Chapitre 4. Ce qui émerge de l’analyse du corpus, dans une perspective pédagogique et formative

4.1 Adaptation des réponses pédagogiques aux besoins spécifiques de chaque enfant

Pour ce qui est du cinquième élément : “ Apporter des réponses à chaque enfant, selon ses besoins spécifiques au travers d’une pédagogie diversifiée: curriculum et organisation scolaires flexibles, pratiques interdisciplinaires, apprentissages contextualisés, évaluation formative”, nous avons posé trois questions (12, 13 et 16). Chacune de ces questions se réfère à l’existence d’une pratique interdisciplinaire, d’un apprentissage s’appuyant respectivement sur le contexte réel des élèves et l’évaluation formative.

La question 12 ( Quelles formes cette collaboration interdisciplinaire avec les autres professeurs prend-elle? Quelles sont, à votre avis, les difficultés et les contributions essentielles de cette collaboration?) a été posée aux groupes 1 et 2 comme le montrent les tableaux ci-dessous:

Tableau 61 – (1) Professeurs travaillant avec les enfants à BES
Question 12. Quelles formes prend cette collaboration avec les autres professeurs en relation à l’interdisciplinarité? Quelles sont, à votre avis, les difficultés et les apports essentiels de cette collaboration?) Quant.
Il existe des pratiques interdisciplinaires  
- les programmations sont collectives et s’effectuent une fois par semaine(...) Tout en groupe. 1
- Le mercredi nous avons un moment collectif 1
- pendant les ateliers, les cours d’éducation physique, la danse. 1
- les conversations et les informations (...) la programmation collective, la recherche de matériels didactiques 1
- on fait la programmation et le réseau en commun avec les autres professeurs et après Terê et moi on s’asseoit et on organise notre travail 1
- au moment où on construit le réseau du tema générateur. Qu’est-ce que l’éducation physique peut travailler?. Qu’est-ce que la géographie peut travailler? Tout le monde fait part de ses idées. Tout ça toujours de manière collective. 1
Sous-total des réponses 6
Il n’existe pas de pratiques interdisciplinaires  
- IIl faudrait plus de temps pour les programmations et les échanges entre les professeurs. 1
Sous-total des réponses 1
Total des réponses 7
Pas de réponses 1
TOTAL 8
Tableau 62 – (2) Professeurs travaillant exclusivement avec les classes régulières, sans élèves à BES
Question 12. Quelles formes prend cette collaboration avec les autres professeurs en relation à l’interdisciplinarité? Quelles sont, à votre avis, les difficultés et les apports essentiels de cette collaboration?) Quant.
Il existe des pratiques interdisciplinaires  
- je pense que ça se passe bien(...)Il existe une coopération, un moment pour la programmation collective. Il y a un autre point positif : l’échange d’expérience 1
- On discute beaucoup, on dit: “j’ai des difficultés avec telle chose, qu’est-ce que vous me suggérez? 1
- au début, c’était tragique... vraiment tragique, on n’avait pas de notion des choses. Aujourd’hui, dans toutes les disciplines, tu t’appuies sur le discours et à partir de là tu développes tes activités 1
Sous-total des réponses 3
Il n’existe pas de pratiques interdisciplinaires  
Sous-total des réponses 0
Total des réponses 3
Pas de réponses 2
TOTAL 5

Sur un total de 10 réponses données par les deux groupes, 9 affirment avoir des pratiques interdisciplinaires.

La programmation collective est présentée comme étant un moment privilégié, au cours duquel l’interdisciplinarité a systématiquement lieu. Les professeurs des différentes disciplines travaillent de manière à ce que chacun contribue par ses connaissances:

‘“Je trouve que ça se passe bien... c’est comme ça : Ah! J’ai une suggestion! Et la collègue est d’accord. C’est ce type de coopération, de moment de programmation collective. Il y a un autre point positif : l’échange d’expérience. C’est pas parce que je suis diplômée en histoire que je ne vais faire que préparer mes cours d’histoire, penser à l’histoire. Ca c’est intéressant : le professeur de mathématiques suggère des activités de science.” ’

Tout comme PC2, les interviewés sont favorables au partage des savoirs entre les disciplines en faveur de l’apprentissage de l’élève. D’autres moments, comme les ateliers sont également cités. PEC1 explique :

‘“Les programmations sont collectives et ont lieu une fois par semaine. C’est là que tu prévois les cours et après tu adaptes. On fait toujours des ateliers. Si l’élève a des difficultés en portugais on va faire un atelier de portugais. On divise les groupes, on s’organise. Tout se fait en groupe. Nous avons aussi des ateliers de jeux, de saut à la corde... On rencontre des difficultés par exemple lorsque les professeurs ne relèvent pas le défi d’avoir en classe un élève à BES. Ils doivent relever le défi de se dire que cet enfant n’est pas un incapable.. Ah! Je n’y arrive pas! Ils sont réfractaires non pas à l’élève mais à penser qu’il a des capacités. ’

L’insécurité du professeur, causée par le manque de formation est une difficulté à surmonter. Nous percevons que l’interdisciplinarité s’est peu à peu développée même s’il reste encore du chemin à faire, comme l’illustre le témoignage de l’enseignante PS3 :

‘“Pour ce qui est de l’interdisciplinarité... au début, c’était tragique... vraiment tragique, on n’avait pas de notion des choses. Aujourd’hui, dans toutes les disciplines, tu t’appuies sur le discours et à partir de là tu développes tes activités. Plus dans certaines matières que dans d’autres, mais on essaie de le faire dans toutes les matières. On fait l’évaluation ensemble, on regarde comment ça se passe pour les élèves avec les professeurs d’éducation physique, le coordinateur, et on élabore l’évaluation.” ’

Malgré les difficultés rencontrées, l’interdisciplinarité semble bien développée et effective dans le quotidien de ces écoles.

La question 13 ( Dans votre pédagogie, la pratique des thèmes générateurs a-t-elle été modifiée par l’arrivée des enfants à BES? Si oui, pourquoi et comment?) cherche à analyser jusqu’à quel point les thèmes générateurs sont réellement utilisés dans la pratique. L’idée ici est de comprendre si la pratique pédagogique s’adapte au contexte réel des élèves. De cette manière, nous vérifions si un événement tel que l’arrivée des enfants à BES à l’école populaire s’est accompagné d’une adaptation. Les deux groupes de professeurs, dans leur majorité (8 réponses sur 10) confirment qu’il y a eu adaptation de la pratique scolaire au contexte des élèves.

Tableau 63 – (1) Professeurs travaillant avec les enfants à BES
Question 13 : Dans votre pédagogie, la pratique des termes générateurs a-t-elle été modifiée par l’arrivée des enfants à BES? Si oui, pourquoi et comment? Quant.
Elle a été modifiée dans la forme et/ou le contenu  
- on recherche des contenus qui ont du sens, qui répondent aux besoins de l’enfant 1
On n’a pas changé la forme du réseau mais leur arrivée a fait surgir des thèmes différents qu’on a du travailler pour éliminer les barrières et les préjugés, ce qui en fin de compte a contribué à une meilleure intéraction entre les deux groupes 1
- On cherche à mettre en relation les contenus. Par exemple, nous avons eu une fois une conversation sur la famille, sur le fait que la famille ne donnait pas d’autonomie aux sourds 1
Sous-total des réponses 3
Elle n’a pas été modifiée  
- non, car avec le groupe spécial, on ne travaille pas le thème générateur en éducation physique 1
- je pense que je continue à travailler comme avant 1
Sous-total des réponses 2
Total des réponses 5
Pas de réponses 4
TOTAL 9
Tableau 64 – (2) Professeurs travaillant exclusivement avec les classes régulières, sans élèves à BES
Question 13 : Dans votre pédagogie, la pratique des termes générateurs a-t-elle été modifiée par l’arrivée des enfants à BES? Si oui, pourquoi et comment? Quant.
Elle a été modifiée dans la forme et/ou le contenu  
- oui car le curriculum a été modifié pour s’adapter aux besoins des élèves et à la réalité dans laquelle ils vivent 1
- c’est le même thème générateur mais Miriam va l’adapter à son groupe ...à ce qui attire leur attention... 1
- Ce n’est pas parce qu’il ne sait ni lire ni écrire qu’il n’arrive pas à faire une lecture du monde. Il y arrive. Il n’arrive pas seulement à lire ce qui est écrit et écrire ce qu’il pense, il a également sa propre opinion (...) l’enfant sache écrire ou non, il participe à la conversation 1
- Oui, ça a changé beaucoup de choses, parce qu’au début tout était nouveau, hein. Alors ça a tout chamboulé à l’école (...)On a travaillé la cohabitation, les rapports, la question des valeurs et c’est comme ça...qu’on a dépassé tout ça. Dans la forme non, mais dans le contenu oui 1
- de temps en temps, au tout début, on a eu des conversations sur les sourds, mais on a travaillé sans problèmes. Mais la forme n’a pas changé. 1
Sous-total des réponses 5
Elle n’a pas été modifiée  
Sous-total des réponses 0
Total des réponses 5
Pas de réponses  
TOTAL 5

Les réponses indiquent que les thèmes générateurs n’ont pas changé dans la forme, mais dans le contenu travaillé avec les élèves. L’enseignante PS1 raconte comment le thème générateur favorise la participation de tous les élèves, indépendamment de leur niveau d’alphabétisation :

‘« Ce n’est pas parce qu’il ne sait ni lire ni écrire qu’il n’arrive pas à faire une lecture du monde. Il y arrive. Il n’arrive pas seulement à lire ce qui est écrit et écrire ce qu’il pense, il a également sa propre opinion. A chaque fois, avant de commencer à parler d’un sujet... on parle de la partie ER, hein? Il y a la recherche, la problématisation telle... A ce moment là, on va discuter de tout ce qui se rapporte au sujet, alors chacun donne son avis, son point de vue, son opinion. Ça arrive à chaque fois qu’on change de contenu. Par exemple : aujourd’hui je travaillais avec mes élèves l’alphabétisation, hier on a travaillé sur ce qu’il fallait faire pour être en bonne santé, et aujourd’hui on change, on travaille ce qui peut nuire à notre santé. Alors avant de schématiser cela sous forme de thème, on a discuté, fait une mise en scène, on l’a mis en relation avec la vie réelle pour ensuite l’écrire; alors toute cette partie discussion, que l’enfant sache écrire ou non, il participe à la conversation. Et ensuite on le passe pour l’organisation des connaissances (OC) où on schématise le contenu, parfois sous forme de texte, de pièce de théâtre, de dessin. »’

A l’école São Cristóvão, l’enseignante PS2 raconte comment les thèmes générateurs ont aidé à l’intéraction entre entendants et sourds lors de l’arrivée de ces derniers:

‘« Oui, ça a changé beaucoup de choses, parce qu’au début tout était nouveau, hein. Alors ça a tout chamboulé à l’école, les enfants entendant devaient accepter les sourds et les sourds accepter les entendants. Le sourd devait accepter que cet espace ne lui appartenait pas, que l’entendant faisait également partie de cet espace. Quand ils sont arrivés, ils ont cru que cet espace était uniquement le leur parce qu’il a été construit pour eux. Les salles, le matériel, tout. Ils ont du céder du terrain aux entendants, et ils se sont donc sentis menacés. Mais tout ça s’est fait dans le dialogue, la discussion. Aujourd’hui ils ont réussi à dépasser ça. Ils ont donc changé d’attitude. Ils n’avaient pas l’habitude d’être avec des sourds, les rapports aussi ont changé. On a travaillé la cohabitation, les rapports, la question des valeurs et c’est comme ça...qu’on a dépassé tout ça. Dans la forme non, mais dans le contenu oui. Au début, en 97, je travaillais avec les CM1 et les CM2, j’étais donc en 2nd cycle, après j’ai arrêté et je suis devenue directrice de l’école et ensuite j’ai recommencé à donner des cours. Aujourd’hui on arrive à récolter le discours du groupe, à travailler à partir de ce discours. On se rend chez les gens tous les ans. On a commencé par aller chez une mère d’élève qui a invité ses voisins. Des commerçants sont venus, des gens appartenant à d’autres écoles, ou qui n’avaient plus d’enfants à l’école : Il y avait des personnes agées....c’était diversifié. Et le dialogue s’est engagé. Tranquillement. »’

Le professeur PES4 confirme également qu’il y a eu adaptation des thèmes générateurs aux besoins des élèves en terme d’interaction sourd – entendant :

‘« On a du aborder le thème des sourds car on s’est aperçu que dans le discours des entendants, les sourds étaient comme ci, comme ça et on a du démystifier un grand nombre de choses. On n’a pas changé la forme du réseau mais leur arrivée a fait surgir des thèmes différents qu’on a du travailler pour éliminer les barrières et les préjugés, ce qui en fin de compte a contribué à une meilleure intéraction entre les deux groupes. »’

L’enseignante PES1 explique comment l’adaptation des thèmes générateurs s’est faite dans sa classe d’élèves sourds:

‘« On cherche à mettre en relation les contenus. Par exemple, nous avons eu une fois une conversation sur la famille, sur le fait que la famille ne donnait pas d’autonomie aux sourds. Ils sortaient toujours avec leur mère ou leur petit frère. On a donc commencé à travailler sur la famille. Sur le concept de famille, le vocabulaire en portugais, la famille en histoire. En musique, on a travaillé sur la chanson des Titãs, “famille”... Les professeurs récupèrent les idées les uns des autres. Parfois on travaille ensemble. Je pense qu’on est déjà bien avancé. (...) On se propose de construire. On pense que, pour les sourds, il faudrait avoir préalablement certaines choses. La plus grande difficulté a été de récolter tous les discours, nous n’avions pas de grands réseaux à cause du niveau linguistique bas. Beaucoup ont découvert, à l’âge de 12 ans qu’ils étaient nés le jour de leur anniversaire. Ce n’était donc pas facile d’aborder les thèmes générateurs. Mais au fur et à mesure qu’ils progressent, ça s’améliore. »’

Les réponses montrent que le thème générateur est un outil qui rend possible une pédagogie adaptée à l’élève. Les discours collectés au sein de la communauté dans le quotidien des écoles se transforment en matériel pédagogique pour une école réellement inclusive.

La question 16 (Comment concevez-vous et mettez-vous en pratique la dialogicité dans l’enseignement et l’évaluation?) a uniquement été posée au groupe de professeurs qui travaille avec les enfants à BES. Notre objectif est de savoir si l’évaluation se construit sur le dialogue entre professeurs et élèves, de savoir jusqu’à quel point les élèves se livrent eux-mêmes à une évaluation, rompant ainsi avec l’évaluation traditionnelle uniquement effectuée par les professeurs.

7 des 8 réponses obtenues affirment qu’il existe une évaluation du dialogue comme l’illustre le tableau suivant :

Tableau 65 – (1) Professeurs travaillant avec les enfants à BES
Question 16. Comment concevez-vous et mettez-vous en pratique la dialogicité dans l’enseignement et l’évaluation? Quant.
Les évaluations sont construites sur un dialogue  
- au moment de l’évaluation, tout le monde parle mais il faudrait que ce soit encore plus 1
- je pense qu’ils sont très écoutés (...) En les éduquant, on les rend responsable de leurs actions et ainsi ils se construisent comme sujets. 1
- il existe un dialogue constant et je pense que ça a beaucoup augmenté depuis cette nouvelle proposition de travail. 1
- Je leur fait passer leur évaluation, chacun lit ce qui a été évalué et il y a un espace réservé pour qu’ils disent ce qu’ils pensent du professeur, des cours 1
- je pense que dans l’évaluation l’élève évalue le professeur. Il y a beaucoup d’échange. 1
- Pas dans toutes les évaluations. On leur montre l’évaluation, l’évaluation du groupe. 1
-quand je considère les idées des élèves, je discute les contradictions et je reviens ensuite à ce qu’on faisait.(...) Un jour, au cours d’une évaluation on a eu un groupe qui posait des problèmes. On s’est assis en rond et chaque élève a parlé (...) Après on allait recommencer mais finalement on ne l’a pas fait. 1
Sous-total des réponses 7
Les évaluations ne sont pas dialogiques/  
je pense qu’on se leurre un petit peu quand on parle d’évaluation du professeur par l’élève. C’est plus le professeur qui évalue les élèves 1
Sous-total des réponses 1
Total des réponses 8
Pas de réponses 1
TOTAL 9

De manière générale, la dialogicité semble également être présente dans l’évaluation comme le montre l’explication de la professeure PES1:

‘“Le dialogue est une pratique. On a tellement incorporé cela qu’on oublie de l’inscrire dans le cahier : ER, AC, OC, car on part déjà d’une question ou d’une histoire et ensuite, ils réfléchissent sur cette histoire... dans l’évaluation pas toujours. On leur présente leur évaluation, l’évaluation du groupe.” ’

Cependant, les arguments avancés par le groupe laissent entrevoir que dans la pratique, il n’existe pas une systématisation de l’évaluation dialogique. Des réponses telles que : “dans l’évaluation pas toujours...” ou encore : “je pense qu’on se leurre un petit peu quand on parle d’évaluation du professeur par l’élève.. C’est plus le professeur qui évalue les élèves”. Nous voyons que l’évaluation a changé, qu’il y a plus de dialogue, mais que l’évaluation effectuée par le professeur prévaut.

Mise à part l’évaluation du dialogue, encore en voie de réalisation, les réponses dans leur ensemble valident le thème, ce qui veut dire que la pédagogie s’adapte aux besoins spécifiques des élèves.