Chapitre 1. Ce qui permet l’appréhension d’une expérience spécifique

1.1. Substrat local : l’inclusion scolaire dans la ville de Chapecó

C’est dans la municipalité de Chapecó que se trouvent les deux écoles qui constituent notre terrain de recherche. La ville de Chapecó, ayant environ 165.000 habitants, est située dans la partie Ouest de l’état de Santa Catarina. Considérée comme la “capitale économique” de la région, elle concentre les entreprises de fabrication et d’exportation de produits dérivés du porc (charcuteries) et de la volaille. Avec une population à 92% urbaine, Chapecó s’accroît et diversifie son parc industriel, historiquement tourné vers l’agro-industrie.

Le mot “Chapecó” vient du Kaingang. Son origine est soumise à de multiples interprétations : on pense qu’il est soit issu de “ chapeau de cipó”, “mettre dans le chapeau”, soit de la jonction des mots echa apê gô, qui dans la langue Kaingang signifie “d’où se voit le chemin du travail”. 247

Les infrastructures de Chapecó incluent un secteur de l’hôtellerie développé, un aéroport, deux hôpitaux, deux chaînes de télévision, six stations de radio et trois journaux locaux. A cela s’ajoutent des « investissements » dans le domaine social qui ont garanti à la ville plusieurs prix nationaux récompensant des indices socio-économiques élevés

  • A chaque cinq jeunes qui étudient dans tout l’Etat de Santa Catarina, un réside à la ville de Chapecó.
  • 87% des enfants entre 4 et 6 ans sont inscrits dans les Centres d’éducation préscolaire de Chapecó, ce qui représente le taux le plus élevé du Santa Catarina.
  • La préfecture a accru de 90% les capacités d’accueil dans l’éducation préscolaire. 248

La ville compte plus de 180 établissements d’enseignement fondamental et lycées qui emploient environ 2200 professionnels. Chapecó possède 5 institutions d’enseignement supérieur, dont 2 universités.

Le réseau d’enseignement municipal rassemble à lui seul 20 000 élèves, 1.500 enseignants et environs 300 auxiliaires répartis dans 29 écoles urbaines, 18 écoles de campagne, 26 centres d’éducation préscolaire, 18 centres d’éducation préscolaire communautaires ainsi qu’un Centre d’Education pour Jeunes et Adultes Paulo Freire. 249

En août 2005, Chapecó a accueilli le Premier Parajasc – Jeux Ouverts pour les Athlètes Spéciaux de Santa Catarina qui a rassemblé plus de 1000 compétiteurs issus de 41 municipalités. La ville possède quelques institutions en faveur des personnes en situation de handicap :

  • Association des Parents et Amis des Excepcionels de Chapecó (APAE) ;
  • Association des déficients visuels de Santa Catarina (ADEVOSC) ;
  • Association des Sourds de Chapecó (ASC) ;
  • Association d’Appui aux Personnes en situation de handicap (AFADEFI) ;
  • Association des Parents et Amis des déficients auditifs de Chapecó (APADAC) ;
  • Centre Associatif d’activités psychophysiques Patrick (CAPP) .

Historiquement, la politique éducative de l’État a été menée par deux partis politiques qui se sont partagés le pouvoir. Les élections du 5 octobre 2002 montrent à nouveau que le Parti Progressiste Bresilien (PPB) et le Parti du Mouvement Democratic Brésilien (PMDB) sont les plus grandes forces politiques de l’État. A Chapecó la situation est identique. Mais avec la victoire de la Frente Popular, en 1997, cette hégémonie politique prend fin et et une nouvelle aire éducative s’ouvre pour la municipalité.

Depuis 1990, la Coordination Régionale d’Education (CRE), qui a en charge la région Ouest de l’Etat de Santa Catarina, discutait la proposition curriculaire, en s’inspirant d’auteurs tels que Lev Vygotski, Edgard Morin et d’autres. Cependant, même si la proposition était d’améliorer la qualité de l’éducation, les réflexions et les formations des éducateurs sont demeurées théoriques, les changements nécessaires n’ont pas eu lieu dans le quotidien scolaire. La politique éducative apparaît fragile et se trouve déstabilisée à chaque changement de gouvernement.

Une forte hiérarchie persiste dans les relations éducative. Le secrétaire d’éducation qui représente dans la ville, l’autorité dans le domaine de l’éducation, n’est pas en contact direct avec les activités pédagogiques. Seulement présent aux inaugurations, il est respecté pour son autorité et il est craint par les directeurs et les enseignants. Les réunions sont informatives, dirigées par les directrices du département d’éducation qui ont pour fonction de transmettre les ordres aux unités scolaires. Avant l’arrivée du Gouvernement Populaire, ce type de relations prédominaient dans les divers gouvernements de la municipalité de Chapecó,.

Lorsque nous observons les propositions curriculaires et les références bibliographiques des plans éducatifs du réseau municipal, nous voyons que, avant 1997, on ne parle jamais de Paulo Freire :

‘“Freire n’a jamais été sujet de discussion à l’école. Pour nous qui sommes issus du mouvement syndical, nous n’imaginions pas que nous pourrions étudier Freire dans l’éducation formelle” 250 .’

Quelques mouvements sociaux nés dans la région ouest de l’Etat de Santa Catarina ont cherché à promouvoir un modèle inverse au modèle capitaliste. Le Parti des Travailleurs, créé le 11 juin 1981, est formé, à Chapecó, par un important groupe d’agriculteurs. Ce sont des travailleurs de la campagne qui donnent force au parti, suivis par des intellectuels et des ouvriers. En 1996, ce parti gagne les élections municipales avec, à sa tête, José Fritsch.

Cherchant à construire un processus en rupture avec les forces conservatrices, le gouvernement populaire dessine un nouveau projet social et politique. Il cherche à amplifier et à améliorer les politiques publiques par le biais de la démocratisation, de la construction collective, de la participation populaire, au travers du “Orçamento Participativo” (budget participatif).

Le budget participatif est un programme développé par la préfecture de Chapecó qui vise à démocratiser le pouvoir public. Il contribue à éveiller un sentiment de citoyenneté chez les personnes qui prennent les décisions au côté du Gouvernement Populaire. Ils décident non seulement de l’allocation des ressources, mais aussi des solutions pour améliorer les recettes et la fiscalisation des actions de la Préfecture municipale.

Les deux premières années de cette administration, la priorité est donnée, dans les Budgets Participatifs, à l’éducation. L’une des premières actions du Secrétariat d’Education et de la Culture est de garantir la participation des éducateurs dans le choix des directeurs d’écoles.

Il initie un diagnostic de la réalité de la ville et de ses unités scolaires. On discute au cours de séminaires, des orientations à donner à l’éducation. Y participent de nombreux acteurs de la société, tels que des universités, des syndicats, des mouvements sociaux, etc. Les débats se focalisent sur la nécessité d’un changement radical, d’un passage d’une éducation conservatrice à une éducation libératrice. On propose alors l’éducation populaire de Paulo Freire.

Le projet d’Education Populaire de Chapecó débute avec la participation de la communauté scolaire à des débats qui ont pour finalité de donner une nouvelle définition de l’école. C’est le début de la construction du Projet Politique Pédagogique (PPP) de la municipalité qui pose les bases du projet.

Ce PPP a pour valeurs : la démocratie, la citoyenneté, le travail collectif et l’autonomie tout en recherchant une plus grande solidarité. Il s’agit d’un « projet d’éducation qui rend possible l’accès et l’inclusion des classes populaires au savoir historiquement construit par les hommes afin de repenser, dans un processus d’action et de réflexion, ses relations, ses valeurs, ses pratiques de travail et de vie dans la perspective d’un changement de la société. » 251

En 1998, débute un cours de formation des enseignants qui s’appuie sur une proposition pédagogique interdisciplinaire conçue à partir de l’approche thématique de Paulo Freire, qui vise à faire connaître la nouvelle orientation curriculaire. Le travail prend comme point de départ la réalité vécue par la population. Une recherche participante est menée dans les écoles municipales afin de connaître cette réalité.

C’est ainsi que débute la recherche du thème générateur de la communauté et des élèves afin de construire un réseau thématique qui établit des relations et cherche à appréhender la réalité locale de façon socio-historique, politique, économique et culturelle.

Afin de parvenir à une construction collective de la pratique pédagogique, de nombreux ateliers ayant pour sujet le Thème Générateur sont organisés durant toute l’année. Ils permettent aux enseignants et aux autres acteurs scolaires de mener une réflexion et une action sur cette nouvelle pratique.

Les documents du secrétariat de l’éducation de Chapecó explicitent l’engagement de ce dernier au côté de l’Education Populaire freirienne :“La pédagogie de la libération possède la connaissance de la réalité et la transformation de cette dernière qui vise à construire un monde où tous peuvent réaliser leur humanité.” 252

L’interdisciplinarité, le dialogue et la problématisation, caractéristiques de la pédagogie freirienne sont les composantes fondamentales du nouveau curriculum en construction. Celui-ci évolue au travers de divers forums, débats, séminaires, etc.

L’organisation en cycles débute en 1998 avec la publication du Parecer n° 010/98 du Secrétariat Municipal d’Éducation et de la Culture, qui vise à supprimer le système des séries considéré excluant.

Prenant appui sur cette loi, la proposition d’Education Populaire de Chapecó est ainsi définie : “Une garantie de la construction de la citoyenneté des classes populaires qui requière le développement d’habilités et de convictions telles que l’autonomie intellectuelle, la conscience historique, la sensibilité sociale, la solidarité de classe, le leadership, l’action collective et le sens critique” afin de former “un sujet historique qui possède les capacités de comprendre le groupe auquel il appartient et les raisons de son actuelle condition de vie. Ce processus de construction de la citoyenneté amène les travailleurs à se reconnaître en tant qu’êtres humains ayant le droit à une vie digne. Ceci avec la capacité de s’indigner contre les injustices sociales, d’agir collectivement, en développant ainsi des actions de solidarité, en tant que sujets historiques conscients.” 253

La loi municipale énonce aussi quelques principes pour changer l’école :

  • Curriculum critique;
  • Conception du savoir scolaire contextualisé;
  • Conception méthodologique qui vise la compréhension de l’être humain dans sa totalité par l'étude de la réalité, l’organisation du savoir et sa mise en oeuvre;
  • Organisation scolaire dans les cycles;
  • Évaluation diagnostique, continue, globale et permanente, avec la primauté des aspects qualitatifs sur les quantitatifs. 254

Avec l’implantation du nouveau système par cycles, des classes de progression sont créées pour les élèves qui n’arrivent pas à atteindre le niveau considéré nécessaire au passage d’un cycle à l’autre. Ces classes, composées au maximum de 10 élèves ont pour finalité la réinsertion de l’étudiant dans le cycle correspondant à son âge dés que celui-ci atteint le niveau d’apprentissage attendu.

La discussion sur les classes de progression fait émerger, à Chapecó, la question de l’inclusion des enfants en situation de handicap. La possibilité d’organiser des classes spéciales dans les écoles régulières, sur le modèle des classes de progression est désormais prise en compte par quelques écoles.

Les classes de progression doivent recevoir une attention particulière dans l’élaboration de leur réseau thématique de façon à constituer des espaces d’apprentissage temporaires, dans le but de réinsérer l’élève dans le cycle qui lui correspond.

Le Service d’Appui Psycho-Social (SAPS), a été créé pour agir en partenariat avec les écoles. Il s’agit d’un service coordonné par le Secrétariat Municipal de la Santé de la Préfecture de Chapecó qui accueille tout type d’institutions liées à l’enfance. Il s’occupe des enfants et adolescents jusqu’à l’âge de 18 ans, des écoles publiques, privées, des unités de santé ainsi que des conseils tutélaires. Le service est formé par une équipe de 11 professionnels : un psychiatre, cinq psychologues, trois orthophonistes, un thérapeute occupationnel et un psychopédagogue. Tous travaillent 40 heures par semaine, mis à part le psychiatre qui n’y consacre que 8 heures par semaine.

Des institutions telles que l’Association des Parents et Amis des Excepcionels de Chapecó (APAE) et le Centre Associatif d’activités psychophysiques Patrick (CAPP) fournissent également des enseignants et d’autres auxiliaires aux les écoles municipales.

Chaque école a la liberté de décider de l’organisation de son travail et de sa manière de travailler avec les auxiliaires. Quelques élèves fréquentent ces institutions d’appui pendant les demi-journées où ils ne se rendent pas à l’école, ou à temps complet, selon les cas.

Le Secrétariat Municipal d’Éducation maintient un service d’appui éducatif pour les personnes aveugles à la bibliothèque publique et dispose d’une imprimante en braille.

Bien qu’encore insuffisantes, ces actions démontrent un engagement et un effort vers une éducation pour tous dans la ville de Chapecó.

Notes
247.

ROSETTO, (S.), Síntese histórica da região Oeste. Cadernos do CEOM. Chapecó:, 1989 cité par SORDI, (L.C), Atuação dos alunos e egressos da educação de jovens e adultos (EJA) nas organizações comunitárias do Município de Chapecó/SC. Tése de mestrado, Universidade de Santa Cruz do Sul, março de 2003, p. 58

248.

PREFEITURA MUNICIPAL DE CHAPECÓ - ASSESSORIA DE IMPRENSA, 16 dez. 2005. Disponible sur <http://chapeco.sc.gov.br/index.php?go=1>.

249.

PREFEITURA MUNICIPAL DE CHAPECÓ, Programa inédito na Rede Municipal de Educação, 24 jun. 2006. Disponible sur : <http://chapeco.sc.gov.br/index.php?go=12&noticia=1427>.

250.

Entretien avec Rosângela De Carli DALBOSCO, realisée le 09 oct.2002. Cité par : SORDI, (L.C.), op.cit. p. 60.

251.

PREFEITURA MUNICIPAL DE CHAPECÓ, SECRETARIA MUNICIPAL DE EDUCAÇÃO E CULTURA, Retrospectiva histórica da educação do Município de Chapecó, In ANNEXES, p. 269.

252.

PREFEITURA MUNICIPAL DE CHAPECÓ, Op.cit.

253.

PREFEITURA DE CHAPECÓ, SECRETARIA MUNICIPAL DE EDUCAÇÂO E CULTURA, Parecer n° 010/98, Organização do ensino fundamental em ciclos, 11 nov. 1998. In ANNEXES, p. 273.

254.

Ibid.