Chapitre 3. Troisième type de ruptures : une vision transformée du métier d’enseigner

Le troisième type de rupture se réfère au professeur, à sa profession et à son rôle dans l’éducation. Si l’éducation inclusive exige des changements à divers niveaux, le professeur, qui est une des pièces-clés de l’école, doit également radicalement changer.

3.1 Du bricolage informatif à une formation professionnalisante et reliante

La question de la formation et par conséquent de la professionalisation est une question centrale. L’absence d’un véritable projet de formation aussi bien initiale que continue, concernant les questions relatives à l’inclusion, constitue un des plus grands obstacles éducatifs actuels.

La grande majorité des professeurs ressentent face au défi de l‘inclusion, des sentiments de peur, de solitude, d’angoisse et d’incompréhension. Ne sachant comment faire, ou comment agir avec l’enfant « différent », ils font preuve d’une certaine réticence à se lancer dans la construction de l’école inclusive bien qu’ils sympathisent avec ses principes.

La manière dont la notion d’école inclusive est arrivée jusqu’aux professeurs, sans une quelconque formation ou orientation a contribué à son retard et à son discrédit.

Dans les écoles étudiées pour ce travail, nous percevons l’existence de plusieurs de ces sentiments, découlant du manque de formation des professeurs :

‘« Si j’avais tout à coup dans ma classe un enfant aveugle, je serais paniquée parce que je n’ai pas de formation pour m’occuper d’un enfant comme ça. » 307

Un des arguments les plus utilisés par les professeurs consiste à dire que l’inclusion est bien jolie en théorie mais qu’il existe un manque d’orientations qui seraient plus pratiques et consistantes et qui prendraient en considération le quotidien du professeur en classe :

‘« Je pense qu’il faut prendre en compte ce que disent les professeurs réellement engagés. Parce que c’est une chose de venir et faire une enquête, prendre une évaluation toute faite et lire. Mais c’est autre chose que d’être au quotidien dans la classe, tout en connaissant la vie de ton élève, ses progrès, sa vie au sein de la communauté et de la famille. C’est comme regarder une belle glace dans un tableau, juste la regarder ! Mais c’est différent de la goûter. Ce sont deux choses bien différentes.» 308

De nombreuses choses ont été faites concernant la « sensibilisation ». Cependant, la sensibilisation n’est-elle pas une action disproportionnée comparée au défi de l’inclusion ? La rupture culturelle que requiert l’inclusion a été sous-estimée.

Beaucoup pensent que la simple compréhension du concept d’inclusion suffit à sa réalisation. Cependant, le temps a justement montré le contraire. Des formations qui n’ont pas une structure concrète et adaptée aux compétences dont le professeur a besoin, contribuent au discrédit de l’inclusion et fondamentalement à l’échec des élèves, des professeurs et de l’école.

Il est nécessaire de prendre en compte non pas uniquement l’élève « réel » mais aussi le professeur réel. A nouvelle école, nouveau professeur. Ainsi, le profil du professeur actuel n’a rien en commun avec celui de l’ancien professeur, détenteur de l’autorité et de la transmission du savoir. Le professeur d’une école qui se dit inclusive ou ouverte à tous a besoin d’une préparation beaucoup plus grande et différente à celle qui est dispensée en cours de licence ou dans les instituts formateurs.

Les écoles populaires étudiées, par le changement radical qu’elles proposent, orientent déjà le professeur vers ce nouveau profil. Cela constitue, sans nul doute, un grand pas pour l’autonomie et la responsabilité de l’école : Orienter le travail interdisciplinaire et une nouvelle attitude du professeur comme chercheur, comme éducateur engagé au côté des élèves dans leur diversité, favorisant ainsi un apprentissage constant.

Les exemples suivants illustrent clairement les interrogations des professeurs concernant ce nouveau profil :

‘« (...) Mais il faudrait renforcer davantage le collectif…. Car on travaille en collectif mais sous pression : - Nous allons faire les réseaux thématiques ! Nous allons étudier ! – Si tu ne fais rien, il n’y a rien qui sort. Il faut toujours qu’il y ait quelqu’un qui encourage…. Parce que ça donne clairement plus de travail car il faut s’impliquer au sein de la communauté, avec l’élève. Il faut observer pourquoi tel élève agit de telle manière. Et parfois c’est plus facile de nier cela, n’est-ce pas ? Il se bagarre parce c’est vraiment un bagarreur – Il faut essayer de comprendre ce qui se cache derrière cette bagarre. » 309 ’ ‘« On arrive pas toujours à respecter l’idée d’autrui…. On aimerait que les autres pensent comme nous. Et quand tu demandes à quelqu’un d’écrire un texte sur ce que tu as travaillé, tu regardes et tu te dis : - Ah, il va écrire ça. Et il n’écrit pas ça et , ah….. tu deviens fou ! Alors la personne doit se demander : - Est-ce que j’ai réellement travaillé afin que mon élève devienne un être critique et pensant ou est-ce que j’ai simplement voulu qu’il suive le chemin que je pense être le bon ?» 310

Un professeur qui s’intéresse davantage à l’élève, à son environnement et à l’histoire de sa vie, un professeur qui stimule la pensée critique de ses élèves, n’étant pas un reproducteur passif de la société, un professeur qui valorise et respecte les différences, et également le droit de l’élève à suivre un chemin différent à celui indiqué par le professeur…. Voici le nouveau profil du professeur.

La seule action interne de l’école ne garantit évidemment pas la réussite de l’inclusion. Sans une solide formation, les acteurs scolaires restent prisonniers d’anciennes et fausses représentations de l’enfant à BES et de son éducation. Ne disposant pas d’orientations pratiques concernant l’action pédagogique et didactique, ils finissent pas se refermer sur eux-mêmes dans le doute et le discrédit.

Il est très fréquent que les enfants à BES soient confiés à tel ou tel professeur considéré comme un « missionnaire » ou comme ayant une plus grande vocation pour ce « type » d’élève. Au vu de la panique dont sont pris certains professeurs, de nombreux directeurs d’écoles finissent par diriger ces enfants vers ces professeurs « missionnaires », renforçant ainsi, au minimum, deux malentendus : Le premier se réfère au fait qu’aucun professeur n’est un missionnaire et que l’éducation de tout enfant est avant tout un droit et non pas une œuvre caritative ou bénévole. Le second malentendu consiste à appréhender la situation de manière erronée, car l’école doit agir, en promouvant la formation des professeurs, afin de les préparer à l’éducation inclusive.

L’autonomie de l’école rend possible des associations et partenariats qui dispenseraient une formation aux professeurs. Ainsi, une école pourra, par exemple, opter pour avoir au moins un professeur formé pour une déficience afin que ce dernier puisse former le reste du groupe. L’école peut alors s’associer à des groupes de recherche et engager ainsi son équipe dans cette action. Au vu de l’autonomie de l’école, les possibilités d’initiatives sont innombrables et vont au delà de la formation proposée par les Secrétariats de chaque municipalité.

Il convient de rappeler que le fait que le professeur soit formé pour travailler avec des enfants ayant le syndrome de Down, par exemple, ne le dispense pas du travail considérable que représente la recherche constante sur la diversité de chaque enfant. Toutefois, une première formation allant dans ce sens permettra que le professeur se sente plus à l’aise avec le sujet, réduisant ses peurs, ses angoisses et par conséquent sa résistance.

L’idéal serait que chaque école élabore un plan de formation ou d’aptitude pour tous ses acteurs, incluant directeurs et auxiliaires n’enseignant pas à l’école. Il est également important que tous les résultats positifs et les expériences innovatrices réussies soient répertoriés et diffusés par l’école. Il est important que cette dernière ne reste pas isolée mais s’associe à d’autres écoles et institutions afin d’échanger des informations et des expériences.

La formation de tout professeur doit dispenser, au delà des thèmes curriculaires existants aujourd’hui, une connaissance des différents types de déficiences, des différentes pédagogies et didactiques, des phénomènes de représentations psychologiques et relationnels liés au thème de la déficience, tout comme la connaissance des problématiques de l’école et de la société inclusives.

Malheureusement, chacun demeure, dans la majorité des cas, immobile jusqu’à nouvel ordre. Ne rien faire avant d’en avoir reçu l’ordre est un comportement typique de passivité des éducateurs brésiliens habitués à l’autoritarisme. Chacun tend à s’enraciner dans une discipline, un cycle, un niveau, dans l’éducation spéciale ou régulière, à s’isoler du reste. Cette culture est totalement contraire à celle de l’école inclusive. C’est pour cela que la formation du professeur doit évoluer vers une formation davantage interdisciplinaire et intégrée à l’ensemble.

De manière générale, comme le souligne Gardou :

‘« Les pouvoirs publics n’ont plus droit à l’immobilisme, ni les enseignants à l’ignorance car l’enfant ne peut plus attendre : son nom est ‘aujourd’hui’ » 311

Les acteurs scolaires et les pouvoirs publics sont appelés à rompre avec la formation traditionnelle afin de créer un nouveau professionnel de l’éducation pour une nouvelle école.

Notes
307.

PC3, ANNEXES pp.06-169

308.

PS1, ANNEXES pp.06-169

309.

PEC3, ANNEXES pp. 06-169

310.

PS1, ANNEXES pp. 06-169

311.

MISTRAL, (G.), Cité par GARDOU, (Ch.), op.cit, p. 157.