Retard mental rééducable
Retard mental éducable
Déficience de langage
Souffrants d’une maladie chronique
Précoces et surdoués  

Il convient de rappeler, pour comparaison, que le Brésil divise les besoins éducatifs spécifiques en :

A : Porteurs de déficience (mentale, visuelle, auditive, physique, multiple) ;

B : Porteurs de conduites typiques (problèmes de conduite) ;

C : Porteurs de grandes habilités (surdoués) .

L’inclusion des enfants ayant des problèmes du fait de la provenance d’un milieu défavorisé ou de problèmes de nature socio-économique n`existe pas au Brésil car, cas contraire, au vu de la situation de pauvreté dans laquelle se trouve une grande partie de la population brésilienne, la majorité des enfants en âge d’étudier appartiendrait à la catégorie C et ferait partie du groupe ayant des besoins spécifiques. Cet exemple montre combien une terminologie peut changer de signification selon le contexte. Derrière les différentes terminologies et classifications, nous percevons le reflet culturel et politique de chaque pays concernant les personnes en situation de handicap.

Elisabeth Zucman montre que, en France, trois groupes présentant des difficultés d’apprentissage peuvent être identifiés. L’importance numérique de chaque groupe est proportionnellement inverse au budget qui lui est alloué. Ainsi :

  • 1% des enfants reconnus comme déficients ou malades, reçoivent 80% des ressources
  • 2% à 4% des enfants ayant des problèmes de langage instrumentaux ne reçoivent pas de moyens supplémentaires
  • 8% a 10% des enfants présentant des problèmes d’apprentissage du fait de facteurs psychosociaux et de problèmes de comportement et de conduite reçoivent 20% de ces moyens. 87

Quelques hypothèses sont avancées pour trouver une explication à une telle inégalité. La première est le traitement inégal réservé par la loi aux enfants présentant des déficiences et à d’autres qui présentent également des difficultés d’apprentissage et qui n’ont pas été historiquement favorisés par des moyens supplémentaires pour le développement de leur apprentissage. La seconde hypothèse, plus subtile, fait référence, selon l’auteur, aux mentalités : pour la majorité des personnes, ni les parents, ni les enfants qui sont atteints d’une déficience ou d’une maladie ne sont considérés coupables ou responsables. Malheureusement, on ne peut dire la même chose des personnes atteintes de problèmes psychiques, des enfants en échec scolaire ou très turbulents à cause de la pauvreté du milieu dont ils sont issus. Selon Zucman, dans l’inconscient collectif, aujourd’hui plus que jamais, la maladie mentale, la pauvreté, la marginalité, et le chômage (chômage des parents et échec scolaire des enfants) sont considérés comme de lourdes fautes, qui coûtent chers la collectivité. Les familles et les élèves sont fréquemment désignés comme étant les coupables et les responsables. Enfin, il existe également une distinction problématique entre l’enfant ayant un type de déficience et l’enfant ayant des problèmes de comportement ou des difficultés d’apprentissage liés à un autre facteur. Les premiers, bien qu’ils reçoivent des moyens supplémentaires sont rejetés par la société ; les seconds, qui se présentent comme « normaux » à la naissance, ne font pas l’objet d’une attention concernant leurs besoins éducatifs spécifiques. Ils sont destinés à l’exclusion car leurs comportements ou problèmes de personnalité perturbent le système scolaire. 88

Nous pouvons noter que la finalité de la classification dans un contexte déterminé est bien plus importante que la classification elle même. Bien que la terminologie ait besoin d’évoluer afin de refléter le changement des mentalités, c’est dans la pratique que l’on découvre son véritable sens. Pour atteindre la notion d’inclusion telle que nous la connaissons aujourd’hui, il a fallu parcourir un long chemin d’évolutions terminologiques et conceptuelles. Nous analyserons donc les notions d’intégration et d’inclusion qui ont été utilisées tantôt comme synonymes, tantôt comme des notions complémentaires et tantôt comme des notions totalement antagoniques.

Notes
68.

Le sous-chapitre 3.1 emprunte directement à GARDOU (Ch.), Cours DEA : «  Situations de handicap: recherches anthropologiques et traitements éducatifs », 2002. Université Lumière-Lyon2.  

69.

BARRAL, (C.), « La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé » , in Réadaptation , n° 496, 2003. pp. 33-35

70.

OMS, Classificação Internacional do Handicap : Deficiências, Incapacidades, Desvantagens - CIH . Paris : CTNERHI-INSERM, 1988. pp. 23-25

71.

GARDOU, (Ch.), Op.cit.

72.

PLAISANCE, (E.), Les mots de l´éducation spéciale, in CHAUVIÈRE, (M.) ; PLAISANCE, (E.), L´Ecole face aux handicaps, Paris : PUF, 2000. pp 15-29

73.

ARMSTRONG, (F.) Les paradoxes de l´éducation inclusive en Angleterre, in CHAUVIÈRE, (M.) ; PLAISANCE, (E.), O p.cit., pp.117-132

74.

GARDOU, (Ch.), O p.cit.

75.

STIKER, (J.), cité par RAULT, (C.), « Besoins éducatifs particuliers : la définition d’un concept et ses incidences sur les dispositifs d’adaptation et d’intégration scolaires », La nouvelle revue de l’AIS. Adaptation et intégration scolaires, N°22, Suresnes : Cnefei, 2003. pp. 19-32

76.

L’expression utilisée au Brésil, et « Necessidades educacionais especiais » que nous traduisons ici par besoins éducatifs spécifiques. 

77.

NISA, (S.), « Necessidades especiais de educação : da exclusão à inclusão na escola comum », Inovação, vol. 9, n° 1 e 2, Direção Geral de Inovação e de Desenvolvimento Curricular (DGIDC), Lisboa, 1996. pp. 139-149

78.

Ibid.

79.

BOOTH, (T.), cité par SALEH, (L.) ; VÄYRYNEN, (S.) « Inclusive Education – Consensus, conflict and challenges », in II Jornada sobre les Necessitats Educatives Especiais a l’Aula, 1999. pp. 1-19

80.

MITTLER, (P.), Educação Inclusiva. Contextos Sociais, Porto Alegre : Artmed, 2003. p. 33

81.

Le terme en anglais « special » correspond plutôt à « spécial », en portugais, cependant nous adoptons « spécifique » pour être le terme correspondant en français.

82.

NORWICH, (B.), o p.cit, p.33

83.

WOODILL, (G.) ; DAVIDSON, (I.) « Le langage des professionels de l’éducation spéciale : Un cadre conceptuel ». Cité par CHAUVIERE, (M.) ; PLAISANCE, (E.) L’Ecole face aux handicaps, Éducation séciale ou éducation intégrative ?, Paris : PUF, 2000. p.17

84.

TOMLINSON, (S.), « Sociology of special education », 1982. Cité par CHAUVIERE, (M.) ; PLAISANCE, (E.), o p.cit., p. 17-18

85.

EVANS, (P.), À l’épreuve de la quantification dans huit pays, 2000. In CHAUVIÈRE, (M.) ; PLAISANCE, (E.), op.cit., pp.103-116

86.

OCDE. Cité par CHAUVIÈRE, (M.) ; PLAISANCE, (E.), Ibid., pp. 106-107

87.

ZUCMAN, (E.), « Les besoins éducatifs specifiques. Un concept intégrateur pour tous les élèves en dificulté à l’école. » Reliance, Lyon : CRHES/Université Lumière-Lyon2, n°8, 2002. pp.10-13.

88.

ZUCMAN, (E.), Op.cit .