4.2 Une conception renouvelée des réussites et des difficultés de l’apprentissage de l’élève

Historiquement, la scolarisation de l’enfant à BES a privilégié la socialisation au détriment des savoirs scolaires. En effet, aujourd’hui encore, persiste l’idée que cet enfant n’a pas les capacités d’apprendre ou a des problèmes d’apprentissage. Passer d’une conception qui attribue les difficultés d’apprentissage à l’enfant à une conception qui conçoit ces difficultés comme résultant d’une distortion entre les besoins réels de l’enfant, le programme scolaire et les stratégies pédagogiques, est le sixième fondement de l’inclusion scolaire. Afin de savoir si les acteurs scolaires ont rompu avec la vision traditionnelle dans laquelle l’enfant est le seul responsable du “non-apprentissage” ou de la “difficulté d’apprentissage”, nous avons cherché à connaître leurs conceptions de l’éducation pour les enfants à BES. La question conduit l’interviewé à se positionner vis-à-vis de l’importance de la socialisation et des savoirs scolaires dans la scolarisation des enfants à BES.

La question 1 (Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires?) a été posée aux groupes 1,2,3,4 et 5 comme l’illustrent les tableaux suivants :

Tableau 66 – (1) Professeurs travaillant avec les enfants à BES
Question 1: Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires? Quant.
On doit privilégier les savoirs scolaires  
- je pense que l’école a une fonction sociale mais je crois que sa priorité est le développement des connaissances. Pour pouvoir interagir avec les autres, l’enfant a besoin d’un développement cognitif. 1
-je pense qu’il faut privilégier les savoirs scolaires parce qu’ ils servent ensuite pour le travail, pour avoir une relation d’échange avec les autres 1
Sous-total des réponses 2
On doit privilégier la socialisation  
- je pense que pour les enfants de la classe de la professeure X ça serait la socialisation. Je pense que les savoirs scolaires viennent en second plan pour eux.(...) mais pour les autres, pour l’éducation, je pense qu’au delà de la socialisation, les savoirs scolaires sont très importants car le monde est très compétitif. 1
- je pense que la socialisation est fondamentale parce que le savoir est une conséquence et à travers la socialisation, tu apprends beaucoup de choses (...) et dans le quotidien des personnes qui ont une déficience, c’est fondamental d’être entouré, d’être intégré à un environnement. 1
Sous-total des réponses 2
Les deux sont aussi importants  
- l’éducation scolaire des enfants qui ont des déficiences poursuit les mêmes objectifs que celle d’un enfant dit “normal” (...) On peut travailler les deux aspects (...) Je trouve essentiel qu’il y ait les deux. 1
- je pense qu’on ne peut pas séparer l’un de l’autre 1
- il faut intercaler les deux 1
- Tout enfant a des difficultés mais certains en ont plus et d’autres moins. Chacun a sa spécificité (...)Je pense qu’il faut privilégier ce qui sera important pour lui. 1
Les deux sont importants 1
Sous-total des réponses 5
Total des réponses 9
Pas de réponses  
TOTAL 9

2 des interviewés ont privilégié le savoir, 2 la socialisation et 5 ont jugés qu’ils étaient tout deux importants. Cependant tout le groupe tend à affirmer que les savoirs scolaires et la socialisation sont aussi importants dans l’éducation de l’enfant à BES.

Dans le groupe des professeurs qui ne travaillent pas avec les élèves à BES, nous n’observons pas le même équilibre que dans le groupe antérieur. Ils tendent à valoriser la socialisation. 2 réponses sur les 4 obtenues privilégient la socialisation et 2 autres considèrent que les savoirs scolaires et la socialisation sont pareillement importants. Les réponses de ce groupe concernant l’éducabilité des enfants à BES s’accorde, dans une moindre mesure, avec la vision d’une école inclusive, comme l’illustre le tableau ci-dessous

Tableau 67 – (2) Professeurs travaillant exclusivement avec les classes régulières, sans élèves à BES
Question 1: Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires? Quant.
On doit privilégier les savoirs scolaires  
Sous-total des réponses 0
On doit privilégier la socialisation  
- premièrement la socialisation 1
- je pense qu’il faut privilégier d’abord la socialisation 1
Sous-total des réponses 2
Les deux sont aussi importants  
-je pense que les deux sont importants (...) je crois que la socialisation est l’aspect qui l’aidera à comprendre les savoirs scolaires 1
- je pense que c’est l’idéal comme ça se passe ici. (...) Il faut privilégier les deux aspects 1
Sous-total des réponses 2
Total des réponses 4
Pas de réponses 1
TOTAL 5

Le groupe 3 a donné des réponses identiques au groupe 1, valorisant par la majorité des réponses (5 sur 6) les savoirs scolaires et la socialisation.

Tableau 68 – (3) Directeurs d’école, coordinateur pédagogique et Secrétaires d’Education
Question 1: Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires? Quant.
On doit privilégier les savoirs scolaires  
- ce qu’on ne peut pas faire, c’est sous-estimer les capacités, le potentiel de cet enfant. Ah, mais c’est un déficient mental, il ne va pas apprendre plus que ça. Non! Très souvent ils nous étonnent. Je privilégie le savoir 1
Sous-total des réponses 1
On doit privilégier la socialisation  
Sous-total des réponses 0
Les deux sont aussi importants  
- Mais ça dépend de la définition que tu donnes du savoir scolaire. Si c’est cette chose rigide, au contenu prédéfini, clôt, que tout le monde doit savoir, (...) je ne suis pas d’accord. il existe des savoirs que l’école construit avec l’enfant, des savoirs qu’il est en mesure apprendre 1
- Il faut prendre en considération la socialisation car nous savons qu’elle est fondamentale au développement humain (...) les savoirs scolaires doivent être en accord avec les besoins de ces élèves. On n’arrête jamais de les travailler à partir du moment où ils partent des besoins de ces sujets parce ce que tout savoir scolaire doit contribuer à améliorer la vie des gens. 1
- le principal c’est qu’il arrive à se débrouiller, pas seulement à se socialiser mais qu’il puisse fréquenter des cours, apprendre des choses qui lui serviront pour la vie (...) la socialisation n’”inclut” pas l’enfant spécial. D’un autre côté, les savoirs scolaires doivent être en relation avec les besoins des élèves 1
Les deux aspects sont importants 1
- je pense qu’il faut tenir compte de la déficience de chaque enfant, car dans le cas des sourds, des aveugles et des enfants qui ont de légères déficiences, les deux aspects peuvent être travaillés, mais dans le cas de déficiences multiples il faut privilégier les apprentissages de la vie quotidienne. 1
Sous-total des réponses 5
Total des réponses 6
Pas de réponses  
TOTAL 6

Il convient de souligner que l’unique réponse qui n’a pas valorisé les deux aspects, a privilégié les savoirs scolaires. Les interviewés insistent sur l’interdépendance des deux aspects et sur l’importance d’analyser chaque cas. La secrétaire d’éducation affirme:

‘« Je pense que l’accès, le toucher, le contact sont fondamentaux (...) Comme la manière dont cet enfant comprend le monde et accède à la connaissance est différente, l’école doit lui offrir un accès qui prend en compte sa spécificité, qui garantie sa communication sous les formes les plus diversifiées, son acquisition de savoirs pour la vie, qui améliore son intégration, sa mobilité et principalement sa cohabitation avec les autres enfants et les adultes afin que l’inclusion soit réelle. Mais ça dépend de la définition que tu donnes du savoir scolaire. Si c’est cette chose rigide, au contenu prédéfini, clôt, que tout le monde doit savoir, et que lorsque mon fils ne sait pas il prend un zéro, alors je ne suis pas d’accord. Il existe des savoirs que l’école construit avec l’enfant, des savoirs qu’il est en mesure apprendre C’est quoi les savoirs scolaires? Pour moi, le savoir scolaire c’est pour certains sujets mettre son pantalon, s’asseoir sur les toilettes. Je trouve que le savoir scolaire est très rigide, très fermé. C’est savoir compter, savoir lire et écrire, et si tu ne sais pas faire ça, alors tu n’es pas fait pour l’école. »’

Le groupe des professionnels extérieurs à l’école donnent des réponses identiques à celles données par le groupe 3 c’est-à-dire qu’ils valorisent aussi bien les savoirs scolaires que la socialisation, dans le but de développer l’autonomie de l’élève et son inclusion dans le monde extérieur à l’école:

Tableau 69 – (4) Professionnels extérieurs à l’école
Question 1: Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires? Quant.
On doit privilégier les savoirs scolaires  
Sous-total des réponses 0
On doit privilégier la socialisation  
Sous-total des réponses 0
Les deux sont aussi importants  
-je pense que les deux sont importants. Une classe spéciale va mettre l’accent sur les capacités de l’enfant et un enseignement régulier fera que l’enfant se sente inclus dans son milieu social 1
- je pense que l’éducation scolaire d’un enfant qui a une déficience doit, dans son essence même, reconnaître les besoins spécifiques de cet enfant, chercher à travailler les difficultés qu’il rencontre, tout en augmentant ses connaissances. Tout le monde a droit au savoir, que ce soit à l’école ou non. 1
- On doit privilégier au maximum la socialisation à partir du moment où cette socialisation travaille l’indépendance de l’enfant qui a une déficience et privilégie son autonomie cherchant à travers cela à lui communiquer des savoirs scolaires 1
Sous-total des réponses 3
Total des réponses 3
Pas de réponses  
TOTAL 3

Les réponses données par le groupe des parents sont les suivantes:

Tableau 70 – (5) Parents des élèves à BES
Question 1: Comment concevez-vous l’éducation scolaire d’un enfant à BES? Doit-on, à votre avis, au vue de ses difficultés, privilégier l’aspect de “socialisation”? Doit-on donner la priorité aux savoirs scolaires? Quant.
On doit privilégier les savoirs scolaires  
Sous-total des réponses 0
On doit privilégier la socialisation  
- la socialisation, parce qu’au niveau de la pédagogie, de l’apprentissage, il n’y a pas de résultats...c’est plus par rapport à son développement. Savoir se comporter 1
la socialisation (...) je crois qu’il est encore dans une phase très infantile, il parle avec ses jouets (...) je pense que son éducation, on s’en occupera quand il sera plus grand. 1
Sous-total des réponses 2
Les deux sont aussi importants  
- je pense que ça doit aller de pair. La socialisation est très importante, il ne faut jamais s’en éloigner. Mais il faut apprendre. 1
- ici à l’école c’est bien. Les deux 1
Les deux sont fondamentaux 1
Sous-total des réponses 3
Total des réponses 5
Pas de réponses 1
TOTAL 6

Deux réponses privilégient la socialisation et trois valorisent les deux. Les réponses valorisant la socialisation correspondent à celles données par les parents des enfants atteints de déficience intellectuelle lourde. La socialisation apparaît comme le besoin le plus important au moment présent comme le montre la réponse de MC1 :

‘« J’ai trois enfants, en tout avec lui. Un de 16 ans et un autre de 4 ans. Mon mari est maçon, il n’a presque pas le temps de s’occuper de Ed... Je pense qu’il est encore très petit garçon, il parle avec ses jouets, il se dispute avec eux comme s’il avait quatre ans. Je pense que son éducation, on s’en occupera quand il sera plus grand. Pour le moment je le vois comme Vinicius, il fait les mêmes choses que Vinicius. Jusqu’ à ce qu’il puisse fréquenter le CAIC et après s’il y a un autre endroit pour lui. Jamais je ne vais le laisser tout seul à la maison, je vais toujours chercher quelque chose pour lui. La socialisation. »’

Les trois réponses qui valorisent de la même manière socialisation et savoirs scolaires sont les réponses des parents d’élèves sourds. Pour ces derniers, le langage ne semble pas interférer dans l’exigence d’une éducation de qualité comme le montre la réponse de MS3:

‘« Il faudrait qu’il y ait une formation de LIBRAS, à Chapecó. IIl n’y a que cette école. Il manque un lycée et une université, je trouve que c’est pas bien comme ça. Je ne connais pas grand chose en LIBRAS mais j’aimerais apprendre. A l’école Maréchal, tout était mélangé, il n’y avait pas d’éducation exclusivement pour eux. Ils étaient exclus, jetés là-bas. Les deux sont essentiels. Je pense qu’ils vont là-bas pour apprendre le LIBRAS mais nous aussi nous devons chercher à l’apprendre. Ca ne sert à rien que j’exige qu’il s’insère, je ne peux pas. Un enseignement de qualité. »’

De manière générale, tous les groupes démontrent avoir rompu avec la vision traditionnelle qui considère que l’enfant à BES est, par définition, incapable d’apprendre ou présente des difficultés d’apprentissage, et que par là-même, une éducation tournée vers la socialisation serait l’idéal. Les interviewés défendent clairement la nécessité des savoirs scolaires dans l’éducation de l’élève à BES et les présentent comme une manière de l’inclure dans la vie professionnelle et la société en général.

Leurs réponses nous permettent de conclure qu’il y a une conception renouvelée sur les resultats de l’élève : on considère que les difficultés d’apprentissage ne sont pas liées à l’enfant mais au resultat de l’intéraction entre le programme scolaire et l’élève.