2.3 De la place déterminée à la flexibilité des itinéraires et le droit à la compensation

La question de l’inclusion scolaire est sans nul doute une question de profonde transformation culturelle. C’est pourquoi divers mécanismes de résistance surgissent sans que les propres défenseurs de ce mouvement en aient conscience. Comment savoir quelle est la meilleure manière de réaliser l’inclusion ? L’inclusion se résume-t-elle à mettre, à tout prix, l’enfant à BES dans une école régulière ? La tendance à prédéterminer le parcours éducatif de l’enfant peut être drastique. La flexibilité ne se réduit pas au curriculum interne de l’école mais s’étend également au parcours scolaire dans son ensemble. Il faut prêter attention à ce que ce dernier soit continu, et au delà, penser la forme d’inclusion la mieux adaptée à chaque élève. L’inclusion est un principe et non un dogme. Elle doit toujours se faire en faveur de l’enfant.

Malheureusement, l’inclusion s’est généralement déroulée, au Brésil, de manière complètement irresponsable : les enfants ont été inscrits dans les écoles régulières sans aucun projet ou planification de leur parcours. En règle générale, il n’y a ni historique, ni rapports d’experts ni informations nécessaires. Aucun questionnement concernant la meilleure forme d’inclusion pour l’enfant n’est posé. Pouvons-nous dès lors qualifier cela d’inclusion ? Comprendre le parcours scolaire au sein de l’inclusion comme une forme monolithique ne représente-t-il pas une contradiction ?

En France, par exemple, l’inclusion individuelle et collective existe. Le parcours scolaire de l’enfant est défini par un projet ( le Projet Individuel d’Intégration) élaboré conjointement par les parents, les médecins et les psychologues scolaires.

Les CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce) accueillent les enfants de moins de 6 ans qui présentent une déficience. Le principal objectif de ces établissements est d’établir un diagnostic précoce le plus précis possible de l’enfant. Une fois le diagnostic effectué, l’équipe établit avec les parents le meilleur parcours d’inclusion. Dans de nombreux cas, l’enfant accompagné par le CAMSP pourra fréquenter la maternelle en temps complet ou en demi-journée. L’équipe du CAMSP conjointement à l’école et aux parents élaborent ainsi ce projet, considéré comme fondamental car il représente la première expérience de socialisation loin de la famille et des institutions de la santé. 301

Les CLIS accueillent, au sein d’une école régulière, des groupes de douze enfants au maximum qui présentent le même type de déficience. On utilise cette forme d’inclusion collective dans les cas où l’on pense que cette modalité bénéficiera davantage les enfants qu’une inclusion individuelle dans une classe commune. Cependant, l’élève participera à certaines disciplines en enseignement commun, selon ses possibilités et l’école. Généralement, le professeur de ces classes est un professeur d’éducation spécialisée. Il est responsable de l’élaboration du projet pédagogique pour la classe et de son suivi selon les projets individuels de chaque enfant.

De 11 à 16 ans, les élèves sont dirigés vers les Unités Pédagogiques d’Intégration – UPI, qui prennent en charge la continuité de leur éducation et leur préparation à la vie professionnelle. Ceux qui veulent poursuivre des études universitaires entrent dans les Universités qui créent chaque fois plus d’espaces, de ressources et de conditions à l’accueil de l’élève à BES.

Il existe également le R.A.S.E.D, un réseau d’aide spécialisée aux enfants en difficulté, composé de psychologues scolaires et de professeurs des écoles spécialisés, dont l’objectif est de fournir une aide à l’école afin de mettre en place les mesures nécessaires à l’accueil d’élèves à BES. Ils aident et orientent dans la recherche des meilleures solutions pédagogiques pour les élèves.

Outre les organismes décrits ci-dessus, il existe d’autres structures engagées dans le problème de l’inclusion scolaire française. L’HANDSCOL, créé en 1999 a pour objectif d’assurer la cohérence de l’ensemble des mesures ou dispositifs de chaque région. Il s’agit de groupes de coordination qui ont comme principale mission d’examiner les conditions d’implantation pratique des plans d’éducation des élèves à BES. Par le biais d’un relevé des besoins et des ressources analysées pour chaque cas, ils collaborent à la prise de décision la mieux adaptée à chaque élève.

En Italie, tous les élèves à BES sont accueillis dans le réseau ordinaire d’enseignement d’après le modèle “mainstreaming”. Comme le suggère le nom, on fait ici référence à un grand fleuve avec un courant fort au centre et d’autres plus faibles aux extrémités qui poussent tout le monde : les plus forts et les plus faibles dans la même direction. Il s’agit d’organiser l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé dans une même structure offrant, en son sein, différentes modalités pour que les élèves puissent se déplacer dans toute la structure.

L’inclusion scolaire des enfants à BES au sein du système régulier italien est réalisé au travers d’un plan coordonné des services scolaires, de l’aide médicale et sociale, de centres culturels, récréatifs et sportifs et d’autres institutions publiques ou privées. Un professeur de soutien est prévu pour chaque groupe de quatre élèves à BES. Ce chiffre peut être revu lorsque le handicap de l’élève est considérée très grave et requiert alors davantage d’aide.

Le parcours scolaire peut être prolongé jusqu’à l’âge de 20 ans et les planifications individuelles peuvent subir une modification de contenus curriculaires et de critères d’évaluations et d’examens. Malgré cette politique, il existe encore des écoles pour les sourds, les aveugles et les autres déficiences spécifiques. 302

Les deux pays cités suivent différents modèles, cependant ils prévoient toujours une planification ou un projet de scolarisation pour l’enfant. Le modèle brésilien se rapproche du modèle italien, pour ce qui concerne l’assimilation des systèmes ordinaire et spécialisé au sein d’un système unique. Cependant, la pratique de planification individuelle du parcours scolaire n’existe pas, laissant à l’abandon l’élève, ses parents et l’école.

Cette situation est clairement ressortie de notre enquête. Même les écoles engagées dans la question de l’inclusion sont confrontées aux difficultés concernant l’absence de systématisation de planification du parcours scolaire de l’enfant. Certains élèves fréquentent l’école populaire et l’APAE, d’autres reçoivent l’appui de la psychologue ou de l’orthophoniste, d’autres fréquentent les ateliers ou encore sont en permanence accompagnés de leur mère à l’école. Sans l’ombre d’un doute, cette flexibilisation apparaît comme une avancée et reflète l’engagement de ces écoles dans l’inclusion de ses élèves, cependant, une planification plus rigoureuse en relation au parcours scolaire de ces enfants fait encore défaut.

Si nous devons d’une part éviter que l’élève ne se retrouve face à la rigidité d’une structure éducative : classe ordinaire à tout prix et pour toujours, classe spéciale pour toujours, education des jeunes et adultes (EJA) pour toujours, etc…., nous ne pouvons, d’autre part, tomber dans un manque total d’orientation et de planification de la scolarisation. Si l’inclusion présuppose l’adaptation de l’école aux besoins de chaque élève, une planification évolutive de la meilleure forme de scolarisation pour chaque élève, selon ses conditions et son développement, est nécessaire.

Au Brésil, prédominent encore aujourd’hui les grands débats sur l’école inclusive sans que de véritables mesures soient mises en place. En effet, il n’existe pas une forme d’inclusion meilleure que les autres, mais plutôt une diversité de possibilités qui doivent être explorées en fonction des besoins de chaque élève.

La notion de “droit à la compensation des incapacités » qui apparaît dans le rapport de Maryvonne Lyazid en 1999 en France se réfère à un droit qui rejoint le principe de non discrimination et l’égalité des chances exposés dans l’article 13 du traité d’Amsterdam. 303 D’après le rapport, la déficience crée une rupture de l’égalité des chances mais il n’existe pas de mesures compensatoires offrant la possibilité à une personne ayant une déficience d’avoir une vie normale. Le droit à la compensation des incapacités vise ainsi à rétablir cette égalité des chances. Il constitue une garantie légale afin que la personne ayant une déficience dispose d’aides humaines, techniques et animales ainsi qu’une adaptation des lieux qu’elle fréquente et où elle réside. Le point fondamental de ce droit est de garantir à la personne ayant une déficience une vie autonome. 304

Cependant, le Brésil se débat toujours avec la tentative d’assurer les droits les plus élémentaires d’accessibilité. Aucune référence n’est faite concernant des garanties légales qui prendraient en considération un possible droit à la compensation pour une vie autonome. Le Bénéfice de Prestation Continue (BPC), reflète en ce sens la réalité brésilienne. Il s’agit d’une aide correspondant à un salaire minimum, payée aux personnes déficientes pauvres ayant un revenu familial inférieur à ¼ du salaire minimum par tête et qui sont dans l’incapacité de travailler et d’avoir une vie indépendante. 305

Le traitement « assistentialiste » prédomine au Brésil et contribue à ce que l’inclusion ne s’opère pas. Les droits fondamentaux de toute personne ayant une quelconque déficience ne doivent pas être l’objet de la bonne volonté et d’actions caritatives d’institutions et de personnes, ils doivent être assurés par des dispositifs et des mesures légales.

C’est sur ce point que le discours sur l’autonomie de l’école perd tout son sens : en effet, il omet le fait que l’Etat ne proportionne pas les conditions nécessaires à l’inclusion. Il ne suffit pas de laisser l’autonomie à l’école de choisir les formes et mesures en faveur de l’inclusion si des ressources ne sont pas mises à disposition pour cela. Les classes d’appui constituent des mesures insuffisantes pour relever le défi de l’inclusion. Certains enfants ont besoin de dispositifs additionnels.

La fonction d’Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS) mis en pratique en France est un exemple de traduction dans l’enceinte de l’école de ce droit à la compensation. Au cours de son parcours scolaire, que ce soit de manière collective ou individuelle, l’élève peut bénéficier de certaines aides comme d’une Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS). Ils ont pour mission, à travers divers contrats, d’aider et de faciliter l’inclusion individuelle ou collective des élèves à BES. Concernant l’inclusion collective, ils apportent un soutien à la classe dans son ensemble, ainsi qu’à l’école. L’AVS chargé de l’accompagnement individuel de l’élève à BES peut effectuer quatre types d’activités :

L’AVS aide l’élève à BES à s’intégrer, à s’affirmer, à mieux se situer dans l’environnement scolaire, à développer des stratégies adéquates. Sous la supervision et la coordination du Coordinateur d’Education Départementale, les AVS ne doivent cependant pas remplacer les professeurs ou autres professionnels de l’éducation et de la santé, mais doivent apporter à ces derniers une meilleure connaissance des besoins des élèves et fournir ainsi les clés pour la compréhension de ce que vit l’élève à BES. 306

Une autre initiative allant dans ce sens est le dispositif de « pair-émulation » ou « pair-stimulation». Une personne qui vient d’avoir un accident à la suite duquel elle a une déficience reçoit la visite d’un « pair-stimulateur ». Ce dernier, qui a la même déficience, souvent à la suite d’un accident également, accompagne le premier en lui apportant une aide concernant sa nouvelle situation dans le monde et les nouvelles adaptations à réaliser. C’est une manière de stimuler la réadaptation de la personne à sa nouvelle condition. Le pair-stimulateur reçoit une formation spécifique et suit un programme pour cela.

En découvrant ces divers dispositifs, nous prenons conscience de la précarité de la situation brésilienne. Il est impossible de parler de droits et d’inclusion sans aller au delà des mesures existantes. Il est nécessaire de traduire en actes éducatifs et pédagogiques les droits de l’enfant à BES, créant ainsi des dispositifs différents et nouveaux qui permettraient aux écoles de s’appuyer sur ces derniers pour construire une école inclusive.

Si de fait, nous voulons valoriser la diversité de nos élèves, il faut diversifier non pas simplement les pratiques pédagogiques mais également toute la structure du système éducatif, car sans cela, l’inclusion ne reste qu’un simple discours.

Notes
301.

ANDRIEUX, (A.) ; BLANCHARD, (F.) ; DELAMARQUETTE, (J.), L’ intégration scolaire des enfants en situation de handicap . Université Charles-de-Gaulle – Lille 3. Disponible sur : <http://www.univlille3.fr/ ureca/ ureca/documents/integrationscolaire>

302.

ANDRIEUX, (A.) ; BLANCHARD, (F.) ; DELAMARQUETTE, (J.), Op.cit.

303.

" Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des pouvoirs que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.", Tratado de Amsterdam, Signé le 2 octobre 1997, disponible sur : www.france.qrd.org/texts/amsterdam-art6a.html

304.

FELTESSE, (H.), Quel droit à la compensation des incapacités pour toutes les personnes handicapées ? Disponible sur< http://www.voirensemble.asso.fr/article. php3?id_article=456>

305.

DECRET nº 1.744, le 8 déc. 1995. CORDE. Règlemente l’aide continue à la personne porteuse de déficience et aux personnes âgées, Disponible sur : http://www.mj.gov.br/sedh/ct/corde/ dpdh/sicorde/ direitos.asp>

306.

CORMIER, (Ph.), « Formation : une réforme qui ne résoud rien. » Cahiers pédagogiques. Paris. Dez. 2004, 59° ano, pp. 40-42