Partie 4. Quelles ruptures pour penser et agir à l’inclusion scolaire à partir des référents freiriens ?

A intolerância, autodefesa do fraco ou do ignorante, é certamente uma marca de infantilidade, mas a tolerância, concessão dada pelo poderoso seguro de si, não é mais do que somente um primeiro passo na direção do reconhecimento do outro. Outros passos são necessários, para que se chegue ao amor das diferenças.
(Albert JACQUARD)

Notre recherche montre que les écoles populaires basées sur la théorie et la pratique de Paulo Freire peuvent, sous divers aspects, être considérées comme inclusives. L’analyse des entretiens montre que dans ces écoles, des changements radicaux concernant les idées, l’organisation et la pratique pédagogique ont eu lieu.

Dans la dernière partie de notre thèse, nous prétendons explorer et approfondir la réflexion sur la rupture culturelle nécessaire à la pratique de l’éducation inclusive. Pour cela, nous nous basons sur divers éléments déjà utilisés, comme les fondements théoriques, les extraits d’entretiens, et l’analyse de données. Nous nous appuyons aussi directement sur les travaux de Charles Gardou concernant les ruptures. 276

Nous partons du concept de culture comme « signification » tel que le définit Carmel Camilleri. Pour lui : « la culture est l’ensemble plus ou moins articulé de significations acquises, les plus persistantes et les plus partagées, que les membres d’un groupe, de part leur affiliation à ce groupe, sont amenés à distribuer de façon prédominante sur les stimuli provenant de leur environnement et d’eux-mêmes. »

On sait, par définition, que ces significations acquises ne se modifient pas facilement et donc que le changement de culture scolaire est quelque chose d’extrêmement difficile et complexe. Imprégnée des valeurs sociales qu’elle reproduit elle-même, l’école, en tant qu’agent de transformation sociale constitue un réel défi car pour devenir cet agent, elle doit tout d’abord se transformer elle-même.

Le défi de l’école inclusive passe donc par cette primordiale transformation sans laquelle l’inclusion n’est qu’un mot vidé de sens. Néanmoins, nous pouvons dire que la culture des écoles d’Etat a évolué, et reflète, aujourd’hui, les valeurs et les fondements de l’inclusion.

Il existe un abîme entre les valeurs de l’école traditionnellement excluante et celles de l’école inclusive, ce qui rend difficile le passage de l’une à l’autre.

La valorisation des différences reste encore un défi pour de nombreuses écoles qui souhaitent s’orienter, de manière effective, vers l’inclusion. Dans le quotidien de la pratique pédagogique émerge fréquemment une question : faut-il mettre en avant la spécificité, la différence ou plutôt les caractéristiques communes de tous les enfants ? Cette opposition apparente est inhérente à l’être humain comme l’explique Edgar Morin : « Ceux qui voient la diversité des cultures tendent à minimiser ou occulter l’unité humaine, ceux qui voient l’unité humaine tendent à considérer comme secondaire la diversité des cultures. Il est au contraire approprié de concevoir une unité qui assure la diversité, une diversité qui s’inscrit dans une unité. Le double phénomène d’unité et de diversité des cultures est crucial. » 277

Comprendre la coexistence de ces deux phénomènes, tout en garantissant à la diversité une place d’importance est au cœur de l’école inclusive.

Cependant, si le passage d’une école excluante à une école inclusive apparaît difficile et complexe, par où commencer ? Comment promouvoir cette transformation culturelle au sein de l’école vers des valeurs inclusives ? Comment effectuer cette rupture ?

Nous utilisons ici l’expression « rupture » dans le sens que lui donne Gardou : «Le mot rupture se réfère à la nécessité d’interrompre le cours de certaines pratiques, inadaptées à un objectif donné, qui ont fini par sembler naturelles. Il s’agit de la nécessité de provoquer des changements clairs pour modifier l’ordre culturel existant et la continuité qui semble établie. »

Si cette rupture doit se faire, il est nécessaire que tout le processus qui oriente cette transformation s’effectue prudemment afin qu’il n’y ait pas d’inversion de résultat. Dans l’empressement de rompre avec les habitudes, avec un système de pensée ou une pratique, on ne fait souvent rien d’autre que renforcer les résistances à cette transformation. Une école qui se dit inclusive sans avoir réellement opéré de changements fondamentaux contribue en fin de compte à discréditer l’idéal d’inclusion. Pire encore, elle finit par nuire aux enfants qu’elle prétend éduquer.

L’école inclusive requiert une véritable mutation culturelle, une transformation profonde et durable, résultant d’un processus collectif qui mobilise les ressources de différents acteurs sociaux et non uniquement des personnes directement concernées, comme le souligne Gardou :

‘« Une mutation suppose qu’un corps social accepte d’être orienté par de nouveaux points de vue, formes d’organisation et concepts renouvelés.» 278

Ainsi, cette mutation est possible. Par la dimension et la responsabilité qui lui incombent, l’école inclusive peut et doit promouvoir de nouveaux points de vue de nouvelles formes d’organisation et de nouveaux concepts. Notre travail montre que la pensée freirienne constitue, dans le cas des deux écoles d’état, la source rénovatrice de concepts et pratiques qui orientent la construction de l’école inclusive.

Nous traiterons dans cette dernière partie des ruptures fondamentales et nécessaires pour penser et mettre en pratique l’inclusion scolaire.

Notes
276.

GARDOU, (Ch.), Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Por une révolution de la pensée et de l’action, Toulouse, éditions érès, 2005, pp. 145-159

277.

MORIN, (E.), Unité et diversité des cultures in XXIème siècle- Magazine du Ministère de l’Education Nationale, n°7, Março-Abril, 2000

278.

GARDOU, (Ch.), Situations de handicap : déconstruire notre culture, Conférence inaugurale au colloque international « Situations de handicap : quelles ruptures pour quelles mutations culturelles ? », Lyon, 24.nov. 2004