3.1 La dialogicité dès le projet politique-pédagogique

Dans les écoles d’inspiration freirienne, les relations interpersonnelles, plus précisement les rapports enseignant-enseignés au sein de la classe, s’inscrivent dans une démarche dialogique, celle là même qui guide l’élaboration du projet politique-pédagogique. Cette démarche représente, comme le souligne Padilha, « une forme de résistance et une alternative à la démarche autoritaire, bureaucratique, centralisée et descendante qui a gagné les structures de nos systèmes éducatifs et nos réseaux scolaires ». 225 La structuration de l’école et les processus de décision implicite font appel à une démarche socialisée et ascendante. Socialisée, car elle responsabilise, non les seuls enseignants, mais toute la collectivité. Ce qui conduit à l’élaboration de décisions politiquement comprises par les personnes concernées, parce que construites avec elles.

Cette démarche est également ascendante : les décisions partent du « bas » pour aller vers le « haut » du système ou du plus « ponctuel » vers le plus « large » : les élèves, puis les écoles, le réseau municipal, le réseau des Etats et enfin les instances éducatives nationales.

D’où la nécessité de dispositifs de communication suffisamment transparents à même de prendre en compte l’évolution des décisions prises aux divers niveaux. La démarche dialogique dans les écoles populaires ne se réduit donc pas à la participation de tous : elle suppose une « consolidation » ascendante. A chacune des étapes administratives et pédagogiques, elle donne la priorité à la dimension de groupe, à une vision de la totalité, à l’analyse critique, à l’interaction avec la collectivité et à la praxis. Chacun collabore à sa manière à l’évolution des finalités et des pratiques éducatives.

Les Conseils d’école, créés en 1983, étaient censés impulser cette démarche dialogique à des fins de démocratisation de la gestion de l’école. Or, ce n’est qu’à partir de 1991, date à laquelle ils sont redéfinis par le Secrétariat Municipal de São Paulo, que ces Conseils sont résolument et concrètement intégrés à l’organisation et à la vie des écoles populaires.

Ce sont des instances paritaires, représentées par un nombre égal, d’un cóté, de représentants des professionnels de l’éducation et fonctionnaires et, de l’autre, de représentants d’élèves et des parents. Le conseil assume la responsabilité de la direction de l’école et de toutes les décisions prises. Il exerce ainsi des fonctions à la fois consultatives, délibératives et fiscales.

La même démarche dialogique induit la participation des parents, des élèves, des associations, des organismes locaux, des ONG dans la programmation et coordination des activités intra et extra-scolaires, notamment dans l’investigation ethnographique de l’école. Dans une école ouverte, à proximité de la communauté, guidée par une éthique de la solidarité, on construit de proche en proche, une société plus juste et égalitaire.

Est-il besoin de souligner la difficulté de mise en oeuvre de ces transformations radicales dans la vie d’une école ? Aussi, dans un objectif de dépassement des résistances et autres obstacles initiaux, Celso dos Santos Vasconcellos conçu ce qu’il appelle le « marquage référent» qui procède d’une construction collective, dialogique et critique. Cet outil guide les premiers pas de la construction du projet politique-pédagogique d’une école.

Au regard de son autonomie, l’école, en lien étroit avec la communauté, élabore collectivement un projet politique-pédagogique qui oriente, pour un temps, son action. Ce projet est de l’ordre d’un processus continu, en phase avec les transformations de l’école elle-même et de ses interactions avec son environnement social.

Il rompt avec la « culture des directives » pré- établies et imposées à tous, 226 en stimulant la responsabilité des tous les acteurs éducatifs et sociaux. C’est l’idée d’une école active et créative dans sa « construction identitaire » et dans son organisation pédagogique.

Sa dénomination même rappelle la dimension politique de l’école par l’éducation citoyenne qu’elle dispense. Politique et Pédagogique s’avèrent indissociables.

Ce projet politique-pédagogique est forgé de sept éléments essentiels : les finalités de l’école, sa structure organisationnelle, son curriculum, le temps scolaire, l’évaluation, les relations de travail et les processus de décision. 227

L’école établit d’abord quelles sont les finalités, parmi celles établies dans la législation éducative, auxquelles elle veut donner la priorité. Comment va-t-elle atteindre ses visées culturelles ? Ou, plus clairement, comment va-t-elle préparer culturellement les élèves à s’insérer dans leur société ? Il convient donc de définir comment atteindre des finalités politiques et sociales ayant pour objectif de former un citoyen et de le préparer professionnellement. Ce dans une perspective humaniste de promotion de la personne dans toutes ses dimensions.

Quant à la structure organisationnelle, l’école précise, dans son projet, son style de gestion, son organigramme, la répartition des responsabilités, les relations professionnelles.

La définition du curriculum suppose, elle, une analyse collective des réferents de savoirs nécessaires à la construction sociale des connaissances. On réfléchit alors sur la transmission, la production, l’appropriation des savoirs et leur organisation. De manière générale, les écoles populaires adoptent un curriculum interdisciplinaire et contextualisé.

La réflexion du temps scolaire découle des propositions curriculaires. La reconsidération du temps des apprenants, du temps des apprentissages, du calendrier scolaire, du temps de formation des enseignants illustrent le souci de l’école d’atteindre ses finalités : d’où la flexibilité du temps selon les contextes et la mise en oeuvre des cycles.

Par essence évolutif, le projet politique-pédagogique suppose des modes d’évaluation cohérents avec ses finalités, permettant des progressions à partir de réferents et se modifiant avec le projet lui même.

Les processus de décision dans l’école sont liés au type de relations entre les acteurs. Le projet politique-pédagogique précise une posture face au pouvoir, à la hiérarchisation et à la communication dans l’école. Les processus de décision et les relations de travail, orientés par la démarche dialogique, se veulent avant tout démocratiques.

On constate l’importance qui revêt pour chaque école l’élaboration collégiale de ce projet politique-pédagogique. Mais pourquoi ne pas adopter et suivre des principes préconisés par ailleurs ? Freire s’opposait à la transmission des phrases toutes faites aux analphabètes, même si elles portaient de belles significations. Il savait que l’apprentissage passe par l’appropriation critique et consciente des savoirs. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la nécessité pour chaque école, de prendre en mains, avec la communauté, son propre projet, en se gardant d’un repli sur sa singularité, au détriment de l’universel.

Comme le souligne Charles Gardou, « l’éducation vise un double objet : faciliter l’insertion de l’individu comme être social au sein de sa communauté d’appartenance ; favoriser l’émergence d’une personne humaine capable de se situer en regard de valeurs universelles. Cela suppose également, pour l’éducateur, une double nécessité : affranchir, ouvrir le champ des possibles, sans cependant couper les racines, ni arracher ; doter d’un système de références, sans toutefois figer. L’éducateur navigue ainsi entre deux extrêmes : l’enracinement absolu et le déracinement total. » 228

Construit avec la participation de tous , le projet politique-pédagogique constitui la pièrre fondamentalle de l’école populaire freirienne, assurant une école ouverte, démocratique et reliante.

Notes
225.

PADILHA, (P.R), Guia da Escola Cidadã n°7 – Planejamento Dialogico, São Paulo, Cortez, Instituto Paulo Freire, 2001, p. 25

226.

GADOTTI, (M.) et coll., op.cit., p. 70

227.

VEIGA, (I.P.A), « Projeto politico-pédagogico da escola : uma construção coletiva », in Secrétariat Municipal de Belo Horizonte, Ciclo de conferências da Constituinte Escolar - n°4, 2000, pp. 7-16

228.

GARDOU, (Ch), op.cit.,p. 9