2.3 Méthode d’analyse de contenu de notre corpus d’entretiens

Le traitement des données des 51 entretiens est effectué selon la méthodologie d’analyse thématique, telle que la conçoit Laurence Bardin. Comme l’explique l’auteur, “L’analyse thématique consiste à repérer des noyaux de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi.” ²⁷¹

Nous repérons dans chaque réponse le noyau de sens, c’est-à-dire la phrase ou le segment de discours qui répond le plus objectivement à la question posée par rapport au thème.

Le “thème” en tant qu’unité de registre, c’est-à-dire une unité de signification qui se dégage d’un texte analysé selon les critères relatifs à la théorie guidant la lecture, correspond à une partie du texte, à un extrait du texte analysé.

Visant saisir les changements d’attitudes, d’opinions et de croyances des acteurs educatifs, l’analyse thématique apparait la méthodologie la plus pertinente. Ce, en accord avec Bardin. Pour l’auteur, “Le thème est généralement utilisé comme unité de registre pour étudier les motivations des opinions, des attitudes, des valeurs, des croyances, des tendances, etc. Les réponses aux questions ouvertes, les entretiens (non-directifs ou davantage structurés) individuels ou de groupe, d’enquête ou de psychothérapie, etc., peuvent être, et sont, fréquemment analysés sur la base du thème. “ ²⁷²

Les thèmes correspondent aux fondements de l’inclusion cités dans la première partie de ce travail. Ils guident nos entretiens afin de savoir si, et jusqu’à quel point, les écoles populaires étudiées suivent ces fondements, traçant de ce fait les ruptures nécessaires au passage d’une “école exclusive” à une “école inclusive”, conformément à notre hypothèse de recherche.

A chaque fondement correspond un code conforme au tableau suivant:

A partir des fondements, nous avons extrait les thèmes et sous-thèmes suivants qui orientent nos entretiens:

Chacune des 21 questions qui composent les entretiens se réfère à un thème. Cependant, pour les parents et les élèves nous avons inséré quelques questions visant à créer un bon climat et à mieux comprendre la situation de ces deux groupes. Le tableau suivant répertorie les questions analysées :

Ainsi, en répondant à la question, l’interviewé aborde le thème, validant ou contestant son contenu, selon le cas.

Dans le cadre de cette analyse thématique, nous avons effectué une analyse quantitative qui répertorie le nombre de réponses validant ou non le thème. Cette analyse ne doit pas être comprise comme définitive, mais plutôt comme un support pour l’analyse qualitative, aidant à la visualisation d’un ensemble de réponses qui oriente notre analyse. L’analyse qualitative est menée à partir des arguments énoncés par les interviewés.

Les analyses qualitative et quantitative sont toutes deux traitées verticalement, c’est-à-dire par groupes d’acteurs, permettant ainsi de comparer les réponses données par chaque groupe.

Les critères utilisés dans l’analyse quantitative, afin de savoir si la réponse valide ou invalide le thème, sont les suivants :

F1 : Les deux questions se référant au premier fondement cherchent à savoir :

• Si la valorisation de la diversité est présente dans la représentation que se fait l’interviewé de la personne déficiente (question 3 – Comment définissez-vous personnellement la “déficience” ou le “besoin éducatif spécifique”?)

Nous considérons comme des réponses qui invalident le thème celles qui définissent la personne à BES comme “ayant besoin d’aide” ou comme quelqu’un qui “n’arrive pas à” ou “n’a pas la capacité de” faire quelque chose. Les réponses qui définissent la personne à BES comme un problème en soi ne valorisent pas la diversité.

• Si elle est stimulée par l’école populaire (question 4 – Pensez-vous que l’école populaire prend en considération la diversité des élèves? Pourquoi? De quelle manière?

Nous considérons comme des réponses affirmatives : “Oui, je pense”, “elle prend en considération”.

F2 : Les questions 17 et 18 sont spécifiques au groupe des parents et les questions 19, 20 et 21 à celui des élèves. Dans leur majorité, les questions relatives au second fondement cherchent à savoir :

• Si la lutte contre l’oppression et l’exclusion est confirmée dans le discours de l’interviewé lorsque ce dernier défend, approuve ou voit de manière positive l’accueil des enfants à BES parmi les enfants de l’école régulière (question 2 – Que pensez-vous de de l’accueil qui lui est réservé parmi les autres enfants? Quels sont, à votre avis, les bénéfices qu’il peut tirer d’une scolarisation dans une “école populaire”? Quels bénéfices peut-il apporter à l’école?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles qui défendent et font l’éloge de l’accueil des enfants à BES parmi les autres.

• Si elle est confirmée au travers d’un changement positif du regard posé par la communauté sur les personnes déficientes ( question 5 – Avez-vous remarqué, au sein de la communauté locale, un quelconque changement de regard (attitudes, comportement) sur les personnes à BES que vous estimeriez lié à l’action de cette école?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives: “oui”, “j’ai remarqué”.

• Si elle est confirmée dans le discours des parents lorsque ces derniers disent avoir perçu des changements positifs chez leur enfant depuis son entrée à l’école populaire. ( question 17 – Qu’est-ce qui a changé, à votre avis, pour votre enfant, depuis son entrée à l’école populaire?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles qui indiquent des changements positifs.

• Si elle est confirmée dans le discours des parents lorsque l’école populaire peut contribuer à l’inclusion sociale de leur enfant (question 18 - Pensez-vous que l’école populaire puisse contribuer à faciliter son inclusion sociale?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives: “oui, je pense”.

• Si elle est confirmée dans le discours de l’élève avec BES lorsque ce dernier narre un fait positif em lien avec son entrée à l’école populaire (question 19 – Qu’est-ce qui a changé, pour toi, depuis que tu es ici? A ton avis, pourquoi?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles dans lesquelles l’élève parle d’un changement positif.

• Si elle est confirmée dans le discours de l’élève à BES lorsque les changements énoncés par ce dernier n’expriment pas de mal-être ou de malaise lié à sa déficience et ne se réfèrent pas à ‘existence d’un préjugé. (question 20 - Qu’est-ce que tu voudrais changer de ton l’école? (en relation aux professeurs, à tes camarades..) Pourquoi?)

Nous considérons comme des réponses qui valident le thème celles où l’élève ne souhaite aucun changement ou lorsque le changement désiré n’est pas motivé par l’existence d’un préjugé ou d’une gêne ressentie par l’élève du fait de sa cohabitation avec les élèves dits “normaux”.

• Si elle est confirmée dans le discours de l’élève dit “normal” lorsque ce dernier n’exprime pas de préjugé envers ses camarades. Les deux questions suivantes (Raconte-moi un bon moment...) sont un complément à la question 21 et sont ici analysées conjointement (question 21 - Comment vis-tu le fait d’être avec des camarades à BES dans ton école? Raconte-moi un bon moment. Raconte un moment “désagréable” ou qui n’a pas été un bon moment en leur compagnie.)

Nous considérons comme des réponses validant le thème, celles où l’élève considère “normal” d’être avec des camarades à BES.

F3 : Les questions qui se rapportent au troisième fondement cherchent à savoir :

• Si l’accés à l’éducation des enfants à BES est garanti par l’école populaire au travers de programmes et/ou actions qui prennent en compte la progression et/ou la continuité éducative des enfants à BES (question 6 – De quelle manière l’école populaire assure-t-elle une continuité éducative pour les enfants (progression en cycles, avenir après l’école?)

Nous considérons comme affirmatives les réponses qui défendent le fait que l’école assure une continuité éducative.

• Si les interviewés trouvent necessaire l’existence d’espaces adaptés aux spécificités des enfants sans pour autant les mettre à l’écart (question 15 – Est-il nécessaire ou non de proposer un espace d’éducation spécifique à leurs difficultés? Comment définiriez-vous cet espace?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles qui défendent le fait que l’école doit promouvoir cet espace, soit dans des classes régulières, soit dans des classes spéciales au sein de l’école régulière, sans perdre de vue une école qui s’adapte à l’élève sans le mettre à l’écart des autres.

• Si l’acces est garanti par une école ouverte à tous (question 7 – Quelles difficultés rencontrez-vous (ou avez-vous rencontré) à la matérialisation du projet d’une école populaire ouverte à tous?)

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles où l’interviewé affirme que malgré les difficultés, il conçoit que l’école populaire est effectivement ouverte à tous. Nous cherchons encore à saisir quelles sont les principaux obstacles à la matérialisation du projet d’école populaire.

F4 : Les questions qui se réfèrent au quatrième fondement abordent le thème de la stimulation à la participation critique et à la collaboration et les sous-thèmes se référent aux divers acteurs éducatifs (élèves, professeurs et professionnels externes, parents, communauté). Il y a trois questions liées à ce thème. Elles cherchent à savoir :

• Si la participation, la pensée critique et l’autonomie des élèves sont prises en compte par l’école populaire (question 9 – Comment analysez-vous les progrès de ces élèves en matière de pensée critique? En matière d’autonomie? De participation?)

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles où l’interviewé considère que la pensée critique, l’autonomie et la participation sont stimulées.

• S’Il existe une collaboration entre les différents professionnels de l’éducation existe. (Question 8 – Quelle forme prend votre collaboration avec les autres professionnels que travaillent avec ces enfants? Quelles sont, à votre avis, les difficultés et les apports principaux de cette collaboration?

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles où l’interviewé décrit la collaboration existante et comme l’invalidant celles dans lesquelles il affirme qu’il n’existe pas de collaboration.

• S’Il existe une participation des parents d’élèves dans l’école (question 10 – Comment considérez-vous le dialogue existant avec les parents d’élèves? Quelles en sont les limites? Quels en sont les atouts?

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles où l’interviewé affirme qu’il existe un bon dialogue entre l’école et les parents.

F5 : Le thème relatif au cinquième fondement est le curriculum flexible et interdisciplinaire, adaptable aux singularités des élèves. Nous cherchons à analyser le thème sous trois dimensions, ou sous-thèmes :

• Pratiques interdisciplinaires : (question 12 – Quelles formes prend cette collaboration avec les autres professeurs en relation à l’interdisciplinarité? Quelles sont, à votre avis, les difficultés et les apports essentiels de cette collaboration?)

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles qui soulignent qu’il existe des pratiques interdisciplinaires, et comme invalidant ce dernier celles où l’interviewé dit ne pas avoir de telles pratiques.

• Apprentissages à partir du contexte réel des élèves : Nous avons cherché à savoir si la pratique des thèmes générateurs s’adapte au contexte des élèves et est par là même effective. (question 13 – Dans votre pédagogie, la pratique des termes générateurs a-t-elle été modifiée par l’arrivée des enfants à BES? Si oui, pourquoi et comment?)

Nous considérons comme des réponses validant le thème celles où l’interviewé affirme que les thèmes générateurs se sont adaptés, dans leur contenu, au contexte des enfants à BES.

• Evaluations relatives au dialogue : Nous cherchons à savoir si l’évaluation est faite non seulement par le professeur mais aussi par l’élève. (question 16 – Comment concevez-vous et mettez-vous en pratique la dialogicité dans l’enseignement et l’évaluation?)

Nous considérons comme validant le thème les réponses qui affirment qu’il y a évaluation de la part des élèves.

F6 : En relation au sixième fondement, nous avons cherché à savoir si les acteurs de l’école populaire ont rompu avec la vision traditionnelle qui privilégie la socialisation au détriment des savoirs scolaires du fait du manque de confiance dans le potentiel de l’élève à BES. Traditionnellement, on attribuait les difficultés d’apprentissage de l’enfant à BES exclusivement à l’enfant, sans remettre en cause le système pédagogique. La question posée lors de l’entretien amène l’interviewé à se positionner par rapport à l’importance de la socialisation et des savoirs scolaires dans la scolarisation des enfants à BES.

Le thème est résumé dans l’affirmation suivante : les réussites et les difficultés d’apprentissage sont perçues comme une résultante d’une distortion entre l’élève, le programme scolaire et les stratégies pédagogiques, ( Question 1 : Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, privilégier l’aspect de “socialisation” en gardant à l’esprit les difficultés de l’enfant? Doit-on privilégier les savoirs scolaires?)

Nous considérons comme validant le thème les réponses qui accordent autant d’importance aux savoirs scolaires qu’à la socialisation ainsi que celles qui privilégient les savoirs scolaires car elles représentent une rupture avec la pensée traditionnelle.

F7 : Les questions se référant au septième fondement ont pour thème la formation professionnelle et la valorisation de l’expérience des professeurs face aux défis de l’inclusion. Elles cherchent à découvrir :

• Si l’interviewé se sent préparé à répondre aux nouvelles exigences éducatives et pédagogiques issues du mouvement d’inclusion et considère avoir reçu une formation adaptée: (question 14 – Vous sentez-vous prêt à répondre aux nouvelles exigences éducatives et pédagogiques que cela implique? Si oui, pourquoi et comment? Si non, pourquoi?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles qui y répondent par “oui” et comme négatives celles qui y répondent par “non”

• S’il a le sentiment que l’union entre école populaire et mouvement inclusif a modifié sa pratique professionnelle. La question amène l’interviewé à parler de son expérience. (question 11 – Avez-vous le sentiment que cette union “école populaire / inclusion a modifié votre pratique professionnelle? Si oui, pourquoi? En quoi?)

Nous considérons comme des réponses affirmatives celles qui y répondent par “oui” et comme négatives celles qui y répondent par “non”

Notre analyse thématique s’est déroulée conformément aux critères ici énoncés. Pour une meilleure visualisation des résultats, nous avons divisé l’analyse en deux chapitres : l’un est destiné aux fondements les plus larges et appartenant à une sphère davantage sociale (fondements 1 à 4) et l’autre est dédié aux fondements spécifiques à la pratique pédagogique scolaire (fondements 5 à 7).