Paulo Freire était le plus jeune de ses trois frères et sœurs. Né le 19 septembre 1921 à Recife, capital de l’Etat de Pernambuco, Paulo Reglus Neves Freire apprend l’alphabet, avant d’être scolarisé, auprès de son père et de sa mère qui, à l’aide d’un morceau de bois, dessinent par terre des mots proches de ses expériences enfantines.
A l’âge de vingt-deux ans, il entame des études de droit à la Faculté de Recife. A cette époque, il enseigne la langue portugaise dans l’établissement scolaire où il avait fait lui-même ses études. En 1944, avant la fin de ses études supérieures, Freire épouse une institutrice, Elza Maria Costa Oliveira : cinq enfants naîtront de leur mariage. Elza l’encourage à aborder des questions d’ordre pédagogique. Elle exerce toujours une grande influence sur ses travaux, car elle partage sans réserves ses engagements et ses luttes.
De 1947 à 1957, Freire est invité à diriger le Département de l’Education et de la Culture du Service Social de l’Industrie (SESI). C’est là qu’il commence son œuvre d’alphabétisation des adultes, développe sa pensée et sa pratique pédagogiques, en même temps qu’il s’engage dans des actions pour l’éveil démocratique du Brésil.
En 1956, Freire est nommé, avec huit autres pédagogues de Pernambuco, membre du Conseil Consultant d’Education de Recife. Influencé par le penseur catholique Alceu de Amoroso Lima et l’éducateur Anisio Teixeira,il travaille dans plusieurs paroisses de Recife. C’est dans son Rapport, intitulé « L’Education d’Adultes et les Populations Marginales : le problème des Mocambos », présenté, en 1958, à Rio de Janeiro, au deuxième Congrès National d’Education des Adultes, que Freire s’affirme en tant que pédagogue progressiste. En 1959, il obtient le titre de Docteur en Philosophie et en Histoire de l’Education avec sa thèse Education et Actualité Brésilienne qui, plus tard, sera révisée et publiée sous le titre de L’Education : pratique de la liberté . Dès 1961, il enseigne la philosophie et l’Histoire de l’Education à la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres de l’Université de Recife.
Les intellectuels reçoivent les influences des sociologues et philosophes tels Karl Mannheim, Karl Jaspers, Gunnar Myrdal et Gabriel Marcel. Freire, lui, s’initie à la pensée de Jacques Maritain, et de Emmanuel Mounier de la Gauche catholique, sans jamais perdre de vue son expérience pratique 136 .
C’est pourtant dans les Cercles de Culture qu’il affine et stabilise sa méthode grâce à laquelle les analphabètes, après 30 heures de cours, à raison d’une heure par jour, cinq jours par semaine, sont en mesure de lire des articles de presse simples et d’écrire des phrases courtes.
Sa méthode stimule les adultes analphabètes, leur permettant de sortir du conformisme et de l’apathie. Elle les amène à comprendre qu’ils sont producteurs de culture, et acteurs de leur société. L’efficacité de la méthode consiste à partir de la réalité de vie des apprennants, de situations qu’ils connaissent et voient au quotidien. Si les dialogues ne sont pas libres, l’animateur amène le groupe à problématiser de plus en plus les thèmes abordés, de manière à apprendre la pensée critique.
Cette méthode connaît un succès considérable dans tout le pays. Freire est invité par le Ministre de l’Education du gouvernement du président João Goulart, Paulo de Tarso Santos, à coordonner le Programme National d’Alphabétisation.
Cependant, la mise en œuvre de ce programme s’avère difficile, compte-tenu des pressions politiques du moment. Un coup d’Etat militaire l’interrompt en 1964 et le Gouvernement de Goulart est renversé. Freire, accusé de subversion, passe soixante-quinze jours en prison. Constamment appelé à répondre à des enquêtes policières, il part en Bolivie à 43 ans comme réfugié politique. Consultant au Ministère de l’Education bolivienne, Freire assiste, vingt jours après son arrivée à La Paz, à un coup d’Etat contre le gouvernement réformateur de Paz Estensoro. Il choisi alors de s’installer au Chili où il restera de 1964 à 1969.
Au Chili, dans un gouvernement issu de la victoire de l’alliance populiste démocrate-chrétienne, Freire se met au service de l’Institut de Formation et de Recherche pour la Réforme Agraire et du Bureau Spécial d’Education d’Adultes. Il enseigne également à l’Université Catholique de Santiago et puis consultant spécial au Bureau Régional de l’UNESCO.
Freire publie, en 1967, son premier ouvrage : L’Education : pratique de la liberté, diffusée un an plus tard au Chili, il est bien accueilli dans les milieux intellectuels de l’Argentine, du Mexique et des Etats-Unis. Freire est invité par l’Université d’Harvard pour y enseigner pendant deux ans. Mais, refusant d’abandonner trop longtemps les mouvements de libération, il n’y reste que six mois. En revanche, il répond favorablement à l’offre du Conseil Œcuménique des Eglises à Genève, qui lui offre un poste de consultant à plein temps. Cette organisation joue, à l’époque, un rôle essentiel dans les processus de libération des anciennes Colonies d’Afrique.
L’opposition des représentants de la droite chilienne, le Parti Démocrate Chrétien, accuse Freire d’écrire un livre trop violent. Il s’agit en l’occurrence du plus célèbre : La pédagogie des opprimés, rédigé en 1968 et publié en 1970. Ces pressions le contraignent encore à fuir.
Mettant l’accent sur le caractère politique de l’éducation, La pédagogie des opprimés constitue un outil de rénovation à la fois pédagogique et politique au profit des classes sociales asservies. Cette pédagogie s’appui sur la problématisation et sur une constante réévaluation des conditions subjectives dans le processus éducatif. Récusant la démarche autoritaire, elle se fonde sur le dialogue et les relations horizontales.
Freire occupe, pendant six mois, aux Etats-Unis, un poste de professeur au Centre d’Etude du Développement et du Changement Social. Là, il finit Action Culturelle pour la Liberté , où il oppose sa conception de l’action culturelle à l’impérialisme culturel.
Ensuite a Genève, il fonde, avec un groupe d’exilés brésiliens, l’Institut d’Action Culturelle (IDAC) dont il est président : cet institut offre des services éducatifs, notamment aux pays du Tiers Monde. Au cours des années suivantes l’IDAC, qui du monde entier, reçoit de nombreuses demandes de coopération, devient très populaire.
De retour au Brésil en 1980, il veut se re-imprégner de la culture brésilienne. Ses contacts avec la situation concrète de la classe ouvrière et le Parti des Travailleurs donne une nouvelle impulsion à sa pensée.
Dans les années 80, son engagement pour l’école publique populaire donne lieu à L’éducation dans la ville, publié en 1991. Ses conceptions éducatives prennent leur source dans des divers courants philosophiques, comme la phénoménologie, l’existentialisme, le personnalisme chrétien, le marxisme humaniste et le hégelianisme.
L’année 1986 est marquée par le décès de son épouse Elza. Deux ans plus tard il se marie à nouveau avec Ana Maria une de ces anciennes étudiantes.
Après la victoire électorale, en 1988, à São Paulo, du Parti des Travailleurs (PT), Freire est nommé, dès 1989, Secrétaire de l’Education. Plusieurs actions sont éféctuées afin de reformer le système d’écoles de la ville de São Paulo. Dans ce même temps, le Mouvement d’Alphabétisation de São Paulo (MOVA-SP) est créé et structuré en étroite coopération avec les mouvements populaires et sociaux de la ville.
Freire se retire du Secrétariat de l’Education au but de deux ans pour renouer avec ses activités universitaires, retourner à ses conférences et à l’écriture, laissant Mario Sergio Cortella lui succéder.
Il meurt le 2 mai 1997 à l’âge de 75 ans. Sa pensée et travaux répandus dans le monde entier attestent ses efforts pour le développement d’une éducation libératrice et d’une société plus juste.
Dans cette partie, nous essayons d’analyser sa pensée sous trois regards différents : philosophique, socio-antropologique et pédagogique. Nous visons montrer ici, que sa pensée peut constituer un référent théorique pour l’école inclusive. Puis dans la quatrième partie, nous partons d’une expérience pratique dans la ville de Chapecó pour mettre a l’épreuve la pensée freirienne concernant l’éducation inclusive.
Cette biographie emprunte directement aux études biographiques effectués par Moacir Gadotti, Carlos Alberto Torres, Heins-Peter Gerhardt et Ana Maria Araújo Freire, in GADOTTI, (M.) et al. Paulo Freire . Uma bibliografia, São Paulo: Cortez, 1996, pp. 27-170
Karl MANNHEIM (1893-1947), représentant du courant de la sociologie de la connaissance, il a écrit Idéologie et Utopie (1929). Karl JASPERS (1883-1969), représentant du courant de la philosophe de l’existence. Auteur de Philosophie (1932), Raison et existence (1935) et De la vérité (1947). Gunnar MYRDAL (1898-1987), sociologue et économiste suédois, représentant du courant institutionnaliste, auteur de An American dilemma : The Negro problem and modern democracy (1942). Gabriel MARCEL (1889-1973), philosophe et dramaturge, principal représentant de l’existentialisme chrétien, il a écrit Présence et Immortalité (1943). Jacques MARITAIN (1882-1973), philosophe chrétien, représentant du thomisme, auteur de Primauté du Spirituel (1927) et Humanisme intégral (1936). Emmanuel MOUNIER (1905-1950), philosophe chrétien, fondateur de la revue Esprit et représentant du courant du personnalisme.